Si l'amendement est présenté dans l'hémicycle, je pourrai vous lire le décret pris en Conseil d'État, avec les domaines où il est permis au règlement de déroger au règlement. Je suis assez d'accord avec la philosophie de cet amendement. Pour les fondateurs de la Ve République, le Parlement ne devait pas aller sur le terrain de l'exécutif, et le juge constitutionnel censure parfois des dispositions législatives sur cette base, mais les deux domaines ont tout de même tendance à se mêler.
Mais je pense que M. Aubert s'y prend mal si le but est de s'adapter aux territoires. Il est vrai que le législateur peut connaître des difficultés. Je ne me permettrai pas de dire qu'il peut être bavard ou incomplet, mais prenons l'exemple du département des Hautes-Alpes, qui abrite le plus grand lac d'Europe. La préfète des Hautes-Alpes a des difficultés pour appliquer la loi montagne et la loi littoral, complètement contradictoires s'agissant de ce lac qui est totalement original. On pourrait imaginer que la préfète ait le bon sens d'appliquer ce qui convient le mieux pour le développement du tourisme, tout en comprenant l'intention du législateur.
Mais je ne crois pas que ce soit en lui permettant de déroger à la loi sans encadrer ni expérimenter que nous y arriverons. Tout d'abord, la loi est de portée générale et il nous appartient tous – Gouvernement et Parlement – de nous conformer à l'idée que c'est une volonté générale, et pas des volontés particulières.
En second lieu, la solution que nous avons retenue dans ce texte consiste à dire qu'il y a un droit à l'erreur, que des expérimentations nous permettront peut-être de généraliser un certain nombre de dérogations, et surtout que notre démocratie moderne doit s'adapter aux territoires tout en comprenant que la loi de la République est commune : nous ne sommes pas dans un système fédéral où chacun légifère. Peut-être que certains le souhaiteraient, mais je sais très bien que M. Aubert n'est pas de cette famille politique.
Le résultat, c'est que nous devons avoir des lois qui fixent les buts, pas les moyens pour les atteindre. C'est tout l'intérêt du permis de faire. Par exemple, dans la construction, beaucoup de normes alourdissent le coût de construction. Elles définissent des buts tout à fait louables, mais en imposant des moyens tellement difficiles que des lobbies se cachent parfois derrière ces normes réglementaires et législatives qui alourdissent le coût de la construction et la rendent plus difficile.
Le permis de faire est prévu dans le projet de loi dont nous discutons, mais aussi dans la loi logement que présenteront MM. Mézard et Denormandie. Si notre but est qu'il n'y ait pas de particules fines dans cette pièce, ou au contraire qu'elle ait une ventilation normale, ou qu'elle soit accessible aux personnes handicapées, il n'appartiendra plus à la loi ou au règlement de définir les moyens d'y arriver. Si le but fixé par la loi est un seuil de particules fines, qu'importe la manière dont la pièce sera construite. Cela permettra l'innovation, et des entreprises pourront sortir d'un carcan administratif certes légitime, bien que parfois poussé par des lobbies, mais qui a abouti à augmenter le coût de construction.
Il me semble que la finalité poursuivie par M. Aubert sera mieux atteinte avec le permis de faire, qui fixe des buts et non des moyens, qu'en permettant des dérogations à des lois bavardes, incomplètes ou difficiles. Nous pourrons en débattre dans l'hémicycle, et je pourrai préciser les domaines dans lesquels le règlement ferait exception au règlement, et pour lesquels le décret en Conseil d'État prévoit un certain nombre de dispositions exceptionnelles permettant ces dérogations et ces expérimentations. Mais notre objectif général doit plutôt être le permis de faire.