Intervention de Emmanuelle Ménard

Séance en hémicycle du lundi 17 janvier 2022 à 16h00
Réforme de l'adoption — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Ménard :

Adopter pour aimer, adopter pour transmettre, adopter pour combler le vide de ne pas avoir de parents, celui de ne pas avoir d'enfant, adopter pour former une famille tout simplement : les raisons de l'adoption sont multiples mais souvent, trop souvent, l'adoption devient un parcours du combattant où le désir d'accueillir un enfant est malmené par une attente longue, douloureuse, marquée par de belles espérances mais aussi de grandes déceptions.

Chaque année, plus de 10 000 familles, couples ou personnes seules qui ont un agrément en cours de validité en vue d'une adoption attendent. Elles attendent plusieurs années, en général plus de trois ans. C'est long, très long. Cette attente souvent difficile ne doit pas gommer l'aspect essentiel de l'adoption : celui de l'intérêt supérieur de l'enfant. J'insiste sur cette notion qui ne cesse d'être chassée au fur et à mesure de l'élaboration de notre corpus juridique comme un mot de trop, presque un gros mot. C'était déjà le cas lors des discussions du projet de loi relatif à la bioéthique ; cela se confirme une nouvelle fois ici.

Une notion pourtant empreinte de sagesse qui rappelle que ce n'est pas le désir des adultes ou des parents qui prime, que celui-ci, aussi légitime soit-il, s'efface, ou doit s'effacer devant l'intérêt de l'enfant qui, parce qu'il est plus fragile, lui est supérieur. Au lieu d'être consacré, ce principe a été évacué au détour d'un amendement en première lecture. Comment ne pas le regretter quand, pour unique explication, on nous signifie que ce principe n'existe pas ailleurs dans le code civil, qu'il convient donc d'harmoniser ? C'est un choix malheureux où l'harmonie se fait par le bas et non par le haut. Cela est d'autant plus regrettable que ce principe est, je le rappelle, posé par l'article 3 de la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989, ratifiée par la France. C'est regrettable et incompréhensible d'ailleurs, quand on sait que le Conseil d'État comme la Cour de cassation ont reconnu que certains articles de la Convention, dont l'article 3, sont directement applicables devant les juridictions.

Comment aussi ne pas constater que votre noble ambition, celle de protéger l'enfant, est malheureusement écornée dès lors que vous refusez de reconnaître que la sécurité juridique qu'apporte le mariage aux enfants adoptés est essentielle pour au moins une raison purement juridique : le mariage permet le divorce, lequel engendre un certain nombre de droits très concrets arbitrés par un juge, ou au moins avec le secours d'un avocat, pour s'assurer que l'enfant, au moins d'un point de vue matériel, ne manquera de rien. Tel n'est pas le cas du pacs ou de l'union libre. Vous faites mine de l'ignorer par simple idéologie, car en déconnectant – c'est le terme que vous utilisez – l'adoption du statut matrimonial de l'adoptant pour autoriser l'adoption, en cas de pacte civil de solidarité ou de concubinage, vous prétendez mettre fin à une différence de traitement face à l'adoption entre couples hétérosexuels et homosexuels mariés et couples hétérosexuels et homosexuels non mariés. Il y a donc différence de traitement entre adultes et, une fois de plus, pas un mot pour l'enfant.

J'appelle à nouveau votre attention sur les organismes autorisés pour l'adoption, les fameux OAA auxquels vous vous attaquez. Vous vous escrimez à les amputer de leur activité en France pour ne leur faire jouer qu'un simple rôle d'intermédiaire en cas d'adoption internationale, un parti pris tout à fait incompréhensible quand on sait que tous, je dis bien tous les enfants confiés aux OAA, trouvent une famille, y compris et peut-être surtout les enfants malades ou handicapés.

Par ailleurs, si vous estimez que le nombre d'enfants recueillis par les OAA est trop modeste, c'est aussi parce qu'ils accompagnent si bien les femmes qui arrivent chez eux que beaucoup décident finalement de garder leur enfant avec elles. Si vous supprimez aux OAA la possibilité de recueillir des enfants en France, vous les empêchez tout simplement de jouer ce rôle, ce qui brisera la vie de centaines de femmes et d'enfants.

Enfin certains parents, le plus souvent des femmes enceintes, ne souhaitent tout simplement pas confier leur enfant à l'aide sociale à l'enfance, car elles ont été elles-mêmes pupilles de l'État. Elles préfèrent s'adresser à un OAA car elles ne veulent pas que leur enfant connaisse le même parcours qu'elles.

Pour ces trois raisons, j'ai du mal à comprendre votre acharnement à vouloir supprimer ces organismes dont l'activité est encadrée et bénéfique pour tous, acharnement qui va jusqu'à donner deux mois de sursis, deux mois seulement aux OAA avant de mettre la clé sous la porte. Quel mépris ! Mais parce que je ne veux pas imaginer que vous soyez guidés par autre chose que le bien des enfants, de tous les enfants, je ne désespère pas de vous faire entendre raison au détour de mes amendements.

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