Une nouvelle fois, les frais bancaires sont à l'ordre du jour de notre assemblée, à l'initiative de notre groupe, et je m'en félicite. Mon collègue Alexis Corbière – qui ne peut pas participer à la discussion comme prévu, en raison du report de celle-ci après que nous avons siégé la nuit dernière – rapportait il y a un an et demi une proposition de loi visant à plafonner ces frais. La majorité des groupes parlementaires – six sur dix – avait alors soutenu cette proposition. Malgré ce soutien, la proposition de loi a été rejetée, la majorité préférant s'en remettre à la « bonne foi » des banques plutôt qu'à la loi. En mai 2020, en pleine crise sanitaire, cette même majorité a refusé la proposition d'Alexis Corbière d'annuler ces frais pendant la période de la crise. Chômeurs, étudiants et salariés à temps partiel ont donc continué à payer des frais en pleine pandémie ; aucune trêve ne leur a été accordée.
Un an et demi plus tard, on peut s'interroger sur le bilan. La « bonne foi » des banques a-t-elle porté ses fruits ? Non : cet impôt privé ponctionne toujours 8 millions de nos concitoyens, particuliers comme professionnels, notamment les patrons de très petites entreprises (TPE) et de petites et moyennes entreprises (PME). C'est une contradiction criante avec les discours récents de Bruno Le Maire vantant le maintien du pouvoir d'achat pendant le quinquennat. On a entendu ce discours pendant des semaines et des mois – contre toute vérité, comme l'ont révélé plusieurs instituts dont l'Institut des politiques publiques (IPP).
De nombreux témoignages recensés par les associations confirment malheureusement cette contre-vérité et parlent d'eux-mêmes. J'en cite quelques-uns : Caroline, une jeune femme qui touche la garantie jeunes de 497 euros à la suite de la perte de son emploi, a payé 500 euros de frais au cours des derniers mois de 2021 ; le médiateur lui a accordé une remise de 20 euros. Pour Sophia, professionnelle d'une boutique de vêtements, ce furent 2 650 euros de frais en 2021 ; pour Étienne, jeune actif, 225 euros de frais en août 2021, en un seul mois ; pour Maxime, un jeune qui a dû arrêter ses études pendant la crise du covid comme beaucoup de jeunes, malheureusement, ce furent 1 000 euros de frais en 2020.
Au total, plus de 10 milliards d'euros sont ponctionnés chaque année par les banques. Depuis 2008, les frais bancaires ont été multipliés par dix ; ils sont les plus élevés en Europe. Les banques n'ont jamais communiqué de chiffre précis, sans remettre en cause non plus cette estimation issue des travaux de l'association Banques Infos Recours.
Quelle réalité concrète se cache derrière la formule « frais bancaires » ? Commençons par dire que ces frais ne sont pas la rémunération normale d'un service financier : ils sont une sanction inutile et injuste pour les clients. Commission d'intervention ? 20 euros. Rejet de prélèvement ou de chèque ? 20 à 40 euros. Frais de courrier ? Entre 12 et 25 euros pour un simple e-mail envoyé au client, alors que le coût est nul pour la banque. Pour les ménages, c'est la spirale du surendettement qui commence avec les frais bancaires. Jusqu'à plusieurs centaines d'euros par mois sont ainsi ponctionnés sur les comptes des clients. Toutes ces opérations étant gratuites pour les banques, ces frais n'ont aucune justification.
Je devine déjà les arguments que vous opposerez très certainement, madame la ministre déléguée, à notre proposition de plafonnement. Je les devine car ils se suivent et se ressemblent depuis trois ans. Je serais ravi que vous me mettiez dans l'erreur, mais je crains fort qu'ils soient bien les mêmes. Vous allez dire que ces plafonds existent déjà – mais ils sont très insuffisants. L'offre destinée aux clients fragiles datant de septembre 2018, par exemple – qui n'est qu'un engagement des banques basé sur leur bonne foi, en fonction de leur politique commerciale, avec un plafond de 20 euros par mois – concerne 600 000 personnes sur 3,8 millions de clients éligibles. Vous admettrez avec moi que c'est bien peu.
À la suite de la présentation de la proposition de loi d'Alexis Corbière, Bruno Le Maire avait annoncé vouloir que les clients fragiles accèdent plus vite et plus longtemps à cette offre. Il avait publié dans ce but un décret le 22 juillet 2020, rendant obligatoire la publication des critères retenus par les banques pour déterminer les clients éligibles à cette offre, dits clients fragiles.
Mais la loi n'impose toujours aucun critère et les banques sont libres de les déterminer elles-mêmes. Concrètement, toutes les banques retiennent un critère de revenu : leurs clients doivent gagner moins de 1 500 euros pour bénéficier de l'offre. Ce critère n'est pas fondé sur le niveau de vie. Par exemple – je le précise, pour bien montrer qu'on est loin des revenus des personnes aisées –, une femme seule avec trois enfants et gagnant plus de 1 500 euros n'y est pas éligible, pas plus qu'une personne en cours de divorce ou une personne malade, atteinte d'un cancer, percevant le même revenu. Je ne cite ici que des cas concrets et réels. En dépit de leur situation difficile, ces personnes n'ont pas accès au plafond de l'offre clients fragiles. J'ajoute une précision : les professionnels et autoentrepreneurs, dont beaucoup sont en réalité des travailleurs ubérisés qui n'ont d'entreprise que le nom, sont exclus des plafonds actuels malgré leur situation précaire.
Enfin, l'un de vos arguments redondants consiste à dire que plafonner les frais bancaires reviendrait à menacer le personnel des banques. C'est faux ! Les résultats nets des banques sont en forte hausse, ce qui leur permet d'appliquer un plafonnement sans pour autant licencier leur personnel ; ce n'est qu'un chantage. Je cite quelques chiffres : le Crédit agricole a enregistré un bénéfice net en hausse de 25,7 % au troisième trimestre 2021, en pleine crise du covid. BPCE – Banque populaire et Caisse d'épargne – a vu son bénéfice net multiplié par deux en une année, atteignant 1,33 milliard au troisième trimestre 2021. Celui de BNP Paribas a crû de 31,2 % en 2021 pour atteindre 7,2 milliards d'euros. En août 2021, la Société générale a réalisé son meilleur trimestre avec un bénéfice net de 1,44 milliard d'euros. A-t-elle pour autant annulé les 3 700 suppressions de postes programmées pour 2023 ? Évidemment non.
En somme, je constate que le Gouvernement est adepte de la politique des très petits pas en matière de plafonnement, et que ce sujet n'est pas sa priorité. Le 4 février 2021, au cours de l'émission « Cash investigation » consacrée au frais bancaires, Bruno Le Maire rappelait sa priorité, qui ne répond pas à nos exigences en la matière. Il disait : « Ma responsabilité de ministre des finances, c'est de faire attention à ce que nos banques restent rentables ». Non : la responsabilité du Gouvernement est de faire attention à ce que les Français vivent dignement. Pourquoi, dès lors, ne pas opter pour le plafonnement général issu de la proposition de loi que nous avons présentée il y a un an et demi ? Le plafond proposé, très franchement, n'avait rien de révolutionnaire : 200 euros par an, 20 euros par mois, 2 euros par opération.
Je voudrais souligner, en conclusion, que ni les plafonds actuels ni les mesures ciblant certaines populations ne protègent contre les phénomènes de frais en cascade, dont j'ai souligné qu'ils peuvent conduire à des situations d'extrême pauvreté. L'impôt privé que sont les frais bancaires organise, parce que c'est un impôt privé, une solidarité inversée au service des banques. Rien ne le justifie. Je vous le dis, madame la ministre déléguée, chers collègues de la majorité : il est temps de plafonner ces frais.