Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du jeudi 13 janvier 2022 à 15h00
Légalisation du cannabis sous le contrôle de l'État — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Je viens ici, au nom du groupe La France insoumise, avec l'intention de faire franchir un pas supplémentaire à la question de la légalisation du cannabis sous contrôle de l'État, de la manière la plus constructive possible.

Il s'agit d'un sujet dont tout montre, depuis des mois, qu'il est largement transpartisan. C'est la raison pour laquelle mon groupe a mis sa niche à disposition pour une proposition de loi signée non seulement par ses membres, mais aussi par des députés qui appartiennent à pas moins de cinq des groupes de notre assemblée, sans compter les non-inscrits. J'espère que cette volonté permettra, comme en commission, d'éviter les arguments caricaturaux contre le texte.

Cette proposition de loi prolonge d'ailleurs ce qui constitue une première pendant cette législature : un ensemble de travaux transpartisans. Il y a six mois, la mission d'information commune de l'Assemblée nationale relative à la réglementation et à l'impact des différents usages du cannabis présentait un bilan sans appel : la politique de prohibition du cannabis menée dans notre pays depuis cinquante ans est un échec. Plusieurs des membres de cette mission d'information commune sont d'ailleurs cosignataires de la proposition de loi.

À la suite des travaux de la mission d'information commune, de la proposition de loi défendue au printemps dernier par notre collègue François-Michel Lambert, et de celle que j'ai précédemment déposée avec plusieurs des signataires du texte dont nous débattons, je vous propose de légaliser enfin – comme l'ont fait ces dernières années l'Uruguay, plusieurs États des États-Unis, le Canada et comme le fera prochainement l'Allemagne – la production, la distribution, la vente et l'usage du cannabis, mais sous contrôle strict de l'État.

À l'origine de la proposition de loi inscrite à notre ordre du jour, il y a les dégâts du trafic de drogue. Le trafic, à plus de 80 % dévolu au cannabis, détruit : il détruit socialement les populations qui le subissent, il détruit les consommateurs qui consomment un produit de plus en plus toxique, et il détruit aussi les petites mains de la drogue qui subissent à la fois les conditions d'un travail uberisé et la précarité de vie des petits dealers pour lesquels la case prison et les violences sont la règle.

Alors que la France est aujourd'hui un des pays les plus prohibitifs et répressifs en matière de trafic mais également d'usage du cannabis, elle est aussi la championne d'Europe en matière de consommation. Près de la moitié des adultes de 18 à 64 ans ont déjà consommé du cannabis au cours de leur vie, contre moins de 30 % en moyenne en Europe. On dénombre en France 1,5 million de consommateurs réguliers et 900 000 consommateurs quotidiens. Le risque, en cas de légalisation, n'est donc pas de voir exploser la consommation du cannabis : cette explosion a déjà eu lieu.

Malgré les moyens toujours plus importants consacrés à lutter contre le trafic, il ne se tarit pas. La mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) estime que la lutte contre les stupéfiants, usage compris, équivaut aujourd'hui à un million d'heures de travail policier. Car, comme pour tous les produits considérés comme stupéfiants, la vente et la consommation de cannabis sont interdites en France depuis la loi de 1970. Aujourd'hui, l'usage illicite du cannabis peut donc être puni, en théorie, d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende. Depuis le 1er septembre 2020, une amende forfaitaire délictuelle pour usage de stupéfiants d'un montant de 200 euros peut être directement appliquée par les forces de l'ordre. Quant aux crimes et délits liés aux trafics de stupéfiants, le code pénal prévoit des sanctions beaucoup plus lourdes, pouvant atteindre dix ans d'emprisonnement et 7,5 millions d'euros d'amende. Pour quel résultat sur la durée ?

Certes, les prises sont plus importantes et nul ne nie la compétence des policiers et des douaniers mais, comme me l'expliquait un douanier, elles sont surtout la preuve que le flux est toujours plus massif, non que le trafic diminue. Ce qui se passe dans ma circonscription en est une démonstration – c'est d'ailleurs aux habitants de ses quartiers populaires que j'ai d'abord pensé en concevant la proposition de loi.

On peut y constater que, si une présence policière quotidienne sur un point de deal freine le trafic quelques jours, celui-ci explose pendant ce temps sur un autre point et reprend sur le premier site dès que les policiers se rendent sur le second. Comme me le disait un syndicaliste policier : on a l'impression de vider l'océan avec une cuillère. Nous sommes en réalité dans la même situation qu'avec la prohibition de l'alcool aux États-Unis dans les années 1930. Aucune politique de prohibition n'empêchera la demande de cannabis, pas plus que ne sera jamais éradiquée la consommation d'autres produits psychotropes licites ou pas.

En revanche, la prohibition empêche de mener une politique constante et efficace de réduction des risques et des addictions, ainsi qu'une politique de contrôle des usages, évidemment souhaitable. Il faut en effet resituer le cannabis dans le cadre global de l'usage des produits addictifs si on veut aborder la deuxième raison d'être d'une telle proposition de loi : la volonté d'une politique de prévention sanitaire plus efficace que celle menée actuellement.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.