Intervention de Adrien Taquet

Séance en hémicycle du lundi 17 janvier 2022 à 16h00
Réforme de l'adoption — Présentation

Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles :

Très tôt, je leur avais confié la mission de mener une réflexion large sur ce sujet.

Les échanges n'ont malheureusement pu trouver un aboutissement plus précoce, le texte n'ayant pu – à une disposition près – faire l'objet d'un accord en commission mixte paritaire. Il y a donc eu un an d'attente, d'espoir de belles histoires, mais aussi de déceptions, il est vrai, pour les enfants de notre pays à la recherche d'une famille.

Ce n'est pas faire insulte à notre politique d'adoption que de dire qu'elle suscite des espoirs parfois déçus. Nous laissons encore trop d'enfants sur le bord de la route qui mène à l'adoption, alors que celle-ci représente pour beaucoup un horizon de vie adapté et sécurisant.

Notre système d'adoption riche et complet ouvre la voie à des adoptions simples ou plénières, intrafamiliales ou extrafamiliales, nationales ou internationales. Il prévoit, là où c'est nécessaire, un nombre important de vérifications, de contrôles, de garanties, un accompagnement des enfants et des familles. Ce système a ses forces et ses succès, mais il faut continuer à l'améliorer, notamment en visant trois grands objectifs que cette proposition de loi promeut.

Le premier objectif est de rendre possible l'adoption de davantage d'enfants. On constate actuellement un manque de dispositions claires permettant de donner une famille à chaque enfant qui n'en aurait pas ou dont la famille ne serait plus en mesure de s'occuper. Ce manque constitue une terrible rupture d'égalité, dont les conséquences peuvent être lourdes sur le développement personnel, affectif et psychologique de l'enfant.

C'est la grande force de ce texte que de rendre possible l'adoption de davantage d'enfants pour lesquels elle représente l'horizon souhaitable. Je crois que c'est à l'honneur de votre assemblée que de rétablir l'article 4, et de permettre ainsi à des enfants qui jusqu'à présent étaient privés de cette possibilité d'être adoptés de façon plénière après 15 ans par leur beau-père ou leur belle-mère, ou lorsqu'ils sont pupilles de l'État, ou lorsqu'ils ont été judiciairement déclarés délaissés et sont donc dans des parcours de fragilité qui n'étaient pas suffisamment pris en compte.

J'insiste sur cette troisième possibilité, car elle vient bien sûr compléter la loi du 15 mars 2016 relative à la protection de l'enfant, laquelle a institué la procédure de délaissement. Celle-ci s'installe dans la pratique, comme l'indiquent les chiffres que je vous avais communiqués et que je rappellerai si vous le souhaitez, et elle permet de plus en plus de mettre fin, au bon moment, à des relations toxiques qui peuvent exister – il faut le dire – entre les parents et leurs enfants. Il sera donc possible demain, y compris au-delà de 15 ans, pour ces enfants, de s'inscrire dans des parcours beaucoup plus adaptés à leurs attentes. C'est là une grande avancée.

Je souligne également la force de l'article 8, qui permet au tribunal de prononcer l'adoption, si elle est conforme à l'intérêt de l'adopté, d'un mineur âgé de plus de 13 ans ou d'un majeur protégé hors d'état d'y consentir personnellement, après avoir recueilli l'avis d'un administrateur ad hoc ou de la personne chargée d'une mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne. C'est une mesure juste, claire et sécurisante.

Le deuxième grand objectif de ce texte est de corriger un certain nombre d'incohérences ou de défaillances, peut-être, en matière d'adoption, et ce faisant de sécuriser les parcours des enfants, ce qui est notre principale préoccupation. Il y a encore trop d'incohérences et de défaillances qui constituent autant de facteurs d'insécurité pour les enfants auxquels nous devons pourtant assurer le quotidien le plus serein et le plus apaisé possible.

Cela passe avant tout par des règles claires, comme celles qui seront en vigueur demain grâce à ce texte.

D'abord, en ce qui concerne les agréments, nous voulons étoffer les conditions de candidature, de formation et d'accompagnement des futurs adoptants, car la sécurisation de l'enfant passe par un soutien aux adoptants et par la préparation la plus utile et la plus intense possible.

Ensuite, l'adoption entre ascendants et descendants en ligne directe et entre frères et sœurs sera prohibée, afin d'éviter le brouillage des lignes générationnelles – ce sujet avait fait l'objet de débats dans cette assemblée.

Enfin, nous voulons clarifier les règles concernant le consentement des uns et des autres. Je pense tout d'abord au consentement des enfants. Leur parole doit être davantage prise en compte, par exemple en ce qui concerne le changement de nom – je sais que votre assemblée reviendra sur cette question à l'occasion d'une proposition de loi dédiée qui sera examinée prochainement. Je pense aussi bien sûr au consentement des parents biologiques. J'ai noté que, sur l'article 13 du texte, certains ont exprimé des inquiétudes, voire des critiques dont je regrette pour certaines le caractère inutilement polémique, car détourné – j'ai lu des déclarations étonnantes ce matin dans la presse, affirmant que nous supprimions le consentement des parents biologiques à l'adoption. J'aurais l'occasion d'y revenir, car ce n'est évidemment pas le cas.

Non, l'État ou l'aide sociale à l'enfance ne forceront pas demain des adoptions contre l'avis des parents. Non, nous n'allons pas arracher des enfants à des familles aimantes et les confier, au petit bonheur la chance, à l'adoption. Et non, trois fois non, nous n'oublions pas l'intérêt de l'enfant : c'est même la seule boussole à laquelle nous nous référons, le seul objectif que nous visons par ce texte. Que les choses soient claires et que les malentendus entretenus par certains soient dissipés : les changements opérés par ce texte constituent non une modification de l'état du droit, mais une clarification de celui-ci.

En effet, à l'heure actuelle, les codes prévoient d'une part que les parents sont déjà invités à consentir à l'adoption lorsqu'ils remettent l'enfant à l'aide sociale à l'enfance (ASE) en vue de son admission au statut de pupille de l'État, et d'autre part que cette décision appartient in fine au conseil de famille, lequel peut, quand bien même les parents n'y consentiraient pas, autoriser l'adoption, si cela correspond bien sûr à l'intérêt supérieur de l'enfant.

On revient encore et toujours à l'intérêt de l'enfant. Cet intérêt exige qu'on clarifie des textes qui, parfois, peuvent induire les parents en erreur sur la réalité de leurs droits, ou qui peuvent être détournés pour bloquer, souvent pour des raisons peu avouables, des procédures pourtant bénéfiques aux enfants, ou qui contribuent enfin à alimenter l'idée que le statut de pupille a pour seul objectif de déboucher sur une adoption, alors qu'il est évident que l'adoption peut ne pas être dans l'intérêt d'un pupille de l'État, par exemple lorsqu'il a tissé des liens forts avec sa famille d'accueil ou qu'il ne souhaite pas être adopté.

L'article 13 permettra de préciser et de sécuriser les procédures pour l'ensemble des parties prenantes, à commencer par les enfants, sans aucunement remettre en cause les droits de qui que ce soit. Il me semblait important de clarifier ce point dès à présent, même si nous aurons peut-être l'occasion d'y revenir au cours des débats, et de répondre à cette tribune au mauvais procès qu'on a fait – ce matin encore – à ce texte.

Le troisième objectif de la proposition de loi est de faire évoluer les pratiques, pour garantir à la fois la sécurité et l'égal traitement des enfants. Cela implique en premier lieu de faire la lumière sur un certain nombre de pratiques qui ne répondaient pas aux standards de sécurité et de qualité qu'un pays comme le nôtre se doit d'exiger en matière de protection de l'enfance. Il en est ainsi de l'activité des organismes autorisés pour l'adoption (OAA), dont j'ai cru comprendre qu'ils vous avaient encore beaucoup écrit cette fois-ci, comme l'an dernier. Le fonctionnement des OAA n'était plus vraiment en accord avec leur titre. Je le dis sans aucune volonté de jeter l'opprobre sur ces associations, dont la grande majorité mène un travail salué par les acteurs du secteur de l'adoption et par moi-même.

Mais il y a en France un système, celui de l'ASE, dont l'existence même signale la préoccupation collective d'assurer une intervention, un regard, une garantie publique de la sécurité des enfants. En effet, ce système répond à un nombre de réglementations suffisant pour garantir la sécurité des enfants, même s'il faut toujours l'améliorer, ce qui est, encore une fois, ce à quoi tend le texte.

Il faut que toutes les démarches d'adoption puissent bénéficier des mêmes conditions de sécurité pour les enfants et pour les adoptants. Aucune situation ne peut justifier que certains enfants qui le peuvent bénéficient du statut de pupille de l'État, avec toutes les garanties et les protections que ce statut implique, quand d'autres en seraient privés, quelles qu'en soient les raisons. Dire cela, ce n'est pas – comme j'ai parfois pu l'entendre ou le lire encore ce matin –, condamner l'action des OAA, que nous préservons et pérennisons sur deux aspects. À l'international, nous instituons la double sécurité d'une autorisation des conseils départementaux et d'une habilitation du ministre des affaires étrangères. Au niveau national, nous créons à l'article 11 la possibilité pour les conseils départementaux de faire appel à eux pour identifier, parmi les personnes agréées qu'elles accompagnent, des candidats susceptibles d'accueillir, en vue de l'adoption, des enfants à besoins spécifiques. Le travail des OAA à cet égard est remarquable et il faut le favoriser. J'insiste donc sur ce que j'avais déjà eu l'occasion de dire en première lecture : l'expertise des OAA continuera à être précieuse.

L'autre part d'ombre sur laquelle il est essentiel de faire la lumière a trait aux adoptions internationales illégales. Je connais la préoccupation d'un certain nombre d'entre vous sur cette question. Comme je l'avais annoncé au Sénat, le Gouvernement lancera très prochainement des travaux afin de faire œuvre de transparence, de clarté et d'objectivité sur ces histoires qui concernent un nombre important de nos concitoyens. Je souhaite qu'au même titre que d'autres pays comme les Pays-Bas, nous puissions, en responsabilité, avec bienveillance, accompagner les personnes qui auraient pu être concernées par cette réalité.

Mesdames et messieurs les députés, ce texte est riche. Il est peut-être technique, mais il comporte un nombre formidable de mesures dont l'impact sera très concret pour des centaines de milliers d'enfants. C'est leur intérêt, toujours leur intérêt, qui a été et restera, dans nos débats, ma seule boussole et – je n'en doute pas – la vôtre.

Bien sûr, en tant que secrétaire d'État à l'enfance et aux familles, je ne minimise pas l'importance de ce texte dans notre combat collectif pour faire progresser les droits des familles, de toutes les familles, pour reconnaître leur diversité et pour répondre à leurs attentes.

En ouvrant enfin l'adoption aux couples non-mariés, ce texte est cohérent avec l'évolution de la société. Il reconnaît les attentes de familles correspondant à de nouveaux modèles tout aussi légitimes et portant tout autant de promesses et de garanties que les autres. Il était temps, même si cela gêne manifestement et continuera de gêner un certain nombre d'acteurs opposés, parfois par principe, à une société plus inclusive.

En assurant la cohérence avec la loi de bioéthique, ce texte apporte une solution adaptée aux difficultés rencontrées par certaines femmes ayant eu recours, avant l'entrée en vigueur de cette loi, à l'assistance médicale à la procréation (AMP) à l'étranger. Il le fallait, même si certains n'ont toujours pas fait le deuil de leur combat contre cette loi de progrès.

Enfin, en renforçant la diversité des conseils de famille, en réaffirmant un certain nombre de principes déontologiques que nous promouvons depuis deux ans, ce texte garantit une meilleure prise en compte de la spécificité des multiples modèles familiaux qui font la richesse de notre société. C'est indispensable.

À de très nombreux titres, les mesures de ce texte permettent d'ancrer fermement et définitivement l'adoption dans la protection de l'enfance et dans une modernité soucieuse du bien-être de tous les membres de notre société, en particulier des plus jeunes et des plus fragiles. Toutes ses dispositions sont pensées pour le seul bénéfice d'enfants pour qui l'adoption est un horizon synonyme d'épanouissement et de familles pour qui elle représente un horizon lumineux. De nombreux enfants l'attendent encore. De nombreuses familles sont prêtes à le faire. Donnons-en leur enfin la pleine possibilité.

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