Intervention de Yannick Kerlogot

Séance en hémicycle du mardi 25 janvier 2022 à 15h00
Restitution des biens culturels des victimes de persécutions antisémites — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYannick Kerlogot :

Prenant connaissance du projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites, j'y ai vu une forme de résonance avec le projet de loi voulu par le Président de la République à destination de l'Afrique subsaharienne et permettant la restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal, texte dont j'ai eu l'honneur d'être le rapporteur. Deux histoires certes radicalement différentes, mais dans lesquelles la France porte une responsabilité.

À ceux qui considèrent ces sujets comme distincts, je les invite à regarder le choix fait par nos voisins allemands d'aborder le patrimoine juif spolié et le patrimoine issu du contexte colonial dans une même structure subventionnée, le Deutsches Zentrum Kulturgutverluste, qui se consacre à la recherche des provenances, qu'il s'agisse de biens pillés pendant la période national-socialiste, de biens expropriés du temps de la République démocratique allemande (RDA) ou de bien coloniaux. Après cette initiative liée à notre histoire coloniale et validée par les parlementaires à l'unanimité il y a plus d'un an, le Gouvernement entend poursuivre une politique publique de réparation, ou du moins de reconnaissance des persécutions et des spoliations antisémites.

Nous mesurons tous, chers collègues, la portée symbolique du présent texte, tant il fait référence à cette page sombre, pour ne pas dire noire, de l'histoire de France, de notre histoire commune liée aux persécutions antisémites des années 1930 et 1940. Il s'agit par ce projet de loi d'apporter une réponse aux familles d'ayants droit de propriétaires juifs spoliés parce qu'ils étaient juifs. Ce sont des biens mal acquis en toute connaissance de cause.

Ce texte confirme la volonté d'engagement du Gouvernement en faveur de la mémoire et de la justice des victimes de spoliations antisémites, non pas en tentant de réparer l'irréparable mais en reconnaissant des exactions qui ont touché principalement des familles juives, spoliations qui ont participé de la volonté d'anéantir un peuple du fait de l'occupant et des lois de Vichy, spoliations qui se sont attaquées au patrimoine privé de ces familles. Restituer un tableau, un dessin ou une sculpture, c'est aussi restituer une part de l'identité, une part de la mémoire d'une personne : celle du propriétaire spolié.

Cette reconnaissance individuelle est attendue par les familles. Il s'agit bien, comme l'a précisé si justement lors de son audition Emmanuelle Polack, chargée de mission au musée du Louvre et spécialiste de l'art sous l'Occupation, « d'une dette rémanente de la France envers son passé, d'une reconnaissance voulue et souhaitée par le Gouvernement. Ce n'est pas le tableau qui répare ; c'est la reconnaissance des victimes qui est recherchée. » En juillet 2017, dans les pas de Jacques Chirac et de son discours de 1995, Emmanuel Macron, lors de la commémoration de la rafle du Vél d'Hiv, a affirmé que la France, en reconnaissant ses fautes, a ouvert la voie aux réparations des persécutions et spoliations antisémites.

Au fond, la restitution souhaitée par le Président de la République, volonté relayée par le Premier ministre et par vous, madame la ministre de la culture, confirme une volonté aujourd'hui clairement exprimée par les Français. Car disons-le : l'opinion publique est toute acquise à la cause, celle d'assumer des pages sombres de notre histoire et de permettre ainsi aux jeunes générations de se projeter dans l'avenir, ainsi dégagées d'une responsabilité qu'elles n'ont pas à porter. Les jeunes réclament aujourd'hui l'accélération d'un travail de mémoire sur un sujet trop longtemps occulté : celui de la quête de provenance. Admettons ensemble que depuis les années 1990, les musées ne peuvent plus faire l'économie des questions de provenance. Nous avons constaté clairement au cours des auditions menées par Fabienne Colboc, rapporteure, une prise de conscience de cet enjeu par le monde muséal des collections publiques françaises tout comme par les grandes maisons de vente aux enchères ainsi que par les grandes galeries internationales exposant des œuvres de collections privées.

Créée en 1999, la CIVS a déjà permis de verser plus de 500 millions d'euros d'indemnités au titre des spoliations matérielles, auxquelles s'ajoutent 53 millions d'euros au titre des spoliations bancaires. En 2019 est créée la mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945, dirigée par David Zivie. Aujourd'hui, nous savons qu'un musée n'achèterait plus comme en 1980 le tableau Rosiers sous les arbres, de Klimt et dont la provenance aurait dû inspirer au minimum des doutes, et que le principe de précaution serait désormais appliqué.

Pour conclure, je crois pouvoir dire que la réflexion portant sur l'écriture d'une loi-cadre chemine et semble constituer une suite logique qui permettrait au législateur de doter le droit français d'une disposition permettant de régler rapidement et de façon claire ces questions de restitutions. Reste à convenir d'une tâche complexe mais légitime, à savoir celle de l'élaboration de critères de déclassement des collections publiques qui, mesurons-le ensemble, revient à interroger le principe même de l'inaliénabilité des collections publiques. La tâche reste ambitieuse mais attendue.

Le groupe La République en marche votera avec conviction ce projet de loi symbolique et historique.

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