Intervention de Stéphanie Kerbarh

Séance en hémicycle du mardi 25 janvier 2022 à 15h00
Restitution des biens culturels des victimes de persécutions antisémites — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphanie Kerbarh :

En retraçant l'histoire des œuvres spoliées sous l'occupation nazie, nous faisons face à l'horreur, à l'inimaginable, à l'indicible. Et puis nous trouvons, çà et là, le beau, l'humanité et le courage. Je pense à Rose Valland, attachée de conservation et surtout résistante. C'est grâce à ses notes et à son dévouement pendant et après la guerre que les restitutions d'œuvres ont été permises. Son travail, comme toutes les recherches menées au lendemain de la seconde guerre mondiale, ont permis de reconstituer des histoires et de redonner un peu à des familles décimées.

La spoliation n'a rien d'anecdotique : elle a participé de la volonté d'anéantir un peuple, en s'attaquant à sa culture, à la culture. Quatre-vingts ans après, nos efforts ne doivent pas faiblir : nous devons perpétuer notre politique publique de réparation des spoliations antisémites. Nous le devons à ces victimes et à leurs héritiers. Les œuvres d'art spoliées sont les vestiges d'un crime immense dont il ne reste que peu de victimes encore vivantes et pour qui nous devons continuer de nous rappeler et de réparer. Nous le devons aussi pour reconnaître la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs de France, dans la continuité du discours du président Jacques Chirac de 1995. Comme il le disait à l'époque, nous avons une « dette imprescriptible ».

Comme la déportation et l'extermination, la spoliation a été conduite par le régime nazi avec la complicité active de l'État français sous l'Occupation, qui a confisqué et vendu les biens des Juifs dans le cadre de la législation antisémite. Je citerai l'exemple de la collection d'Armand Dorville, avocat juif né à Paris. Le traitement réservé par le régime de Vichy à ses héritiers infirme l'hypothèse avancée par certains d'un régime qui aurait sacrifié les Juifs étrangers pour protéger les Juifs français. Cette hypothèse ne résiste pas aux faits historiques. Il y va donc de la responsabilité de l'État – je dirais même de son honneur – d'assurer les travaux de recherche, de restituer et d'indemniser.

Aussi, nous ne pouvons que saluer l'inscription à notre ordre du jour de ce projet de loi. Il est inédit, puisque pour la première fois les œuvres sont restituées ou remises à des particuliers, et non à un État. Par ailleurs, nous insistons sur la nécessité d'accentuer l'effort de recherche de provenance. Nous saluons les efforts consentis ces dernières années, notamment la création de la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations, puis de la mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés. Surtout, il était nécessaire que ces recherches ne se résument pas uniquement aux œuvres MNR, mais qu'elles s'appliquent aussi à nos collections nationales. Leur caractère inaliénable ne nous autorise pas à nous affranchir de cette réflexion. Bien au contraire, il nous oblige à un devoir éthique et à une exemplarité supérieurs. Cela implique de mieux former les jeunes diplômés et les professionnels à l'activité de chercheurs de provenance.

La lutte contre la circulation illégitime des œuvres est un enjeu culturel, éthique et diplomatique. C'est ce qui a déjà motivé la loi relative à la restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal. Certains appellent à la mise en place d'une loi-cadre. L'idée mérite effectivement réflexion pour accompagner la recherche de provenance systématique que le groupe Libertés et territoires appelle de ses vœux, tout en prenant en compte le caractère spécifique de chaque œuvre, de chaque histoire. La priorité est d'abord de sécuriser la recherche des ayants droit. Cela pose la question des moyens que l'État peut lui consacrer et de la procédure retenue pour définir de manière sécurisée les successions. Ces quêtes sont souvent très longues et les démarches, fastidieuses ; nous devons tout faire pour les faciliter et pour trouver des solutions justes pour chacun. Nous devons prêter une oreille attentive à leur histoire, et continuer de faire vivre le récit de toutes ces familles.

Madame la ministre, vous avez annoncé en mars dernier le lancement de la procédure de restitution du tableau Rosiers sous les arbres de Klimt, conservé au musée d'Orsay, aux ayants droit de Nora Stiasny, morte en déportation en 1942, et qui en avait été spoliée à Vienne en août 1938. Malgré les difficultés juridiques, il faut poursuivre l'effort. Notre groupe espère que d'autres restitutions interviendront encore à l'avenir, car nous le savons, un grand nombre de biens attendent encore que le flou soit levé sur leur parcours et leur acquisition. Elie Wiesel a écrit « Le corps n'est pas éternel mais l'idée de l'âme l'est. Le cerveau sera enterré mais la mémoire lui survivra ». Ces œuvres d'art spoliées sont des fragments de la mémoire de la Shoah que nous devons entretenir. Madame la ministre, chers collègues, c'est avec une émotion certaine que le groupe Libertés et territoires votera ce texte inédit.

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