Nous sommes réunis pour voter la restitution d'œuvres d'art spoliées à leurs propriétaires par le régime nazi. Ces œuvres retrouveront leur propriétaire légitime et ces restitutions constitueront, sans nul doute, une étape supplémentaire dans la nécessaire réparation des abominations que le régime nazi a fait subir au peuple juif, bafouant tous les principes d'humanité. Nous le devons à ces hommes, à ces femmes, à ces enfants dont la mémoire a été blessée sans pour autant être détruite, et pour qui ces objets, loin de n'être que de simples œuvres d'art, font entendre, à travers les années, l'écho de la tragédie, d'un crime contre l'humanité dont le souvenir restera à jamais indélébile.
Si le processus de restitution est différent de celui prévu par le projet de loi relatif à la restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal, il n'en est pas moins indispensable. Cet acte symbolique fort montre ce que la République est capable de faire pour servir une justice intemporelle. Il n'est d'ailleurs pas inutile de rappeler, comme vous l'avez fait, madame la rapporteure, dans votre rapport, que si la spoliation dont nous parlons ici fut largement inspirée par les politiques nazies, celles-ci n'ont pu trouver leur funeste application que dans le cadre législatif élaboré par le régime de Vichy. C'est aussi le poids de cette dette envers nos concitoyens assassinés par dizaines de milliers, dont certains ont été dépossédés, qu'il faut rappeler.
Le principe n'est pas d'attendre les demandes des familles pour procéder à la restitution de ces œuvres mais de les devancer en s'engageant dans des actes réparateurs. Je salue l'extraordinaire travail réalisé par les musées, le ministère et la CIVS pour identifier ces spoliations, en vue de futures restitutions. Ce projet de loi va dans le sens d'une histoire qui reconnaît et dénonce les crimes commis, qui apaise et réconcilie, qui nous rassemble. C'est un honneur pour le législateur de participer à ce processus. En quittant le musée d'Orsay, le Louvre, le château de Compiègne et la ville de Sannois, ces œuvres retrouveront la quiétude des biens rendus à leurs propriétaires et participeront au souvenir des aïeux des familles qui pourront les contempler à nouveau.
Si nous partageons la volonté politique de ce texte, notre rôle de législateur est aussi de nous interroger sur le sens de la loi. Parce qu'elles appartiennent aux collections publiques, ces œuvres doivent être restituées par la voie législative, la seule à même de contourner les principes d'inaliénabilité, d'imprescriptibilité et d'insaisissabilité. Aussi, contrairement à ce qui est prévu pour les quelque 2 000 œuvres relevant du statut MNR qui n'ont, à ce jour, été ni restituées ni vendues et qui peuvent faire l'objet d'une restitution dans un cadre juridique idoine, nous serions amenés à légiférer à chaque restitution d'œuvres spoliées appartenant à l'État.
Vous l'avez souligné, madame la rapporteure, l'Allemagne et Israël nous ont devancés sur ces questions et nous comprenons aisément pourquoi ; il est donc temps pour la France d'accélérer la mise en œuvre de ces restitutions. Or le fait de passer par l'intervention du législateur pour chaque œuvre risque de ralentir considérablement un processus qui aura déjà été élaboré par des services tout à fait compétents. La justice, dans ces conditions, ne sera pas rendue dans un délai raisonnable. Aussi nos collègues sénateurs ont-ils raison d'appeler à un débat à la fois au sein de la représentation nationale et de l'opinion publique. Doter la France, comme le propose notre collègue sénatrice, d'une méthode « transparente, collégiale et scientifique » est évidemment un objectif louable, à la condition qu'il n'éloigne pas les musées de leur cœur de métier. Leurs équipes l'ont mille fois prouvé par leur travail acharné : elles n'ont cessé, depuis des décennies, de redonner à chaque œuvre, à chaque histoire, toute la vérité d'un exode, d'un arrachement, et quelquefois d'un retour à la descendance dans le cadre d'une restitution.
Si la réponse n'a pas encore été apportée, gageons qu'un compromis satisfaisant pourra être trouvé. En effet, l'agenda parlementaire est constamment saturé alors que l'État entend mener une politique de restitution ambitieuse. L'efficience de plus en plus grande des techniques muséales et la recherche permanente de vérité patrimoniale et historique laissent espérer que ces retours seront de plus en plus nombreux. Nous plaidons donc, comme la plupart des parlementaires, en faveur d'une loi-cadre ou d'un dispositif similaire à celui qui existe pour les MNR, qui offre un cadre sécurisant de restitution des œuvres au bénéfice des familles injustement dépossédées. Vous l'avez évoqué, madame la ministre, une telle loi serait à envisager plus tard.
En conclusion, à un moment de l'histoire où tant de dangereux démagogues et de populistes inconséquents s'arrangent avec la vérité, justifiant le sort plus favorable des Juifs français par l'extermination des autres, insultant ainsi à la fois l'histoire et nos consciences, tous les gestes qui témoignent de notre chagrin indélébile et de notre volonté toujours intacte d'affirmer la force de la fraternité sont les bienvenus et ne peuvent que nous réunir dans cet hémicycle. C'est pourquoi, comme l'ensemble des députés du groupe Socialistes et apparentés, en dépit des questions plus générales qui peuvent se poser encore, c'est avec gravité et émotion, et en saluant les familles présentes dans les tribunes du public, que je voterai pour ce projet de loi.