C'est une page effroyable de notre histoire que nous abordons à travers ce projet de loi, et je veux dire, pour commencer, que jamais nous ne devons cesser de la regarder en face ni d'en mesurer les traces dans un présent marqué par un antisémitisme persistant, marqué aussi par des réminiscences idéologiques que nous serions terriblement coupables de banaliser.
La spoliation des œuvres d'art s'inscrit dans un projet politique, celui de l'extermination des Juifs. Des hommes ont voulu supprimer toutes les traces de ces êtres humains coupables d'être juifs ; d'autres ont prêté main-forte à ce projet d'une telle abjection qu'il est aujourd'hui encore si difficile, si douloureux de se représenter. À l'heure où certains osent se réclamer de Vichy et nier les responsabilités de l'administration française de cette époque si sombre de notre passé, c'est avec une profonde émotion que je veux apporter mon soutien, notre soutien à ce texte.
Depuis plus de vingt-cinq ans, la provenance des collections est recherchée systématiquement, afin d'identifier les œuvres dont ont été spoliées les familles juives, entre 1933 et 1945. De 1997 à 2000, les travaux de la mission d'étude sur la spoliation des Juifs de France, dite mission Mattéoli, ont permis d'avancer dans la connaissance des processus de spoliation, notamment celle des œuvres d'art. Cela a débouché sur la création de la Fondation pour la mémoire de la Shoah et de la CIVS.
Sur le plan international, la question de la réparation des spoliations d'œuvres d'art s'est peu à peu imposée, aboutissant à l'adoption, en 1998, par quarante-quatre États, des principes de Washington sur les œuvres d'art confisquées par les nazis.
En France, on estime habituellement que 100 000 œuvres et objets d'art ont été spoliés pendant la seconde guerre mondiale. Ce nombre est sans doute sous-estimé, puisqu'il ne repose que sur les réclamations faites au lendemain de la guerre.
Depuis 2012, soixante-huit œuvres et objets ont été restitués. Deux tiers d'entre eux, soit quarante-trois, l'ont été dans le cadre de recherches proactives, menées à l'initiative du ministère et des musées concernés, et non sur la demande d'ayants droit. De récentes restitutions d'œuvre ont eu lieu : quatre œuvres en 2017, six en 2018, onze œuvres et objets en 2019, vingt-quatre en 2020.
L'objectif politique du texte est de restituer ou de remettre certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires, victimes de persécutions antisémites. Il porte sur deux tableaux et un lot de douze œuvres d'art.
La première restitution concerne le tableau Rosiers sous les arbres, de Gustav Klimt, conservé dans les collections nationales placées sous la garde du musée d'Orsay. Il sera remis aux ayants droit de Nora Stiasny, qui fut contrainte de vendre son tableau en 1938 au militant nazi Philipp Häusler, avant d'être déportée et assassinée, comme sa mère Amalie Zuckerkandl, son mari Paul, leur fils Otto, et d'autres membres de la famille. Les ayants droit ont déjà tenté une action infructueuse en 1946. En 2017, un rapport publié par les autorités autrichiennes indique que le véritable tableau spolié était « selon une forte probabilité », le Rosiers sous les arbres du musée d'Orsay.
La deuxième restitution concerne un lot d'œuvres provenant de la collection d'Armand Dorville, conservé dans les collections nationales placées sous la garde du musée du Louvre, du musée d'Orsay et du musée national du château de Compiègne. La restitution sera exécutée auprès des ayants droit d'Armand Dorville. Les auteurs des œuvres sont Jean-Louis Forain, Constantin Guys, Henry Monnier, Camille Roqueplan et Pierre-Jules Mène. Elles ont été achetées par l'État en juin 1942, lors d'une vente organisée de façon régulière par la famille, mais le contexte de cette vente est celui du Commissariat général aux questions juives et de la loi du 22 juillet 1941, dite loi d'aryanisation des entreprises, visant à « supprimer toute influence israélite dans l'économie nationale ». Ces termes font froid dans le dos.
Le produit de la vente de ces douze œuvres a été immobilisé et n'a pas été versé aux héritiers avant la Libération. Si ce lot d'œuvres n'a pas fait l'objet d'une spoliation au sens propre du terme, le CIVS considère que le blocage temporaire des sommes dues aux ayants droit et le destin tragique de plusieurs d'entre eux justifient une mesure de réparation.
La troisième restitution concerne le tableau Carrefour à Sannois de Maurice Utrillo, dont fut spolié Georges Bernheim en 1940. Ce dernier était un marchand d'art français, propriétaire d'une galerie. Son appartement a été pillé et, parmi les biens volés, figurait ce tableau. Après la guerre, Georges Bernheim et ses ayants droit ont effectué des démarches en vue de retrouver les œuvres volées, mais ce tableau ne fut pas restitué.
Toutes ces spoliations s'inscrivent dans le cadre des atrocités perpétrées par les nazis, avec la complicité du régime. Une grande partie de la famille Dorville a été décimée : Valentine Lion, la sœur d'Armand Dorville ; Denise Falk et Monique Tabet, deux de ces nièces ; ainsi que Dominique Falk et Marie-France Tabet, leurs enfants âgés de 2 et 4 ans. Énoncer ici les noms de ces victimes, de ces vies broyées au nom d'une idéologie qui a conduit à la Shoah, c'est prendre en considération l'effet des choix politiques sur la réalité humaine.
La victoire sur les nazis doit s'accompagner d'une annihilation réparatrice de l'ambition hitlérienne visant à créer un musée d'œuvres aryennes, confisquées aux Juifs des pays occupés. Tout cela est absolument effroyable.
Pour cette raison, je voterai, et le groupe FI votera ce projet de loi et l'ensemble des articles qui le composent, en formulant le vœu, après, notamment, la ministre et Elsa Faucillon que nous puissions aller plus loin.