Intervention de Jean-Pierre Duport

Réunion du mercredi 10 janvier 2018 à 9h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi pour un État au service d'une société de confiance

Jean-Pierre Duport, préfet :

Dès lors, monsieur le rapporteur, que le référent unique détient un mandat du préfet, rien, à mon avis, n'interdit à ce dernier de lui donner un pouvoir de décision. Les chefs des services de l'État tiennent leur pouvoir de décision du préfet – d'une délégation de signature donnée par le préfet. Si ce n'est pas une délégation de signature du préfet, qui est le seul à posséder l'autorité interministérielle, cela risque, pour le référent unique, de poser des problèmes de rapports entre administrations.

La liaison avec les MSAP est indispensable. J'ai commis un rapport sur la modification de l'administration : leur développement comme celui du numérique étaient au coeur de nos préoccupations. Il y aurait beaucoup à dire sur le numérique : dès le début des années 1990, lorsque j'étais à la DATAR, je m'alarmais du retard que prenait notre pays en matière de télémédecine !

Je suis un fanatique de tout ce qui a été fait récemment en matière de purge juridictionnelle, et de façon générale pour obliger le magistrat à prendre position. Quand j'étais directeur de l'urbanisme, il y a très longtemps, j'ai essayé de lancer l'idée d'obliger le pétitionnaire à déposer tous les motifs de recours au même moment et le juge à trancher sur tous les motifs, car il n'y rien de plus énervant que le saut d'obstacles dans la relation avec le juge, quand une annulation pour motif de forme a évité à celui-ci de se prononcer sur le fond.

Parmi les mesures évoquées dans je ne sais plus quel projet de loi, la mesure prévoyant que les associations ayant déposé un recours n'ont pas le droit de transiger pour une indemnité financière me paraît saine, et même indispensable, pour lutter contre les recours abusifs. Je suis intervenu récemment sur une opération de rénovation d'un bâtiment à Boulogne-Billancourt, à la demande des ministres de la culture successives ; cela s'est réglé financièrement avec une association d'habitants d'un immeuble voisin, alors qu'il n'y avait pas de base juridique sérieuse au recours et que nous aurions à mon avis gagné au contentieux.

Je suis très prudent quant au fait de figer le droit. Le certificat d'information me paraît une bonne chose, s'il est accompagné de la mesure que j'ai évoquée prévoyant éventuellement de reporter l'application de textes législatifs ou réglementaires pour les projets en cours d'instruction, mais vous ne pouvez pas demander à tous les fonctionnaires de l'État d'être omniscients. Si le fonctionnaire qui a figé le droit s'est trompé, trois ou quatre ans plus tard la procédure peut être annulée par le juge administratif en raison de cette erreur. Figer le droit est un exercice compliqué quand une multiplicité de réglementations s'appliquent à un même projet. Ce n'est pas le cas pour le certificat d'urbanisme, car le maire et ses services connaissent leur plan local d'urbanisme (PLU), mais l'autorisation environnementale unique, par exemple, regroupe dix-sept ou dix-huit autorisations différentes.

Je pense que la consultation électronique est un élément de modernisation. Il faudra réfléchir à la façon dont elle est utilisée, à la technologie mise en oeuvre, pour ceux qui seraient moins agiles dans ce genre d'utilisation.

S'agissant de la sécurisation du rôle des fonctionnaires, monsieur Saint-Martin, un élément essentiel est la formation, initiale et continue, ainsi que l'organisation des carrières. Il faut en outre que les fonctionnaires soient confortés dans leur prise de risque, dans le fait d'assumer des responsabilités. Un de mes sous-préfets me disait, à propos d'interventions que je faisais sur le terrain, que je prenais trop de risques. Je lui ai répondu que, si je ne prenais pas de risques, je ne serais pas dans mon rôle de préfet. La contrepartie, c'est qu'il faut que le préfet soit évalué en fonction de sa prise de risque et qu'on ne le sanctionne pas pour en avoir pris. D'anciens présidents de la République se sont exprimés dans le même sens, mais la façon dont certains préfets ont été sanctionnés n'est assurément pas une récompense de la prise de risque.

Je me suis beaucoup battu, aux côtés du directeur général de l'administration de l'époque, Christian Frémont, malheureusement décédé depuis, pour mettre en place des dispositifs d'évaluation du corps préfectoral. Pendant longtemps, l'évaluation des préfets, c'était seulement le petit billet que le député transmettait au ministre de l'intérieur le mardi ou le mercredi à l'Assemblée pour se plaindre de son sous-préfet. Ce n'est pas un élément de sécurisation ! Durant toute ma carrière, je me suis toujours méfié des commentaires négatifs d'hommes politiques visant des préfets, car cela voulait peut-être tout simplement dire qu'ils avaient pris des initiatives et des risques, tout comme d'ailleurs des commentaires dithyrambiques des mêmes auteurs, car cela pouvait signifier, inversement, que le fonctionnaire en question leur avait « ciré les pompes », ce n'est qui pas non plus, pour moi, un gage de qualité...

Le mode projet nécessite, c'est vrai, de l'agilité. Dans les réunions de service au sein de la préfectorale, il faut cette agilité. En Seine-Saint-Denis, avant que j'arrive avaient commencé à être développés les partenariats entre la police, la justice et l'éducation nationale. Le mode projet est concomitant du développement d'une fonction publique plus agile.

Madame Mörch, j'ai vécu ce que vous décrivez. J'ai été confronté en Seine-Saint-Denis au problème de savoir que faire lorsque j'étais sollicité pour accorder le concours de la force publique à l'expulsion de son logement d'une personne condamnée par un tribunal. Les services sociaux départementaux ont toujours refusé de collaborer sur le sujet, alors que j'avais besoin de connaître la situation des familles pour prendre des décisions intelligentes. Pour moi, l'assistante sociale, c'était donc les services de police, car ils connaissaient la situation des familles, pour les raisons que vous avez évoquées, à savoir que la police intervient le soir, pour régler les problèmes de voisinage ou autre.

Il faut sortir des cloisonnements, y compris entre services territoriaux et services de l'État. À cet égard, j'étais directeur de cabinet de Jean-Pierre Chevènement quand a été mise en place par Lionel Jospin la police de proximité, à la suite du colloque de Villepinte. Je suis un fanatique de la police de proximité et de la police de sécurité au quotidien. Sans vouloir paraphraser la maxime de Mao sur le parti communiste, il faut que la police soit dans la population « comme un poisson dans l'eau », car on connaît les difficultés d'une intervention de services de police dans un territoire que les agents ne connaissent pas. Au-delà de cet exemple, il ne peut y avoir de bon travail dans la fonction publique si le fonctionnaire ne sort pas de son bureau, ne va pas sur le terrain. C'est une ligne de conduite que je me suis toujours efforcé de suivre, et je n'ai jamais été aussi heureux dans mon métier que lorsque j'ai vu un gamin de quinze ans, de Saint-Ouen, à un match entre le Red Star et l'Olympique de Marseille, alors en deuxième division, s'exclamer en me voyant : « C'est le préfet ! »

Oui, madame Dubié, il faut que la culture managériale soit présente dans l'administration. Cela ne signifie pas que l'administration doit fonctionner comme une entreprise, mais les fonctionnaires doivent être formés pour acquérir des qualités de manager.

Les mesures qui ont renforcé le pouvoir de coordination du préfet de région, sur l'ensemble d'une région, me paraissent indispensables. Le problème est un peu différent dans certaines grandes régions, comme le Grand-Est ou la Nouvelle-Aquitaine, mais il n'est pas interdit à un préfet de région de travailler avec les préfets de département. Tout décideur a une capacité physique limitée de prendre des décisions ; il faut que le préfet de région délègue, dans le cadre de discussions collectives. Ces discussions doivent être adaptées à la situation géographique, aussi parce qu'un Basque ne se traite pas comme un Limousin – ni même comme un Béarnais… (Sourires.)

Je suis également un fanatique des études d'impact. J'ai commis un rapport sur le sujet au Conseil d'État. L'étude d'impact sur ce projet me semble d'ailleurs plutôt de bonne qualité. Beaucoup de défaillances dans le fonctionnement de l'administration proviennent du fait qu'une bonne étude d'impact n'a pas été réalisée. Je me souviens d'une mesure prise sous le Gouvernement précédent qui voulait remplacer la taxation de l'impôt sur les sociétés par la taxation de l'excédent brut d'exploitation ; il n'y avait pas eu d'étude d'impact sérieuse et cela pénalisait dramatiquement les entreprises qui investissaient. C'était absurde. On s'en est aperçu assez vite et le projet a été retiré, mais c'est un bon exemple de ce que peuvent être les conséquences quand il manque une bonne étude d'impact.

Le droit à l'erreur, monsieur Daniel, est une bonne chose à condition que l'on puisse vérifier la bonne foi. Vous avez dit que nos concitoyens pouvaient être procéduriers ; ils peuvent aussi être habiles, au sens péjoratif du terme. C'est pourquoi j'ai dit que je trouvais très positive la mesure consistant à ne pas permettre aux associations de transiger dès lors qu'elles ont engagé une procédure.

Enfin, sur Notre-Dame-des-Landes, je sors mon « joker ». J'attends la décision du Premier ministre la semaine prochaine. Ce que j'ai dit de la concertation en amont ne marche pas à tous les coups : parfois, cela ne suffit pas à régler un problème.

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