Le nom de famille, celui qui figure sur l'acte de naissance, est d'abord une signature, mais c'est aussi et surtout une identité. Nul doute que la très grande majorité de nos concitoyens est heureuse de porter son nom, et c'est très bien comme ça ; c'est même souvent un motif de fierté. Mais c'est toujours un symbole d'appartenance, un attachement profond à une famille et, avec elle, à une histoire.
Le nom de famille est public, mais il nous rattache à la part d'intime qu'il y a en chacun d'entre nous, et l'intime recèle aussi parfois des drames. Quand un nom devient impossible à porter, la loi doit être là pour soulager les femmes et les hommes qui ne souhaitent pas porter un nom de douleur, qui est parfois même le nom d'un bourreau. Car oui, nous le savons, certaines personnes supportent leur nom plus qu'elles ne le portent.
De manière moins dramatique mais tout aussi importante, le nom de l'enfant mineur peut aussi être une source de tracasseries pour le parent qui n'a pas transmis son nom et qui pourtant élève l'enfant au quotidien, seul parfois. Je pense en particulier à ces mères qui doivent sans cesse montrer leur livret de famille pour prouver qu'elles sont bien la mère d'un enfant qui ne porte pas leur nom.
Ces difficultés, nous les connaissons bien. Certains d'entre nous les ont vécues dans leur histoire personnelle et nous connaissons tous des personnes qui les ont éprouvées.
Ce texte est un texte de liberté, c'est un texte d'égalité, c'est un texte de simplification. Monsieur le rapporteur, votre proposition de loi, déposée avec le soutien des députés de la majorité, va résoudre concrètement l'ensemble de ces difficultés. Elle va permettre une plus grande liberté pour chaque Français et une plus grande égalité entre les parents, sans bouleverser le moins du monde les règles relatives à l'attribution et à la dévolution du nom de famille, j'insiste sur ce point.
De quoi s'agit-il exactement ? De déstructuration de la famille ? Que nenni. Il s'agit d'abord de simplifier les règles de changement de nom pour les personnes qui, après leur majorité, veulent substituer ou ajouter à leur nom, le nom du parent qui ne leur a pas été transmis. Je rappelle que si les réformes de 2005 et 2013 ont pu apporter dans le droit du nom une certaine souplesse, la procédure de changement de nom est cependant restée d'une très grande rigidité – je suis assez bien placé pour le savoir.
Cette modification nécessite des formalités préalables de publicité, puis une instruction par les services de la Chancellerie, qui contrôle l'existence d'un motif légitime. Il faut donc d'une certaine façon se dénuder, faire part de cette intimité aux services de la Chancellerie. S'il est fait droit à la demande, il faut encore que le Premier ministre signe un décret, lequel est publié au Journal officiel de la République française. Cela coûte de l'argent et prend du temps, beaucoup de temps parfois.
Cette procédure se justifie pleinement dès lors qu'il s'agit de prendre un nom qui n'est pas celui de l'un ou de l'autre des parents, mais sur les 4 000 demandes de changement de nom dont je suis saisi chaque année, près de la moitié concerne des personnes majeures qui souhaitent porter le nom d'un parent qui ne leur a pas été transmis.
Il s'agit de permettre à toute personne majeure, de manière simplifiée, une fois dans sa vie, d'adjoindre ou de substituer à son propre nom le nom du parent qui ne lui a pas transmis le sien. Ce changement se fera devant l'officier de l'état civil et non plus par décret. L'officier de l'état civil n'aura pas à contrôler le motif de ce changement et il ne sera pas besoin de prévoir des formalités de publicité autre que celles qu'assurent les registres de l'état civil. En effet, il s'agit seulement pour l'intéressé de porter le nom qui aurait pu lui être attribué à la naissance, ni plus ni moins.
Je soutiens cette réforme avec vigueur et même, vous le savez, monsieur le député Vignal, avec enthousiasme parce qu'elle simplifie la vie de nos concitoyens, qu'elle est logique, qu'elle est juste. Si les parents ont pu faire le choix du nom de l'enfant nouveau-né, il n'y a aucune raison que cet enfant, lorsqu'il a atteint l'âge de la majorité, ne puisse faire le même choix pour lui-même.
Cette proposition de loi offre également la possibilité de simplifier et compléter les règles relatives au nom d'usage, celui dont toute personne a le droit de faire usage dans la vie sociale, au travail, dans ses relations avec les uns et les autres, voisins, amis, administrations. Ce nom ne peut pas être transmis aux descendants.
La proposition de loi fait d'abord entrer dans le code civil les règles introduites par la loi Badinter de 1985, insuffisamment connues. Elles permettent à toute personne majeure ou mineure d'adjoindre à son nom de famille, à titre d'usage, le nom du parent qui ne lui a pas été transmis. Les possibilités offertes en la matière seront par ailleurs élargies pour les majeurs comme pour les mineurs, puisqu'il sera également possible de substituer le nom du parent qui n'a pas été transmis ou de l'adjoindre dans l'ordre voulu.
En ce qui concerne les mineurs, l'attribution d'un nom d'usage est traditionnellement considérée en jurisprudence comme un acte grave de l'exercice de l'autorité parentale qui nécessite l'accord préalable des deux parents et, à défaut, l'autorisation du juge. En cas de séparation, cette règle peut être source de difficultés lorsque l'enfant ne porte le nom que d'un seul des parents et que celui-ci refuse l'ajout d'un nom d'usage. C'est pourquoi il est nécessaire de permettre au parent dont le nom n'a pas été transmis de l'adjoindre, à titre d'usage, à celui de l'enfant, à condition d'en avoir informé préalablement l'autre parent. Dans cette hypothèse, il est effectivement plus juste que ce soit au parent qui s'oppose à l'adjonction de saisir le juge.
Vous l'aurez compris, je salue l'effort de simplification de la proposition de loi. Je tiens à remercier les membres de la commission des lois, en particulier le rapporteur Patrick Vignal avec qui je travaille depuis plusieurs mois, Camille Galliard-Minier qui a réalisé un travail remarquable, ainsi qu'Aude Luquet pour sa précision et Alexandra Louis pour sa connaissance fine de ces sujets sensibles, sans oublier le président Castaner qui a soutenu cette initiative. Je veux également citer le collectif Porte mon nom – et tout spécialement sa présidente Marine Gatineau Dupré – qui, par sa mobilisation, a permis de faire bouger les lignes. La procédure parlementaire est longue mais je suis heureux que nous puissions aujourd'hui faire aboutir votre combat, notre combat.
Certains ont cependant émis des inquiétudes sur le fait de confier la procédure simplifiée de changement de nom aux officiers de l'état civil. Je voudrais prendre un instant pour tenter d'apaiser ces craintes. J'ai, comme vous, pleinement conscience que les équilibres en matière de nom sont particulièrement sensibles et toujours fragiles : il ne faut y toucher que d'une main tremblante.
Je rappelle toutefois qu'une procédure de changement de nom devant un officier de l'état civil existe déjà en cas de disparité entre le nom porté en France et le nom étranger, de même que lorsqu'il s'agit du changement de prénom. Cette nouvelle procédure simplifiée de changement de nom ne constitue donc nullement un saut dans l'inconnu pour ces agents.
D'autres ont brandi le risque d'un état civil « à la carte ». Je crois que c'est un fantasme : depuis 1985, toute personne peut adjoindre à titre d'usage le nom qui ne lui a pas été transmis. Depuis 2005, les parents peuvent choisir le nom de l'enfant.
La présente proposition de loi ne met pas davantage à mal le principe d'unité du nom de la fratrie prévu par le code civil, principe qui ne sera aucunement modifié durant la minorité. Par ailleurs, dans certains cas, les membres d'une même fratrie peuvent déjà porter des noms différents, notamment en raison des modalités d'établissement de la filiation qui peuvent varier au sein d'une famille – cela a toujours existé et c'est inévitable.
Enfin, je veux rappeler que ce n'est pas le droit qui fait la société mais bien l'inverse. C'est pourquoi la proposition de loi a pour ambition non pas de changer la société ou de détruire la famille, mais bien de résoudre des problèmes concrets auxquels nos concitoyens sont confrontés dans leur quotidien.
On nous reproche parfois d'être technocratiques ou trop éloignés des préoccupations des Français. Sachez que j'ai reçu une quantité invraisemblable de lettres qui font état de choses simples de la vie auxquelles nous ne pouvons et ne devons pas nous opposer. Une dame de plus de 70 ans m'écrit ainsi : « Je porte mon nom comme on porte une croix parce qu'il est le nom de mon violeur. » Peut-on rester insensible à cela ? Une autre femme déclare : « Je porte le nom transmis par mon père, un nom qui n'aura plus vocation à être transmis, alors que j'en suis particulièrement fière car c'est celui d'une famille qui s'est illustrée dans l'histoire de France. » Faut-il laisser ce nom disparaître en ne permettant pas sa transmission ?
Je peux évoquer d'autres exemples encore, à l'instar de la mère qui élève seule son enfant et qui doit justifier que son fils est son fils pour l'inscrire au judo ou à l'école. Est-il si compliqué de permettre aux milliers de femmes qui sont concernées l'adjonction de leur patronyme ? Cette loi est aussi une loi d'égalité pour que ces situations humiliantes n'aient plus cours. « Je ne veux plus », ai-je lu encore, « porter le nom d'un père qui ne fut pour moi qu'un géniteur que je n'ai jamais vu ; je veux pouvoir rendre hommage à ma mère qui m'a élevé. » Ne peut-on pas entendre ce discours ? Ne sommes-nous pas là au cœur d'une simplification que certains de nos compatriotes appellent de leurs vœux ? Je tiens tous ces courriers à votre disposition : vous serez, j'en suis convaincu, bouleversés par leur contenu.
Vous l'aurez compris, mesdames et messieurs les députés, la présente proposition de loi fait œuvre utile. Mieux, elle fait œuvre juste.