Je suis heureux de vous retrouver pour l'examen en séance publique du projet de loi en faveur de l'activité professionnelle indépendante, et ainsi de poursuivre l'action de mon collègue Alain Griset, très engagé sur le sujet, qui a donné lieu à la présentation du plan « indépendants » par le Président de la République lui-même. Permettez-moi aussi de saluer le travail que nous avons mené ensemble, avec la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi, depuis le 14 décembre. Je veux remercier Mme la présidente ainsi que Mme et M. les rapporteurs et tous les membres de la commission spéciale, qui ont d'ores et déjà marqué de leur empreinte le présent texte, grâce aux amendements adoptés en décembre dernier.
Vous le savez, ce projet de loi est la pierre angulaire du plan d'action en faveur des travailleurs indépendants, annoncé le 16 septembre dernier. Une telle initiative était pour le moins attendue puisque voilà presque trois décennies qu'il n'y avait pas eu de plan d'ensemble dédié aux travailleurs indépendants. Certes, des dispositions avaient été prises en la matière dans certains textes de loi, notamment des lois de finances, mais une vision d'ensemble, articulée et déclinée en mesures cohérentes, manquait depuis 1994 et la loi Madelin relative à l'initiative et à l'entreprise individuelle.
Ce plan s'adresse aux 3 millions d'indépendants que compte la France : entrepreneurs, artisans, commerçants, professionnels libéraux ou dirigeants de société. Chargé de sens, il fait vivre un corpus de valeurs auxquelles nous sommes particulièrement attachés, Bruno Le Maire et moi-même, et qui tiennent en une formule : l'esprit d'entreprise.
L'esprit d'entreprise, c'est, pour un entrepreneur, voir ce que d'autres n'ont pas vu avant lui ; c'est partir à l'aventure, à la conquête ; c'est se bagarrer de toutes ses forces pour faire naître un projet et pour le faire grandir ; c'est parfois accepter de tomber pour mieux se relever ; bref, c'est prendre son risque. C'est tout cela qui permet de créer de la valeur et de faire en sorte que l'économie bleu-blanc-rouge se porte mieux.
L'esprit d'entreprise, c'est noble. Chaque jour, 3 millions d'indépendants le font vivre et pour cela, nous leur devons beaucoup. C'est la raison d'être de toutes les mesures qui ont été adoptées tout au long du présent quinquennat. Depuis 2017, en effet, le Gouvernement et la majorité parlementaire ont pris bon nombre de dispositions pour améliorer le quotidien des travailleurs indépendants. En plus des allègements de charges, comme la suppression de la cotisation foncière des entreprises (CFE) pour celles réalisant moins de 5 000 euros de chiffre d'affaires, nous avons simplifié les démarches des indépendants, notamment – vous vous en souvenez – en supprimant le RSI, le régime social des indépendants.
Notre ambition est néanmoins d'aller plus loin, pour répondre à des demandes fortes émanant des entrepreneurs, qui souhaitent être mieux protégés face aux accidents de la vie et mieux accompagnés, de la création de leur entreprise à sa transmission, mais aussi bénéficier d'un accès simplifié à l'information et aux démarches.
Au-delà du projet de loi aujourd'hui en discussion, le plan comporte des mesures fiscales et sociales dont vous avez discuté dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) et du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2022 ; entrées en vigueur il y a une dizaine de jours, ces mesures bénéficient donc déjà aux indépendants. Ceux-ci attendaient leur mise en application car elles répondent à l'urgence de la crise sanitaire et apportent des solutions concrètes à certains problèmes qu'ils rencontrent.
Je pense à la validation des droits à la retraite des indépendants, qui ont été affectés par la crise sanitaire, quelle que soit la perte d'activité subie. Les effets de la crise sur le versement des indemnités journalières ont également été neutralisés afin de protéger les droits sociaux des indépendants.
Je pense également aux mesures prises pour faciliter la transmission d'entreprise, que ce soit pour les cédants ou pour les repreneurs. Ainsi, la déduction fiscale exceptionnelle pour l'amortissement des fonds de commerce acquis de 2022 à 2025 représente une réelle réduction des coûts pour les repreneurs. Songez-y : un indépendant rachetant un établissement pour 100 000 euros pourra déduire du résultat imposable de son entreprise l'amortissement pratiqué en comptabilité, soit un montant annuel de 10 000 euros par an pendant dix ans. De même, l'augmentation des plafonds d'exonération des plus-values réalisées lors des cessions d'entreprises individuelles soutiendra les cédants dans la transmission de leur activité.
Je pense enfin au doublement du crédit d'impôt pour la formation des dirigeants d'entreprises de moins de dix salariés, qui leur permettra – nous l'espérons – d'y avoir davantage recours.
Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui répond à une double exigence : d'un côté, renforcer la protection et l'accompagnement des indépendants, et de l'autre, simplifier leur vie quotidienne et leurs démarches.
S'agissant du volet relatif à la protection et à l'accompagnement, il faut rappeler qu'être entrepreneur, c'est accepter un risque économique ; c'est décider de se lancer dans un projet dont on espère la réussite mais dont on ne connaît pas d'emblée l'issue. Mais permettez-moi de rappeler qu'en 2020, la France a atteint un nouveau record avec 840 000 créations d'entreprises, soit 4 % de plus qu'en 2019. Cette tendance s'est poursuivie de manière tout à fait intéressante en 2021, puisque plus de 900 000 entreprises ont été créées en France entre janvier et novembre. Un tel dynamisme reflète à la fois un haut niveau de confiance dans l'avenir et la dynamique créatrice à l'œuvre dans le pays. Néanmoins, la crise actuelle a exacerbé les risques qui pèsent sur les entrepreneurs et les difficultés qu'ils peuvent rencontrer. Par conséquent, nous ne pouvons que nous satisfaire des avancées contenues dans le présent projet de loi.
Nous avons ainsi décidé d'accompagner chaque entrepreneur dans le cadre de sa formation ou au moment où il cherche à rebondir. L'article 10 crée un statut unique protecteur du patrimoine personnel pour l'exercice en nom propre d'une activité professionnelle. Désormais, seuls les éléments utiles à l'activité professionnelle de l'entrepreneur individuel pourront être appréhendés en cas de défaillance. Depuis 2015, grâce à une avancée permise par le Président de la République, qui était alors ministre de l'économie et des finances, il n'est déjà plus possible de saisir sa résidence principale. Le présent projet de loi nous permet d'aller encore plus loin : demain, il ne sera plus possible de saisir le bien personnel, quel qu'il soit, d'un entrepreneur. C'est une avancée considérable : elle permettra d'éviter une double peine à l'indépendant qui, en plus de difficultés professionnelles, devait jusqu'alors gérer un risque pesant sur son patrimoine personnel et affectant naturellement sa vie privée et familiale.
Eu égard aux amendements qui ont été déposés sur le texte, je veux rassurer les parlementaires qui nous ont sollicités sur le sujet spécifique des agriculteurs. Le projet de loi ne remet en question ni les spécificités de leur activité ni les exceptions dont ils bénéficiaient grâce au dispositif de l'EIRL – entreprise individuelle à responsabilité limitée. Nous aurons l'occasion d'y revenir dans nos débats.
Le projet de loi permettra par ailleurs de faciliter la transformation d'une entreprise individuelle en société. Une telle simplification, résultant d'une demande unanime des professionnels, est essentielle pour accroître le tissu des PME françaises.
Le texte vise ensuite à accompagner le rebond des entrepreneurs, en leur permettant de devenir éligibles à l'allocation des travailleurs indépendants (ATI). Nous levons ainsi un certain nombre de verrous, de cadenas qui, dans la première version de l'ATI, empêchaient qu'elle profite à un grand nombre d'entre eux : tous ceux qui cesseront leur activité parce qu'elle sera devenue économiquement non viable pourront désormais en bénéficier. Nous préciserons par décret que l'appréciation de ce critère se fondera sur l'évolution de leur revenu à la baisse, qui devra atteindre 30 % d'une année sur l'autre. Je remercie notamment le député Dominique Da Silva pour sa mobilisation sur ce sujet et pour son amendement, adopté en commission, qui a permis de supprimer la date d'échéance du dispositif en 2024, ajoutée par la Haute Assemblée en première lecture.
Par ailleurs, le Gouvernement et les rapporteurs ont déposé un amendement afin que le montant mensuel de l'ATI ne puisse être supérieur au revenu moyen mensuel perçu par le travailleur indépendant sur la durée antérieure d'activité, à laquelle est subordonné son droit à l'allocation. Un plafond sera donc introduit, mais un plancher le sera aussi, pour faire en sorte que le montant de l'ATI ne puisse jamais être inférieur à 600 euros. Le recours à l'ATI sera aussi limité dans le temps : une même personne pourra en bénéficier au maximum tous les cinq ans à compter de la date à laquelle elle a cessé d'en bénéficier au titre d'une activité antérieure.
Enfin, l'un des décrets prévus dans le texte viendra compléter la réforme en assouplissant le critère selon lequel l'entrepreneur doit avoir perçu 10 000 euros de revenus par an pendant deux ans pour toucher l'ATI : ce critère ne sera désormais exigé que pour la meilleure des deux années. C'est une mesure d'assouplissement majeure, juste et équitable, qui permettra à un plus grand nombre d'indépendants de bénéficier du dispositif.
Le rebond des indépendants sera également facilité par une mesure permettant que les dettes de cotisations et de contributions sociales contractées par les dirigeants majoritaires de sociétés à responsabilité limitée (SARL) puissent être effacées dans le cadre d'une procédure de surendettement des particuliers. C'est l'objet de l'article 8 du projet de loi.
Le deuxième volet du projet de loi concerne la simplification. Vous le savez, de nombreux indépendants subissent des irritants au quotidien ; on en rencontre souvent, dans les circonscriptions, qui ont du mal à trouver l'information ou le dispositif qui pourrait leur être utile et dont ils pourraient bénéficier. Notre objectif est de simplifier leur environnement juridique, leur accès à l'information et à la formation – à laquelle ils ont trop peu recours. En 2019, seulement 16 % des indépendants ont bénéficié d'une action de formation financée par un fonds d'assurance formation. D'où l'idée de fusionner les fonds d'assurance formation afin que les chefs d'entreprises exerçant une activité artisanale n'aient plus qu'un seul organisme chargé de la gestion de la contribution à la formation.
En matière de simplification de l'environnement juridique, je citerai quatre mesures essentielles. La première – prévue à l'article 6, supprimé par le Sénat – vise à habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance afin de clarifier les règles communes aux professions libérales réglementées. La réforme proposée s'appuie sur des rapports antérieurs et a fait l'objet de concertations avec les professionnels. Toutefois, compte tenu de la diversité des professions libérales, nous avons souhaité continuer les consultations pour ajuster les réformes en fonction des attentes et des besoins de chaque profession. Nous voulons faire du sur-mesure. Le Gouvernement a déposé un amendement pour rétablir cette habilitation et conduire cette réforme demandée depuis de longues années par les professionnels libéraux réglementés eux-mêmes.
Avec la deuxième mesure, prévue à l'article 11, le Gouvernement tire les conclusions de plusieurs décisions du Conseil constitutionnel en matière de discipline des experts-comptables. Nous proposons notamment d'augmenter le nombre de magistrats afin d'améliorer l'efficacité et le fonctionnement des instances disciplinaires.
La troisième mesure tend à protéger et à simplifier l'activité des artisans. Les dispositions relatives à ces professions sont éparpillées entre le code de l'artisanat et une douzaine de textes législatifs et réglementaires, comme le député Philippe Huppé l'a mis en exergue dans ses travaux. C'est pourquoi nous souhaitons recodifier l'ensemble des mesures existantes en un seul texte, à droit constant, pour clarifier l'environnement juridique et sécuriser les artisans. Au passage, je voudrais rassurer les parlementaires qui m'ont saisi au sujet du droit local spécifique à l'Alsace-Moselle. Je vous le reconfirme : nous ne toucherons en aucun cas aux différentes spécificités des chambres des métiers, ni à la taxe pour frais de chambre.
Avant de conclure, je tiens à saluer de nouveau le travail parlementaire déjà accompli sur ce texte, qui ne manquera pas de se traduire aujourd'hui par de nouvelles avancées, comme celles proposées par le député Jean-Paul Mattei à l'article 1er , à l'issue d'un travail acharné – je veux le remercier une fois encore pour son ouverture d'esprit et sa disponibilité. D'autres initiatives, venues des bancs de l'opposition, devraient aussi se concrétiser – je pense à l'extension du congé paternité aux agents publics des chambres de commerce et d'industrie (CCI). De nombreux groupes ont tenu à se joindre à ce bel élan.
Les discussions à venir me permettront d'expliciter d'autres points, mais nous voulons avant tout faire passer le message suivant aux quelque 3 millions d'indépendants : osez, entreprenez, prenez votre risque et, en échange, l'État sera là pour vous accompagner et non pour vous enquiquiner. J'espère que ce pacte passé avec eux permettra de susciter des vocations, de faire en sorte qu'il y ait de plus en plus d'entrepreneurs, d'indépendants. Tel est, en tout cas, le sens du texte soumis à votre examen.