Intervention de Michel Castellani

Séance en hémicycle du jeudi 13 janvier 2022 à 15h00
Nationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Castellani :

Près de seize ans après la privatisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes, le bilan est implacable pour l'État. Plus qu'une incurie, cette décision historique fut une faute politique et économique majeure – d'autres l'ont déjà dit avant moi. Alors que certaines concessions historiques arriveront à échéance d'ici à 2031, il nous faut engager dès à présent un débat sur l'avenir de la gestion du réseau.

Je rejoins ainsi un grand nombre des critiques formulées par Mme la rapporteure et le groupe La France insoumise à l'encontre des sociétés de concessions autoroutières. La privatisation menée en 2006 par le gouvernement Villepin a été un véritable échec : la cession de parts, effectuée de manière morcelée et sans réelle mise en concurrence, a fortement limité les recettes que l'État aurait pu en retirer. La commission d'enquête sénatoriale sur le contrôle, la régulation et l'évolution des concessions autoroutières évoque un profit inférieur à 15 milliards d'euros, ce qui signifierait une perte de près de 6,5 milliards d'euros pour les finances publiques.

Au-delà de ces seuls enjeux financiers, c'est surtout le déséquilibre des relations contractuelles entre l'État et les sociétés concessionnaires qui apparaît inacceptable. À cet égard, les discussions entre l'État et les sociétés concessionnaires, entre 2013 et 2015, n'ont permis qu'un rééquilibrage partiel. Par ailleurs, le protocole d'accord, trouvé après de difficiles négociations, a conduit à un allongement supplémentaire de la durée des concessions.

Dans cette situation, un contraste saisissant doit nous alerter : d'un côté, la rentabilité exceptionnelle des groupes titulaires des concessions et, de l'autre, des prix de plus en plus élevés pour l'ensemble des automobilistes. Les dividendes de ces groupes atteignent désormais des niveaux si élevés qu'ils s'apparentent à de véritables rentes. À partir de 2022, les trois principaux groupes pourraient ainsi voir leurs profits atteindre les 40 milliards d'euros, dont 32 milliards pour les seuls Vinci et Eiffage. Il paraît difficile d'accepter de tels résultats quand, toujours en 2022, les tarifs des péages poursuivent leur augmentation et pèsent durablement sur l'ensemble des Français.

Face à ce constat, une réaction s'impose, même si le rachat des participations pose de sérieuses difficultés et si agir dans la précipitation pourrait nous faire tomber dans les mêmes travers qu'en 2006. Mettre fin aux contrats de manière anticipée et opter pour une nationalisation auraient un coût substantiel. Votre rapport fait état des différentes estimations, qui oscillent généralement entre 40 et 50 milliards d'euros : il semble objectivement difficile de faire peser une telle facture sur nos finances publiques.

Notre groupe prend acte des annonces que vous avez formulées lors de l'examen du texte en commission. Pour la première fois, vous avez proposé une possible indemnisation réduite à 15 milliards d'euros, même si la présente rédaction de votre dispositif législatif ne prévoit pas explicitement une telle compensation.

Depuis 1982, le Conseil constitutionnel exige pourtant le versement d'une « juste et préalable indemnité » pour toute nationalisation. Vous mentionnez à juste titre cette décision dans votre rapport, mais sans en tirer les conséquences. Aussi paraît-il nécessaire d'inscrire dans le texte le principe d'une telle indemnité, quitte à déterminer ultérieurement les conditions de son paiement.

Au-delà de cette réserve juridique, nous considérons également que la fin anticipée des contrats n'est pas une option raisonnable ni réalisable. Le coût des indemnités à verser aux sociétés concessionnaires, qu'il s'élève à 15 milliards ou à 40 milliards d'euros, demeure excessif.

Faut-il pour autant rester les bras croisés en attendant la fin des concessions historiques ? Non, il appartient à l'État de se préparer dès à présent, afin de les repenser. Commençons par mettre fin aux allongements des contrats sans mise en concurrence, ces prolongations successives ne faisant qu'aggraver la situation.

En outre, une réflexion devrait être envisagée pour réduire sensiblement les tarifs des péages. Une telle baisse serait raisonnable compte tenu de la rentabilité démesurée des concessions autoroutières et dans la mesure où les usagers sont, au fond, captifs dans cette situation.

Plus généralement, il appartient à l'État de repenser en profondeur la gestion de nos autoroutes. Lors des négociations à venir, j'estime que la priorité devra être donnée à un rééquilibrage économique et financier des concessions, sans oublier l'enjeu du verdissement du réseau.

En somme, madame la rapporteure, ce texte soulève un sujet essentiel et je tiens à vous remercier de nous avoir permis d'en débattre.

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