Près d'un Français sur deux a été à découvert au moins une fois en 2021, et près de 20 % de nos concitoyens sont à découvert tous les mois. De cette situation peut découler une spirale dangereuse – agios, frais d'incidents bancaires, endettement… –, qui mène parfois à des interdictions bancaires ou à des procédures dites de rétablissement personnel – autrement dit, à la faillite et à la liquidation des biens.
Pourtant, ces frais rapportent gros. D'après l'Institut national de la consommation, les banques gagnent 6,5 milliards d'euros chaque année grâce aux frais d'incidents bancaires. Chaque année, les dettes bancaires de nos concitoyens sont les vaches à lait des sociétés de recouvrement, qui ne respectent pas toujours la loi. Ces quelques chiffres édifiants ressortent de l'enquête de l'émission Cash investigation diffusée en février par France Télévisions – j'en profite pour dire combien nous pouvons être fiers du journalisme d'investigation de qualité qui existe en France, et qui est parfois menacé ; il nous permet de pointer du doigt des pratiques scandaleuses.
Les quelques chiffres que je viens de citer ne sauraient décrire la violence et l'humiliation que représentent ces situations pour tous ceux qui sont confrontés à des tarifs absurdes alors qu'ils sont démunis, et même parce qu'ils sont démunis. Ils sont plus de 3 millions en France, souvent trop peu payés pour vivre correctement, touchés de plein fouet par le montant des loyers, le manque d'isolation thermique et la hausse du prix du carburant. Je pourrais également mentionner les dettes forcloses, dont les sociétés de recouvrement vautours demandent malgré tout le remboursement. Je vous invite à écouter une de leurs interventions, absolument lunaire, qui figure dans l'enquête de Cash investigation : à grand renfort de menaces, d'infantilisation et de culpabilisation, le mécanisme est malhonnête et indécent. En laissant prospérer de telles pratiques, on condamne la pauvreté, tandis qu'on taxe de moins en moins les plus riches.
Les frais bancaires sont révélateurs d'une société qui a perdu le sens des priorités. C'est pourquoi, en juin 2020, le groupe La France insoumise a proposé un plafonnement généralisé de ces frais. La proposition a été refusée par la majorité, le Gouvernement préférant prendre un décret pour préciser la définition des clients fragiles. Un plafonnement existe actuellement, à 25 euros par mois et 300 euros par an, à partir de cinq incidents de paiement au cours d'un même mois. Pour les clients fragiles, ce plafonnement est prévu pour une durée de trois mois minimum ; il descend à 20 euros si la personne bénéficie de l'offre client fragile. Or cette dernière est très contraignante : l'intéressé ne peut faire que deux chèques et quatre virements par mois, sans découvert autorisé. Aussi n'est-elle pas toujours acceptée par les clients susceptibles d'être fragiles. En outre, cette offre utile pour prévenir l'entrée dans le cercle vicieux des frais d'incidents bancaires n'est pas mise en avant par les banques. Pourquoi ? Parce qu'elle rapporte peu.
On pourrait penser que le fonctionnement est comparable à l'étranger, mais il n'en est rien. Prenons l'exemple des frais de rejet de prélèvement : d'après le Comité consultatif du secteur financier (CCSF), ils atteignent 20 euros en France contre 7,5 euros en Belgique et 3 euros en Allemagne, et peuvent monter jusqu'à 39 euros en Espagne. Si le statut de client fragile, qui n'existe pas chez tous nos voisins, est un élément positif, il n'en reste pas moins qu'un système qui pénalise les pauvres parce qu'ils sont pauvres n'a aucun sens.