« Oh ! sois quelque autre nom ! Qu'y a-t-il dans un nom ? » Cette question posée par Shakespeare dans Roméo et Juliette continue de nous interroger. Formellement et froidement, la réponse est assez simple : le nom est avant tout une composante de notre personnalité juridique ; il est ce qui nous rattache à la société, ce qui permet de nous désigner, de nous identifier, parfois même de nous retrouver. Mais le nom, c'est aussi ce qui nous relie à une histoire, à un héritage familial, à des origines. Votre nom révèle une partie de votre passé, et détermine parfois votre futur – ce fut cruellement le cas pour Roméo et Juliette, dont le sort était scellé parce qu'ils s'appelaient Montaigu et Capulet. Si certains ont la chance de porter leur nom comme une fierté, d'autres le traînent comme un boulet. Porter un nom est en quelque sorte une fatalité, puisqu'il est frappé par le code civil d'un principe d'immutabilité qui ne supporte que quelques exceptions.
Redisons-le clairement : la proposition de loi n'a pas vocation à révolutionner les règles de dévolution du nom de famille, qui doivent évidemment répondre à un enjeu de stabilité. Elle vise à faciliter, dans des situations très précises et selon des règles tout aussi précises, le changement du nom patronymique ou du nom d'usage.
Le premier progrès du texte consiste à créer une procédure simplifiée de changement de nom. Chaque année, quelque 2 000 Français désirent changer de nom, mais seul un tiers y parvient. La procédure est complexe et souvent décourageante, puisqu'elle impose de démontrer un motif légitime. Porter le nom d'un père violent, d'un père absent, ou d'un père qui n'en a simplement jamais été un, ne doit plus être une fatalité. Pourquoi demander aux personnes de justifier les blessures de leur passé, alors qu'elles pourraient tout simplement porter le nom de leur autre parent ?
Dans son discours préliminaire sur le projet de code civil, Portalis a affirmé : « Les lois sont faites pour les hommes, et non les hommes pour les lois. » Cet adage devrait éclairer nos débats. Permettez-moi d'illustrer mon propos par le témoignage d'une personne qui m'est particulièrement chère, sans laquelle je ne serais sans doute pas celle que je suis : « J'ai porté un nom qui n'aurait jamais dû être le mien. Chaque fois que je l'entendais prononcer, je le vivais comme une injustice ; pire, j'avais le sentiment d'être le fruit d'une imposture. J'ai hérité du nom de l'homme qui était marié à ma mère biologique lors de ma naissance, alors qu'il n'était ni mon père biologique, ni celui qui m'avait élevé. Il était pour moi un étranger, et par son nom, c'était comme s'il me privait de ma véritable filiation, de ma véritable identité. »