Intervention de Danièle Obono

Séance en hémicycle du jeudi 13 janvier 2022 à 15h00
Légalisation du cannabis sous le contrôle de l'État — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono :

…au quotidien, qui ont entre 11 et 75 ans. Près de la moitié des adultes l'a déjà expérimentée en fumant au moins une fois dans sa vie, alors que la moyenne européenne se situe à 29 % et atteint seulement 27 % aux Pays-Bas où le cannabis est légal et en vente libre. L'acharnement, très médiatisé ces derniers mois, du ministre Darmanin contre les consommateurs et les consommatrices, avec l'approbation d'Emmanuel Macron, n'y a rien changé. Au contraire, la consommation a augmenté au cours du confinement, malgré les difficultés d'approvisionnement.

Il est temps de tirer les conclusions de cet échec. La politique répressive menée depuis plus de cinquante ans ne permet pas de faire diminuer la consommation de cannabis ; le trafic prospère et les produits deviennent plus toxiques. Cette stratégie empêche également de mettre en place des politiques de santé publique cohérentes et d'ampleur, et augmente le niveau de violence et d'insécurité lié au commerce illégal.

La légalisation est une exigence sanitaire. Le cannabis est une plante aux effets psychoactifs et médicinaux dont la consommation perturbe le système nerveux central, en modifiant les états de conscience. Si sa nocivité est moindre que celle d'autres substances légales – il occupe la huitième position du classement international, derrière l'alcool qui est à la première place et le tabac qui est classé sixième –, sa consommation peut avoir des effets néfastes sur la santé, la sociabilité et la sécurité, d'autant que sa prohibition est une des causes de l'augmentation du taux de THC, principal constituant psychoactif du cannabis vendu illégalement ; cela participe donc à la dangerosité de ce produit.

La légalisation du cannabis est en premier lieu un impératif de santé publique. C'est le seul moyen de contrôler la qualité des produits consommés, de permettre une prévention et une réduction des risques adaptées à la dangerosité de chaque substance et aux publics concernés. Ces campagnes doivent particulièrement être menées auprès des plus jeunes, dont la consommation est en baisse depuis quelques années, mais pour lesquels les indicateurs d'usage demeurent élevés.

Les études montrent qu'à l'adolescence, le cannabis entraîne des perturbations cognitives, physiologiques et comportementales d'autant plus délétères et persistantes que les consommations sont précoces. Or le discours sanitaire achoppe sur une incohérence majeure – parmi d'autres – des politiques. En effet, l'alcool et le tabac, produits à la fois plus addictifs et plus dangereux que le cannabis – 120 000 personnes en décèdent chaque année –, sont autorisés et en vente libre, l'alcool bénéficiant en outre d'une publicité encadrée. Un « deux poids, deux mesures » qui contribue à brouiller le message de prévention et de réduction des risques. L'expérience canadienne montre d'ailleurs que la légalisation n'a pas fait augmenter la consommation chez les jeunes de moins de 25 ans ; il y a même eu un recul de l'âge des premiers usages. Comme pour l'alcool et le tabac, un solide encadrement législatif et réglementaire permettrait de mieux prévenir la consommation et, à défaut, de la réguler et de réduire les risques.

Le deuxième enjeu porte sur l'inefficacité de la répression qui – ce dont se vante aujourd'hui l'exécutif – s'exerce essentiellement contre les consommateurs et les consommatrices. Depuis les années 1990, cette répression a été multipliée par sept, alors que, pour les autres délits liés aux stupéfiants, l'augmentation n'est que de 3 points. Or seuls 10 % des affaires concernent les trafics. Cette répression nourrit la politique du chiffre, et conduit même à un dévoiement de la mission des forces de l'ordre. Comme l'explique le collectif Police contre la prohibition, « c'est un délit qui est résolu dès qu'il est constaté, c'est du 100 % de taux d'élucidation, et ça, c'est très précieux pour les chiffres de la délinquance. 56 % de l'activité d'initiative des flics, c'est la répression de l'usage des drogues, faire vider les poches et mettre en garde à vue pour le quart de gramme de shit qu'on a au fond de la poche. » La lutte contre le cannabis mobiliserait ainsi un million d'heures de travail des forces de sécurité par an. Un Gouvernement et une majorité qui se targuent d'être sérieux en matière de sécurité pourraient convenir que les forces de police et de gendarmerie auraient certainement mieux à faire, notamment s'attaquer aux trafics internationaux qui financent les drogues et d'autres commerces illégaux.

En 2015, 200 000 personnes ont été interpellées pour infraction à la législation sur les stupéfiants, soit cinquante fois plus qu'en 1970 lors de son adoption. Dans plus de 90 % des cas, il s'agissait de consommateurs et de consommatrices de cannabis ; 83 % ont été interpellés pour simple usage. Les deux tiers des affaires de stupéfiants conduisent à une sanction judiciaire ; il n'y a donc pas de laxisme, contrairement à ce que disent certains et certaines. En 2013, près de 57 000 condamnations ont été prononcées, dont 72 % pour un simple usage, la détention ou l'acquisition, soit 33 000 condamnations, dont 1 400 à de la prison ferme. Depuis dix ans, autour de 20 % de la population carcérale est constituée de personnes détenues pour infraction à la législation sur les stupéfiants. Là aussi, étant donné l'état des prisons et les nombreuses condamnations de la France en raison de la surpopulation dans les prisons, il y aurait matière à une véritable déflation carcérale.

Pendant ce temps-là, le trafic n'a jamais été aussi florissant : en 2018, une étude de l'INSEE a estimé à 1 milliard d'euros par an le chiffre d'affaires généré. Si le trafic rapporte beaucoup, essentiellement aux têtes de réseau – privatisation des profits –, la prohibition et la répression ont un coût élevé pour la collectivité – socialisation des pertes. Un rapport parlementaire de 2014 a évalué à 2 milliards d'euros, dont 850 millions pour le volet « répression, police, justice, douanes, gendarmerie, administration pénitentiaire », le montant de la facture. En 2018, deux économistes ont calcul le coût de la stratégie répressive par usager et usagère : 724 euros pour la répression policière et 227 euros pour la répression judiciaire, contre 66 euros pour la prévention et 15 euros pour la prise en charge sanitaire. C'est donc près de 1 000 euros par usager et usagère que la collectivité économiserait en légalisant le cannabis, sans compter les ressources nouvelles pour l'État, du fait des taxes appliquées sur les produits de la vente. Aux États-Unis d'Amérique, la légalisation du cannabis a rapporté près de 10 milliards de taxes aux différents États. Selon une note du Conseil d'analyse économique de 2019, l'État français pourrait ainsi récupérer 2 milliards d'euros de recettes fiscales. Pour nous, ce n'est pas le principal argument, mais cela en est tout de même un. On aurait là de quoi financer une robuste politique de santé et d'éducation.

Au final, contrairement à ce que pensent Emmanuel Macron, son gouvernement et sa majorité – au moins jusqu'à aujourd'hui, car on espère que vous changerez d'avis –, légaliser c'est faire preuve de courage et de responsabilité.

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