Intervention de élisabeth Borne

Séance en hémicycle du mercredi 26 janvier 2022 à 15h00
Ratification de l'ordonnance relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant aux plateformes — Présentation

élisabeth Borne, ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion :

Après une première lecture à l'Assemblée en septembre, puis au Sénat en novembre, la commission mixte paritaire est parvenue le 5 janvier à un accord sur ce projet de loi destiné à promouvoir le dialogue social avec les plateformes. Je tiens à remercier particulièrement ses membres, dont le travail a permis d'aboutir à un texte ambitieux et équilibré qui, conformément à l'engagement du Gouvernement, fournit un socle de droits nouveaux aux travailleurs des plateformes.

Le texte est bâti sur une conviction : la négociation collective est la meilleure méthode pour bâtir une protection sociale adaptée aux travailleurs des plateformes. Je rappelle que le premier objectif du projet de loi est de ratifier l'ordonnance du 21 avril visant à permettre l'émergence d'un dialogue social dans le secteur des plateformes de mobilité. Cette ratification est une première pierre posée en vue de la construction d'une véritable démocratie sociale dans le secteur. Avec elle, nous voulons accompagner le développement des plateformes de mise en relation tout en veillant à mieux protéger les travailleurs qui y recourent. Nous voulons aussi bâtir un dialogue social structuré entre les plateformes et leurs travailleurs afin de faire bénéficier ces derniers de droits nouveaux – relatifs à la rémunération minimale, à la formation professionnelle, à la santé au travail – tout en respectant l'indépendance à laquelle nombre d'entre eux sont attachés.

L'enjeu est donc aussi d'adapter le droit du travail aux nouvelles formes d'emploi ; le texte s'inscrit à cet égard dans la continuité d'un travail de réflexion et de concertation approfondi, mené d'abord par Jean-Yves Frouin puis par Bruno Mettling, que je tiens à remercier tous les deux une nouvelle fois.

L'ordonnance du 21 avril prévoit l'organisation d'une élection nationale permettant à près de 100 000 travailleurs des deux secteurs d'activité concernés, c'est-à-dire les chauffeurs de VTC et les livreurs à vélo, d'élire leurs représentants. Cette élection, qui se tiendra du 9 au 16 mai, leur permettra de bénéficier pour la toute première fois d'une représentation syndicale. Sa réussite est au cœur des missions confiées à la nouvelle instance de facilitation du dialogue social dont la création est également prévue par cette ordonnance, l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi. Je me réjouis tout particulièrement d'avoir participé, la semaine dernière, à l'installation de cette autorité et à la tenue de son premier conseil d'administration. C'est une première étape importante qui marque notre volonté de voir s'appliquer rapidement les dispositions du projet de loi que vous êtes appelés à voter aujourd'hui. Au-delà de l'organisation des élections, cette jeune autorité sera chargée d'accompagner les nouveaux représentants dans la réussite des premières négociations qui seront lancées. En effet, l'ARPE a vocation à devenir un facilitateur du dialogue social en même temps qu'un observatoire des évolutions de l'activité du secteur des plateformes.

Je salue les avancées importantes permises sur le texte par vos deux chambres, qui ont complété utilement les missions attribuées à cette autorité. Dans le projet de loi, de nouveaux rôles lui sont ainsi confiés : un rôle de reconnaissance des organisations représentatives des plateformes et un rôle de médiation en cas de différend entre ces dernières et les représentants des travailleurs. L'enrichissement des missions de l'ARPE lui permettra d'accroître rapidement sa crédibilité et de gagner en efficacité. Par ailleurs, le travail de la commission mixte paritaire a permis de préciser et de mieux définir le rôle d'expertise dévolu à ce nouvel établissement public administratif. Je suis certaine que ces apports permettront à l'ARPE de prendre rapidement la mesure de son portefeuille et de monter pleinement en puissance.

Au-delà de ces avancées, le texte ouvre la voie à de nouvelles dispositions législatives susceptibles de définir les modalités du dialogue social dans le secteur. C'est tout le sens de l'article 2, qui vous demande d'habiliter le Gouvernement à approfondir par voie d'ordonnance le cadre de la négociation collective entre les représentants des plateformes et ceux de leurs travailleurs. Le recours à cette procédure répond à la nécessité de définir le cadre du dialogue social avant la tenue des élections professionnelles, au mois de mai, pour donner de la visibilité aux travailleurs des plateformes. Je salue à cette occasion le compromis obtenu entre les deux chambres, qui ont réussi à s'entendre sur le champ de la négociation. En effet, le périmètre retenu concernera le dialogue au niveau du secteur des plateformes de mobilité et non le dialogue au sein des plateformes elles-mêmes. Cela permettra d'acter le plus rapidement possible de nouveaux droits pour les travailleurs du secteur.

Je tiens également à saluer le compromis obtenu sur les thèmes ouverts à la négociation collective : en faisant le choix de renvoyer leur liste aux futures ordonnances, sans figer les choses dans la loi, l'Assemblée nationale et le Sénat démontrent, une fois encore, que leur travail de coconstruction est essentiel pour élaborer des dispositifs équilibrés et utiles. L'apport de l'Assemblée nationale a, là aussi, été décisif et permet de conserver une marge de manœuvre dans le choix des thèmes afin de répondre de la manière la plus efficace aux besoins des travailleurs.

Enfin, je salue l'esprit de concorde qui a prévalu entre les rapporteures des deux assemblées sur la question des prix affichés par les plateformes et des revenus perçus par les travailleurs qui y recourent. La rédaction retenue dans ce texte est, là aussi, celle du rapport Mettling ; elle permet d'intégrer aux thèmes ouverts à la négociation collective les modalités de détermination des revenus des travailleurs. Il s'agit d'une avancée importante qui permettra au secteur de se pencher sur cette question essentielle grâce au dialogue social, sans préjuger des conclusions qu'il conviendra d'en tirer.

Enfin, à l'heure de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, je voudrais rappeler que ce texte porte une ambition forte et singulière en Europe. Les choix défendus au niveau national montrent qu'il est possible d'améliorer les conditions de travail des travailleurs des plateformes sans pour autant réglementer leur statut. Le projet de directive de la Commission européenne sur les travailleurs des plateformes fait, lui aussi, une place à la représentation collective ; il reconnaît pleinement le rôle des représentants des travailleurs des plateformes. De la même manière, par ses lignes directrices sur le droit de la concurrence, la Commission confirme la possibilité pour ces acteurs de conclure des accords et explicite les situations dans lesquelles une négociation collective des travailleurs indépendants est possible au regard du droit européen de la concurrence ; elle couvre notamment les conventions sur les conditions de travail conclues entre les travailleurs indépendants et les donneurs d'ordre. Les avancées permises par ces deux projets de texte illustrent la complémentarité de nos approches.

Par ailleurs, la France se félicite des initiatives de la Commission européenne visant à renforcer les droits des travailleurs des plateformes vis-à-vis du management algorithmique. Celle-ci propose de renforcer les obligations de transparence quant à l'utilisation des systèmes de décision automatisés, complétant ainsi les démarches engagées au niveau national. La Commission européenne propose également de garantir le droit de contester auprès d'un interlocuteur physique les décisions prises par ces systèmes automatisés et celui de recevoir une réponse dans un court délai.

La voie choisie par la France – faire émerger une représentation collective des travailleurs – est donc complémentaire de la proposition de la Commission européenne, qui vise notamment à renforcer la transparence des relations entre les plateformes et leurs travailleurs.

Vous l'aurez compris, ce texte de compromis pose les jalons d'un dialogue social dans le secteur des plateformes de mobilité. Nous pouvons en être fiers tant nous sommes convaincus que cette méthode permettra de bâtir des protections nouvelles, en répondant au mieux aux aspirations des près de 100 000 travailleurs indépendants concernés. Aussi, je vous invite à approuver les conclusions de la commission mixte paritaire et à voter très largement en faveur de ce projet de loi, pour renforcer les droits réels des travailleurs des plateformes.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.