En Inde, la crise sanitaire a notamment eu comme effet pervers de contraindre les plus pauvres à en arriver, pour survivre, à l'impensable : vendre un de leurs organes. 50 000 roupies indiennes, soit 566 euros, c'est la somme d'argent qu'a reçue un habitant d'un village situé dans le nord-est de l'Inde, pour avoir vendu son rein au marché noir. Les autorités locales ont finalement arrêté les courtiers macabres, qui promettaient entre 400 000 et 600 000 roupies aux plus nécessiteux pour les convaincre d'aller donner un organe dans une clinique privée.
L'Afghanistan n'est pas en reste. À mesure que le pays sombre dans l'horreur, depuis le départ des États-Unis et la prise de Kaboul par les talibans, en août dernier, certains vendent reins ou enfants pour ne pas mourir de faim. Pourtant, depuis l'avènement de ces fous d'Allah, les tarifs et les conditions de vente ont changé : autrefois, un rein se négociait entre 3 500 et 4 000 dollars, aujourd'hui il en vaut 1 500 ; c'est la loi de l'offre et de la demande et, misère oblige, le nombre de vendeurs ne cesse d'augmenter.
Loin d'être isolé, ce phénomène est planétaire. Chaque année, 5 à 10 % des transplantations mondiales seraient réalisées illégalement, ce qui représente entre 7 500 et 13 000 organes, pour un chiffre d'affaires annuel compris entre 840 millions et 1,7 milliard de dollars, selon l'ONG Global Financial Integrity.
Ces chiffres sont d'autant plus glaçants qu'il faut les mettre en regard de l'immense espoir de nombreux malades, dont la vie ne tient qu'à un fil. En France, près de 24 000 personnes sont en attente d'une transplantation d'organe, avec un délai moyen d'attente de trois ans. C'est évidemment un délai trop long : dans l'intervalle, l'état de certains patients se dégrade tellement qu'ils ne peuvent plus recevoir de greffe, et à cause de ce délai, 500 à 600 patients meurent chaque année, faute d'avoir pu bénéficier de la greffe tant espérée.
Face à la pénurie d'organes, la science nous ouvre des perspectives. Il y a deux semaines à peine, on apprenait qu'un patient américain venait de recevoir un cœur de porc génétiquement modifié. L'homme de 57 ans est le premier être humain dont la vie pourrait avoir été sauvée grâce à une xénotransplantation, la greffe d'un organe provenant d'un être vivant d'une autre espèce. Cet exploit soulève évidemment une myriade d'interrogations éthiques, loin d'être résolues, et il nous faudra rapidement poser les termes de ce nouveau débat.
Aujourd'hui, il est proposé à notre assemblée de ratifier la Convention du Conseil de l'Europe contre le trafic d'organes humains, adoptée le 25 mars 2015, signée par la France à Strasbourg le 25 novembre 2019, dont le texte est annexé au présent projet de loi. Malgré certaines réserves émises par la France sur quelques articles de la convention, concernant le champ d'application de la tentative de commission de certaines infractions visées par la convention et le champ d'application territoriale de la loi pénale française lorsqu'une infraction est commise à l'étranger, cet accord international reste un petit progrès. De l'ordre du symbole, il faut bien l'avouer, puisqu'il est difficile de se satisfaire de l'obligation faite aux États signataires d'incriminer ou d'envisager l'incrimination de certains comportements tels que le prélèvement illicite d'organes humains, l'utilisation d'organes prélevés de manière illicite à des fins d'implantation ou à d'autres fins, ou encore la sollicitation ou le recrutement illicite d'un donneur ou d'un receveur d'organe.
Mais, me direz-vous, c'est mieux que rien. J'espère que les amendements que j'ai déposés – pour plus d'efficacité – sur la proposition de loi visant à garantir le respect éthique du don d'organes par nos partenaires non européens, que nous examinerons la semaine prochaine, auront votre bienveillance. En effet, ne soyons pas dupes : malgré les avancées que représente la ratification de la convention du Conseil de l'Europe, celle-ci ne réglera pas tout. Le trafic d'organes est loin de se tarir, et puisque cette convention ne sera pas ratifiée par l'essentiel des pays mis en cause, les marchands de malheur ont hélas de beaux jours devant eux. Bref, beaucoup reste à faire.