Permettez-moi d'excuser notre collègue Nicolas Forissier, rapporteur du projet de loi, qui est cas contact à la covid-19.
La commission des affaires étrangères a adopté le 19 janvier le projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention fiscale entre la France et l'Argentine. Cet avenant a été signé à la fin de l'année 2019, après un seul tour de négociations. Il modifie la convention fiscale datant de 1979 entre nos deux pays, convention qui n'avait jusqu'à présent été modifiée qu'une seule fois, en 2001. C'est aujourd'hui à notre assemblée, siégeant en séance publique, d'autoriser l'approbation de cet accord.
Il est l'occasion pour nous de rappeler et de réaffirmer les liens très anciens qui nous unissent à l'Argentine. N'oublions pas que l'Argentine a été une terre d'émigration pour de nombreux Français, au point que la ville de Buenos Aires a pu être appelée « le Paris de l'Amérique latine ». Entre 1880 et 1910, ce sont près de 250 000 Français qui ont émigré en Argentine. Souvenons-nous aussi qu'en 2014, l'Argentine a célébré avec beaucoup d'enthousiasme le cinquantième anniversaire de la visite du général de Gaulle. Autre exemple de notre proximité culturelle, plus de 700 accords universitaires lient nos deux pays, dont un accord de reconnaissance mutuelle des diplômes signé en 2015. Nos approches sont très convergentes sur le plan politique, que ce soit sur le multilatéralisme, la non-prolifération nucléaire, l'environnement ou encore la promotion des droits de l'homme et de l'égalité femmes-hommes. Les visites et entretiens bilatéraux aux niveaux ministériel et présidentiel se sont particulièrement intensifiés ces dernières années.
Cette proximité culturelle et politique se double d'échanges étroits sur le plan économique. Environ 220 filiales françaises représentant 160 groupes différents sont implantées en Argentine, où elles emploient près de 68 000 salariés. La présence française est significative dans des secteurs tels que l'agroalimentaire, l'automobile, la production d'hydrocarbures, la distribution, le tourisme et l'hôtellerie, la santé, les cosmétiques ou bien les transports, avec des groupes comme Carrefour, Casino, Renault, Total, Orange, Danone ou encore L'Oréal. Cette présence ne se limite pas aux grands groupes : de nombreuses PME françaises sont implantées en Argentine, mais aussi de toutes petites entreprises et des entrepreneurs individuels qui voient un atout dans notre proximité culturelle et historique. L'Argentine est souvent perçue par eux comme une base ou un tremplin permettant de se projeter, dans un second temps, vers d'autres pays de l'Amérique latine. Les entreprises françaises lancent sur place des projets d'envergure : citons par exemple le projet de la société Eramet de production de carbonate de lithium dans la province de Salta, dont la phase 2, suspendue en février 2020, a redémarré en novembre 2021.
L'implantation des entreprises argentines en France est en revanche plus modeste, puisque seules deux d'entre elles y ont à ce jour constitué des filiales. Certes, et c'est un sujet de préoccupation, les investissements français en Argentine, de même que les exportations de la France vers ce pays, connaissent une baisse marquée depuis plusieurs années. L'Argentine n'en demeure pas moins pour nous un partenaire économique très important. Notre solde commercial vis-à-vis d'elle constitue encore notre quatrième excédent en Amérique latine et notre trente-cinquième excédent dans le monde.
Il importe donc que nous maintenions et développions ces liens politiques et économiques avec l'Argentine, d'autant plus que le pays se trouve confronté à des défis décisifs. Il a encore enregistré plus de 50 % d'inflation en 2021 et doit conclure un accord avec le FMI – Fonds monétaire international – pour refinancer et rééchelonner une dette de 44 milliards de dollars, à la suite d'un prêt contracté en 2018 par le précédent gouvernement. Pour éviter le défaut de paiement, cet accord doit être conclu avant le mois de mars 2022.
Le pays doit par ailleurs faire face à une situation sanitaire délicate. La population, pourtant largement vaccinée, est confrontée à une nouvelle vague de contamination. La coalition gouvernementale au pouvoir a été fragilisée par sa défaite aux élections de mi-mandat du 14 novembre 2021, qui ont renouvelé la moitié des députés et un tiers des sénateurs. L'Argentine est donc un pays quelque peu fragilisé, aux côtés duquel, plus que jamais, la France doit se tenir.
Compte tenu de nos liens économiques anciens et de la forte implantation des entreprises françaises en Argentine, c'est dès 1979 qu'une convention fiscale a été conclue entre nos deux pays. Cette convention est restée quasi inchangée pendant plus de quarante ans, si l'on excepte l'avenant, de portée limitée, du 15 août 2001. Elle est toujours en vigueur aujourd'hui. Elle méritait donc d'être modernisée. Nos législations respectives et nos structures économiques ont en effet évolué en quatre décennies ; des conventions fiscales ont aussi été conclues avec d'autres États, qui incluent parfois des avantages ou des clauses qui n'étaient pas prévus dans la convention de 1979. L'objet du présent avenant est donc de prendre en compte ces évolutions et d'adapter, lorsque c'est nécessaire, le texte de la convention.
L'accord trouvé par les deux parties est équilibré. L'avenant prévoit d'abord une diminution significative par rapport aux chiffres de 1979 des plafonds des taux de retenue prélevés par l'État source sur les revenus passifs versés à un résident de l'autre État. Il s'agit de faire bénéficier la France de niveaux comparables à ceux déjà obtenus par les autres grands pays européens. La réduction de ces taux de retenue à la source sur les dividendes, les intérêts, les redevances et les gains en capital sera intéressante pour notre pays, dans la mesure où celui-ci est essentiellement État de résidence dans ses relations avec l'Argentine. L'abaissement de ces taux rendra en même temps l'Argentine plus attractive pour les entreprises françaises et les incitera à y investir davantage et à y créer de l'emploi.
Pour ce qui est des redevances, l'avenant prévoit, à la demande de l'Argentine, un dispositif de taux différenciés suivant le type de redevance. La France a également négocié une clarification du champ des revenus compris dans ces redevances, en excluant les rémunérations de services qui ne font appel qu'à un savoir-faire usuel du prestataire. Une clause de la nation la plus favorisée a par ailleurs été insérée. À compter de la signature de l'avenant, La France bénéficiera automatiquement du traitement plus favorable que l'Argentine serait susceptible d'accorder à un autre État, en matière de revenus passifs et de gains en capital, mais aussi de revenus de professions indépendantes ou d'établissements stables.
En contrepartie, la France a accepté la demande argentine d'un dispositif de reconnaissance de l'« établissement stable de services ». Un tel établissement sera reconnu, en l'absence de toute installation matérielle en Argentine, dès lors qu'une entreprise rendra des services pour une ou des périodes représentant plus de 183 jours au cours d'une année. Il y aura là une source de rentrées fiscales pour l'Argentine, dont l'impact devrait toutefois rester modéré pour les entreprises françaises.
Autre point très important, une clause relative aux volontaires internationaux en entreprise (VIE) à l'étranger a été insérée dans l'avenant. Elle prévoit l'exonération d'impôt des VIE sur leurs salaires dans l'État d'exercice de leur activité. Cette clause est désormais systématiquement proposée par la France dans les conventions et les avenants fiscaux qu'elle négocie. Elle constitue un facteur d'attractivité supplémentaire pour ce dispositif auquel nous sommes nombreux à être très attachés.
Le nombre de VIE en Argentine a été assez élevé ces dernières années. Après avoir presque atteint la soixantaine, il est malheureusement retombé à des niveaux très faibles, en raison surtout de la crise de la covid. Il devrait toutefois augmenter à nouveau dans les prochains mois, et le dispositif d'exonération prévu dans le présent avenant y contribuera.
Au final, l'accord trouvé apparaît donc globalement équilibré et avantageux pour les deux parties, comme en témoigne l'aboutissement rapide des négociations qui l'ont préparé : les deux pays y seront gagnants. C'est pourquoi la commission des affaires étrangères s'est prononcée pour l'adoption du projet de loi autorisant son approbation. Naturellement, le groupe Les Républicains votera pour.