Intervention de Meyer Habib

Séance en hémicycle du mardi 25 janvier 2022 à 15h00
Restitution des biens culturels des victimes de persécutions antisémites — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMeyer Habib :

La spoliation de la communauté juive durant la seconde guerre mondiale a longtemps connu un manque de reconnaissance, pour ne pas dire une sorte de déni. Il a fallu attendre le travail acharné d'historiens dans les années 1980-1990 pour comprendre et expliquer qu'au sortir de la guerre, de nombreux Juifs rescapés de la Shoah et rentrés en France, pourtant dépossédés de tout, sans doute traumatisés, n'ont pas voulu faire de vague dans un pays en reconstruction qui préférait s'unir autour de l'héroïsme de sa résistance.

Après l'horreur de la déportation et des camps de la mort, les Juifs d'Europe ont ensuite dû se résoudre au silence et à la résignation de voir leurs biens spoliés désormais vendus sur les marchés d'art du Vieux Continent, et ce même si la France avait mis en place dès 1945 un service de restitution des biens des victimes des mesures de spoliation, notamment pour rétribuer les victimes de ce que l'on appelait alors l'aryanisation des entreprises, des biens ou des œuvres. Je crois que l'on ne saurait se rendre compte de la souffrance de ces femmes et de ces hommes, de ces Juifs qui avaient tout perdu dans les atrocités de la Shoah, et qui retrouvaient leurs foyers pillés, vidés, lorsqu'ils n'étaient pas occupés par d'autres.

Alors que le service de restitution peina à prouver son efficacité, les propriétaires d'œuvres d'art n'ont pas connu un meilleur sort : moins de la moitié des 100 000 œuvres pillées durant l'Occupation ont finalement été restituées par la Commission de récupération artistique. Si je reviens sur cette histoire des Juifs de France, c'est parce que trop longtemps, notre pays a détourné les yeux de ce qui est aussi une triste page de son histoire. Car si des scientifiques ont étudié et ressorti ces récits, l'étude historique ne juge pas les faits. Derrière chacune des œuvres d'art spoliées, il y a une histoire, une famille, des racines, des visages, des noms, des joies et de peines. Ceux par exemple de René Gimpel, marchand d'art à Paris et résistant, déporté de Compiègne en 1944 et tué en Allemagne en janvier 1945 ; d'Eleonore Stiasny, forcée à vendre ses œuvres en 1938 dont le chef-d'œuvre de Klimt, Rosiers sous les arbres, aujourd'hui exposé au musée d'Orsay. À mon tour, je tiens à rendre hommage à Rose Valland, grande résistante et conservatrice du musée du Jeu de paume sous l'Occupation, qui a réalisé un travail si précieux de traçage des œuvres d'art spoliées par les nazis.

C'est aujourd'hui à nous, députés de la nation, de prendre nos responsabilités pour assumer cette histoire, même dans ses parts les plus sombres ; c'est l'honneur de la France. Celle-ci doit savoir regarder son passé en face. Comme le disait Camus dans ses Chroniques algériennes, « il est bon qu'une nation soit assez forte de tradition et d'honneur pour trouver le courage de dénoncer ses propres erreurs », et j'ajouterai ses propres horreurs. Le 16 juillet 1995, cinquante ans après, c'est ce qu'a enfin fait avec courage le président Jacques Chirac en reconnaissant au Vél d'Hiv la responsabilité de notre pays dans les atrocités qui avaient été commises. Sans détour, il a reconnu l'implication des autorités françaises de l'époque dans cette période noire. Pour lui, Vichy, c'était aussi la France.

Alors que les derniers survivants des horreurs commises par l'Allemagne nazie s'éteignent peu à peu, c'est désormais aux ayants droit, de demander réparation – dans le cas présent, la restitution d'œuvres. Mais la difficile transmission intrafamiliale du traumatisme de la Shoah a souvent contraint les générations suivantes à vivre sous une sorte de chape de plomb, dans une totale ignorance d'un passé familial parfois devenu tabou.

À mon tour, je voudrais rendre hommage à l'immense Raphaël Esrail ,

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