Intervention de Danièle Obono

Séance en hémicycle du mercredi 26 janvier 2022 à 15h00
Choix du nom issu de la filiation — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono :

« Je ne saurais me persuader que la propriété du nom réside ailleurs que dans la convention et le consentement des hommes. » Cette phrase est prononcée par un certain Hermogène, au début du Cratyle, dialogue dans lequel Platon s'interroge sur la nature du langage. Il pose correctement le problème : peut-on être pleinement soi-même dès lors que le monde use d'un nom que l'on ne reconnaît pas pour le sien ? Nous pensons que non.

Disposer d'un nom propre et s'assurer qu'il soit véritablement en usage n'est ni plus ni moins qu'une condition nécessaire pour être soi-même. Dès lors, légiférer sur la possibilité de changer son nom ou de le transmettre à son enfant, c'est traiter d'un sujet à la fois philosophique et pratique, prosaïque, raisonnable et poignant. C'est également affronter le point le plus audacieux de l'humanisme républicain. En effet, cette doctrine professe que les êtres humains possèdent une dignité propre, qui consiste à pouvoir et à devoir sans cesse affirmer qui ils sont. Nous utilisons cette faculté en fonction de notre expérience, de notre histoire, des modèles que nous ont donnés nos parents, notre famille ou nos proches, celles et ceux dont nous voulons nous réclamer ou dont, au contraire, nous rejetons l'exemple.

Ainsi, la personne humaine se construit et finit par choisir qui elle est. Pour cela, elle s'affranchit, voire s'émancipe parfois, des influences que son milieu a exercées sur elle. Tous les cas sont possibles : elle peut refuser de porter le nom de celui qui l'a fait souffrir ou dont elle réprouve la conduite, elle peut changer de religion ou vouloir témoigner de son attachement filial pour celui ou celle qui l'a élevée. Elle témoigne qu'un héritage ne s'impose pas comme un fardeau mais qu'il se recueille. Notre humanité tient en grande partie à ce choix.

Jusqu'en 2002, les parents ne pouvaient pas choisir le nom de famille qu'ils voulaient transmettre à leur enfant. S'ils étaient mariés ou s'ils avaient reconnu le nouveau-né ensemble, l'enfant portait automatiquement le nom du père. Depuis, la loi autorise les parents à choisir le nom qu'ils veulent transmettre à leur enfant : celui de l'un des deux parents ou les deux noms accolés, dans l'ordre choisi par le couple. Pourtant, la tradition de donner à l'enfant le nom du père perdure au sein des couples hétérosexuels. Selon l'INSEE, 81,4 % des enfants nés en 2019 en France ont reçu le nom de leur père ; 11,7 % portent un double nom et seulement 6,6 % portent uniquement le nom de leur mère. Selon les chiffres du collectif Porte mon nom, plus d'une femme sur dix n'a pas choisi le nom de naissance de son enfant : 85 % des femmes interrogées regrettent même ou ont peur de regretter de porter le nom de leur mari en cas de divorce.

Actuellement, il est quasiment impossible de changer le nom d'usage de l'enfant sans l'accord de l'autre parent, même s'il ne s'agit que d'adjoindre un deuxième nom. Pour mémoire, le nom d'usage est utilisé dans la vie sociale et dans la documentation administrative. Il est également présent sur les pièces d'identité de l'enfant. Cette impossibilité engendre, dans les situations de séparation conflictuelle, des complications administratives et des souffrances. C'est le cas pour les femmes qui élèvent seules leurs enfants : 85 % des familles monoparentales concernent des femmes élevant seules presque 3 millions d'enfants ! Il est particulièrement humiliant pour une mère qui élève seule son enfant de devoir en permanence justifier de son lien de filiation auprès des administrations, que ce soit à l'école, à l'hôpital ou encore lors de voyages à l'étranger, parce que l'enfant ne porte pas le même nom qu'elle. Alors même que ces femmes gèrent le quotidien et parfois la totalité des soins relatifs à l'enfant, elles sont en permanence délégitimées par le fait de ne pas porter le même nom que lui.

Il est particulièrement éprouvant, pour les mères comme pour les enfants, de devoir continuer à porter le nom d'un père violent, dans un contexte de violences intrafamiliales, conjugales ou exercées sur les enfants. La procédure de changement de nom est longue – elle peut durer jusqu'à six ans –, pénible, parfois humiliante et surtout coûteuse, donc discriminante socialement. Selon le collectif Porte mon nom, la démarche reviendrait au total à 5 000 euros en moyenne en comptant les frais d'avocat. Des victimes d'inceste qui ne souhaitaient plus porter le nom de leur agresseur ont vu leur demande rejetée. En 2020, sur les 4 293 requêtes déposées en ce sens, seules 44 % ont été acceptées.

C'est pourquoi ce texte, qui facilite le changement de nom d'usage à l'état civil, nous paraît conforme à l'intérêt des citoyens et des citoyennes de ce pays, en ce qu'il fait progresser la liberté : nous le voterons.

Toutefois, nous aurions aimé qu'il aille plus loin en reconnaissant notamment une demande que nous défendons depuis le début de la législature : que le changement d'état civil lui-même soit facilité. Nous devrons aborder cette mesure qui, nous l'espérons, sera adoptée à l'occasion d'une future législature.

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