Un des moments qui ont été pour moi les plus gratifiants dans la vie du Parlement, c'est lorsque, il y a trois ans, nous avons organisé avec l'Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), l'INRAE, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), ainsi que de nombreuses organisations agricoles et ONG, un colloque qui posait une question fondamentale : l'Europe peut-elle se passer des pesticides ? La réponse de l'IDDRI a été discutée de façon scientifique et démocratique par toutes les parties prenantes du colloque. À quatre ou cinq ans près, pour toutes, l'horizon était 2050.
Comme nous avons gagné au siècle dernier la bataille contre les bactéries, nous pouvons envisager une sortie de la chimie. Entre 1950 et 2050 se sera écoulé un siècle de transition de la chimie ; de nouvelles technologies et de nouveaux systèmes nous permettront de nous en affranchir. C'est cet esprit qui m'anime depuis longtemps. Ce n'est pas une position tiède, mais une ligne d'action.
J'y fais peu référence car je n'aime pas mélanger les fonctions mais il y a trente ans que, à la ferme dans laquelle je travaillais avec mes associés, nous avons arrêté d'utiliser le Roundup et plus généralement tous les pesticides pour changer de système. J'ai poursuivi cette action comme élu local : il y a près de 25 % d'agriculture biologique sur mon territoire et un vignoble dont 90 %, selon les normes de haute valeur environnementale (HVE), relève de l'agrobiologie et 85 % de l'agriculture biologique.
J'ai continué cette action comme député à partir de 2012. Monsieur Dumont, vous avez critiqué Stéphane Le Foll avec une grande injustice. Je pense que le ministre ne partagerait pas vos critiques, qui sont un peu insensées, cependant je me console en me disant que ces attaques sont plutôt bon signe sur le plan politique, dans cette période.
J'ai continué de m'engager en rédigeant le rapport « Pesticides et agroécologie, les champs du possible », à la demande de Stéphane Le Foll, afin de réécrire le Grenelle de l'environnement et le plan Écophyto I. Je me suis engagé à travers ce rapport et ses 68 propositions. J'ai travaillé à la définition du biocontrôle dans le code rural et de la pêche maritime, or le biocontrôle comporte de nombreux avantages. J'ai travaillé également sur la phytopharmacovigilance. Je ne suis pas peu fier, grâce aux amendements que j'ai présentés, d'avoir permis le retrait du métham sodium, par exemple. Douze autres molécules et produits sont en cours d'instruction grâce à ce processus de phytopharmacovigilance. En revanche, la proposition des certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP) a connu un destin funeste. J'ai participé aux états généraux de l'alimentation qui se fondaient sur quatorze propositions systémiques pour une alimentation durable pour tous. Bref, j'ai mené cette action constante comme paysan, comme animateur d'un territoire, d'un pays, et comme député.
Et pourtant, monsieur le rapporteur, à travers moi, le groupe Socialistes et apparentés dira son opposition à votre proposition. Il le dira de manière singulière, en ne prenant pas part au vote. Je réitère ici la position que j'ai défendue contre vents et marées. En effet, je me suis opposé à toutes les démagogies, à toutes les simplifications et à tous les simplismes.
Je le répète : il n'appartient pas au Parlement de décider du retrait ou non d'une molécule. Sur le plan démocratique et scientifique, ce serait une régression majeure. Tout l'art des démocraties modernes est de constituer des institutions fondées sur l'éthique. Je ne suis pas peu fier d'avoir été l'auteur d'un amendement qui a contribué à déplafonner les moyens de l'ANSES afin qu'elle puisse répondre pleinement à sa mission. Nous devons les renforcer et les conforter. Comme vous, nous savons qu'il y a un immense chantier de réforme de l'agence de sécurité sanitaire européenne, que la présidence française pourrait au moins permettre d'ouvrir.
Mais je refuse l'idée que la dictature du marché soit remplacée par la dictature de l'opinion. C'est la science et la démocratie qui, ensemble, doivent choisir les rythmes. À nous de fixer des cahiers des charges et des conditions d'exercice de ces institutions.
La commission nationale de déontologie et d'alerte sur les risques sanitaires affirme que, en 2017, sur le glyphosate, l'Europe a mal travaillé. Avant de rendre son rapport en décembre 2022, elle doit mieux travailler. Cette commission appelle à une révision totale des cadres, des règles de gestion des conflits d'intérêts et des processus afin d'aboutir à une décision indépendante de tout conflit d'intérêts et de tout lobby, qui détermine réellement, en fonction d'un cahier des charges défini démocratiquement, si nous devons ou non refuser le glyphosate.
La guerre des molécules est sans fin car c'est bien de l'ensemble des pesticides que nous devons nous affranchir collectivement par une agroécologie systémique – comme je l'ai démontré, par exemple, s'agissant des néonicotinoïdes, en proposant la stratégie « un plan B comme betterave ».
Or cette volonté d'imposer une molécule de substitution au glyphosate pourrait aboutir à l'introduction de trois molécules alternatives, dont le fluroxypyr et le dicamba, utilisés sur le liseron et le rumex, plus dangereuses, du point de vue toxicologique et écotoxicologique, que le glyphosate que nous voulons dénoncer aujourd'hui.
Nous devons travailler autrement en conjuguant science et démocratie. Nous refusons d'entrer dans une logique qui, demain, pourrait se révéler démagogique et dangereuse. Imaginons par exemple que nous l'appliquions aux médicaments ou aux vaccins qui sont actuellement en débat. Je propose donc que nous nous engagions dans une autre démarche, celle que j'ai définie dans des articles publiés par la Fondation Jean-Jaurès, l'un sur l'agribashing et, l'autre, plus récent, sur l'approche dite One health – une seule santé.