Intervention de Bruno Parent

Réunion du mercredi 10 janvier 2018 à 17h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi pour un État au service d'une société de confiance

Bruno Parent, directeur général des finances publiques :

Monsieur Laqhila, je vous transmettrai une fiche technique qui explicite mieux que je ne saurais le faire pour quelle raison il n'y a aucune présomption de mauvaise foi dans cette multiplication par 1,25 des bénéfices. Il existait il y a treize ans un certain barème de l'impôt sur le revenu, avec certains taux, mais s'appliquait systématiquement un abattement de 25 %. En somme, le barème était un barème apparent. Dans sa grande sagesse, le législateur de l'époque a considéré qu'il n'était pas souhaitable d'afficher des taux d'impôt sur le revenu totalement fictifs. Un nouveau barème a donc été conçu, dont les taux moindres intègrent l'effet induit par l'abattement de 25 % sur les taux du barème antérieur. Par ailleurs, le législateur a voulu, il y a très longtemps, que les entreprises – plutôt les petites entreprises – qui adhéraient à une association de gestion agréée (AGA) bénéficient d'une « ristourne fiscale ». L'AGA effectue un certain nombre de contrôles, remplit un certain nombre d'obligations. Nous voyons bien l'analogie : le salarié ne peut frauder, puisqu'il dépend d'un tiers ; faisons donc la même chose pour les entreprises, avec les associations de gestion agréées. En vertu de cette analogie, les deux bénéficiaient donc du même abattement de 25 %.

Lorsque le barème a été modifié et que les taux de l'impôt ont été réduits, le législateur a voulu conserver un avantage aux entreprises qui adhéraient à une AGA. Comment faire ? La technique choisie fut la multiplication par 1,25, en cas de non-adhésion à une AGA, du bénéfice imposable. Il ne s'agit pas du tout de stigmatiser des entreprises au motif d'une supposée immoralité, c'est simplement le moyen de maintenir un avantage – et personne n'a été lésé, puisque la modification du barème était arithmétiquement neutre. Je reconnais cependant que cela peut sembler un peu « chinois » et me permettrai donc de vous adresser une fiche arithmétique précise qui vous démontre qu'il n'y a ni présomption de mauvaise foi ni traitement inégalitaire. Le législateur veut simplement que l'adhésion à une AGA permette toujours de bénéficier d'un avantage fiscal. La technique utilisée peut paraître insolite, mais elle ne répond qu'à cette logique, il n'y a pas de présomption de fraude ou de mauvaise foi. Précisons aussi que l'adhésion aux AGA n'est pas réservée aux entreprises individuelles.

M. le député Saint-Martin me pose une question encore plus difficile : comment lutter contre les fantasmes ou les impressions ? C'est effectivement assez compliqué. Peut-être ne communiquons-nous pas assez, en tant qu'institution, sur nos manières d'être, nos procédures, nos contrôles, nos rescrits. Il est cependant une réalité arithmétique, sous l'angle de laquelle nous pourrions d'ailleurs communiquer. Si nous ne contrôlions que les entreprises qui recourent au rescrit et si nous le faisions systématiquement, la réalité de nos contrôles serait arithmétiquement très différente. Deuxième angle sous lequel nous pourrions communiquer, les équipes chargées du rescrit et les équipes chargées du contrôle ne sont pas du tout les mêmes. Évidemment, c'est la même administration, mais, reconnaissons-le, celle-ci est assez vaste. Une difficulté tient à l'idée répandue d'un contrôle automatique en cas de recours au crédit d'impôt recherche. L'arithmétique pure et simple démontre exactement que c'est tout à fait impossible. Voyez combien d'entreprises recourent à ce dispositif et combien sont contrôlées. Le contrôle de ce chef n'est pas du tout systématique ! Effectivement, nous avons un problème de communication et d'explication, et votre question, monsieur le député, nous incitera peut-être à réfléchir davantage à notre approche en la matière.

Autour des niches fiscales et des avantages de ce type, tout un écosystème se développe, et le crédit d'impôt recherche est évidemment l'un des plus importants dispositifs. Nombreuses sont donc les entreprises dont le métier est d'accompagner les autres entreprises qui veulent bénéficier du crédit d'impôt recherche. Des conseils d'entreprise suggèrent-ils de recourir non au rescrit mais aux prestations de conseil proposées ? Peut-être n'est-ce pas, dans certaines circonstances – sûrement très rares –, totalement impossible… Je me trompe peut-être, mais on peut imaginer ce genre de chose. La sous-utilisation du rescrit tient à tous ces phénomènes.

Peut-être faut-il que notre administration fasse la promotion des niches fiscales, plus qu'elle ne l'a faite jusqu'à présent. Le devoir premier de l'administration fiscale est d'appliquer la loi votée, sans états d'âme. Nous pouvons toujours nous poser des questions en tant que citoyens ; en tant qu'administration, nous savons que c'est compliqué et que cela change souvent – nous-mêmes avons parfois du mal à suivre – mais la loi est la loi, et un avantage fiscal est un avantage fiscal ! D'ailleurs, lors de contrôles, il nous arrive, plus souvent qu'on ne l'imagine, de rétablir au contribuable qui pouvait en bénéficier des avantages qu'il n'avait pas réclamés. Les erreurs décelées lors des contrôles sont parfois au détriment non du trésor public mais du contribuable lui-même.

Tout cela renvoie à la question, plus difficile, de savoir quelle est l'image d'une entité publique comme la DGFiP. Nous souffrons d'un handicap, que j'évoque sans vouloir qu'on y change quoi que ce soit, car j'en suis un farouche partisan : le secret fiscal, dont je suis en quelque sorte, chaque jour, le gardien méthodique. Il conduit effectivement l'administration à rester muette dans toute une série de circonstances, y compris quand des affirmations totalement erronées sont proférées ; elle ne peut répondre publiquement.

C'est à tous ces éléments que tiennent les procès d'intention, les fantasmes, les quiproquos, les erreurs d'interprétation contre lesquels il est difficile de lutter. Je retiens néanmoins votre question comme une incitation à communiquer davantage et une invitation à une promotion plus proactive de ce genre de dispositifs.

S'agissant du référent unique, distinguons deux configurations.

La première est la sphère fiscale. Toute notre administration est organisée de façon qu'entreprises et particuliers aient affaire à un interlocuteur et un seul. Toute personne créant une entreprise reçoit de la part d'un fonctionnaire du service des impôts des entreprises (SIE) une lettre lui précisant son nom et ses coordonnées et lui rappelant les obligations qui s'appliquent. Pour les grandes entreprises, ce référent appartiendra à la direction des grandes entreprises ; pour la majorité des autres entreprises, au service des impôts des entreprises du territoire concerné. Il en va de même pour les personnes physiques : chaque contribuable a un référent au service des impôts des particuliers. Il existe donc un interlocuteur unique pour toutes les questions de gestion, de pédagogie, d'obligations déclaratives, de paiement. Cela ne veut pas dire qu'il résout toutes les questions seul – il peut recourir à des experts dans telle ou telle circonstance – ou qu'il procédera lui-même au contrôle s'il y a lieu.

La deuxième configuration est beaucoup plus large : le référent unique prendrait place dans un agrégat d'administrations différentes, relevant de législations différentes, changement de dimension qui rendrait selon moi – et tous mes propos ici n'engagent que moi – une telle organisation illusoire. Si un guichet unique servant de portail pour accéder à diverses administrations paraît envisageable, il me semble impossible qu'une seule entité soit à même d'apporter un traitement de fond pour des démarches relevant aussi bien du droit du travail que de la législation fiscale, des normes d'hygiène et de sécurité, des bonnes pratiques environnementales ou encore du droit de la construction. Un référent technique ne peut avoir d'utilité que s'il connaît intimement tel ou tel sujet. Je crois au savoir-faire et au professionnalisme des agents publics. On se tromperait et l'on tromperait les entreprises et les particuliers si on leur donnait l'impression qu'une seule et même personne, omnisciente, est capable de résoudre tous leurs problèmes.

S'agissant du maillage territorial des trésoreries, je comprends bien les préoccupations qui sont les vôtres. Nous les vivons comme vous : nous ne procédons jamais à la fermeture d'une trésorerie sans passer par une phase de consultation étroite auprès des parlementaires, des élus locaux, des préfets, des organisations syndicales. Nous avons à arbitrer entre deux valeurs : la présence physique dans un territoire et la qualité du service. Je préférerais pouvoir dire qu'il est possible de les concilier. En réalité, la grande majorité de ces petits postes qui comptent deux, trois ou quatre agents – du moins sur le papier – ne sont plus à même d'apporter un service de qualité, notamment aux collectivités locales qui en ont besoin pour leurs comptes qu'il s'agisse des opérations de recettes comme de dépenses. L'enjeu du resserrement que nous opérons est de trouver un moyen à terme entre partir complètement et rester complètement.

Il faut reconnaître que la qualité, le professionnalisme, la disponibilité, le savoir-faire supposent une certaine masse critique en termes de personnel, ce qui implique de concentrer, donc de s'éloigner de quelques dizaines de kilomètres. Il faut reconnaître aussi que la tradition historique de l'administration – un bâtiment, une administration, un drapeau – est une forme coûteuse, et probablement un peu dépassée, de la présence de l'État dans les territoires. Nous considérons que celle-ci devrait être encore plus technologique qu'elle ne l'est aujourd'hui. La compréhension réciproque ne passe pas nécessairement par la proximité physique. À cet égard, les maisons de services publics, les maisons de services au public, les permanences mais aussi les visioconférences représentent autant de formes de présence intelligente de l'administration dans les territoires. Elles concilient souci d'économies et qualité de service.

Cela suppose de décloisonner, ce qui renvoie à la politique immobilière de l'État, sous-tendue par la volonté d'utiliser le plus rationnellement possible les immeubles, que l'État les possède ou qu'il les loue, et par une logique de concentration. Quel que soit l'angle par lequel on aborde le sujet, on aboutit à la même conclusion : une forme de modernité à plusieurs plutôt qu'un jardin à la française.

J'ajoute que l'évolution qu'ont connue les collectivités territoriales, et plus particulièrement les établissements publics de coopération intercommunale, beaucoup moins nombreux que par le passé, nous fournit peut-être un cadre de référence pertinent pour concevoir des modes différents de présence des administrations.

Monsieur Da Silva, je ne peux vous laisser parler sans protester d'évaluations tronquées » au sujet des niches fiscales. Il me semble nécessaire de distinguer deux objets d'évaluation. Il y a, d'une part, l'évaluation de la dépense fiscale née de la réduction des ressources que l'État autorise, après accord du Parlement, en créant tel ou tel avantage fiscal. Ce coût est parfois difficile à cerner mais j'estime que nos calculs sont raisonnablement conduits. Il y a, d'autre part, les retombées économiques attendues de tel ou tel avantage fiscal. Sur un plan strictement technique, cette évaluation qui mobilise économistes et statisticiens est beaucoup moins aisée à mener. Ce sont peut-être ces évaluations que vous estimez tronquées.

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