Intervention de Didier Quentin

Séance en hémicycle du jeudi 27 janvier 2022 à 15h00
Accord france-république de maurice en matière de défense — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Quentin, rapporteur de la commission des affaires étrangères :

La commission des affaires étrangères a adopté, le 1er décembre le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre la France et Maurice relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces. Cet accord, signé en 2018, apporte un encadrement juridique précis à cette coopération, en particulier à l'envoi de personnels militaires par chaque État sur le territoire de l'autre État. C'est aujourd'hui à notre assemblée, en séance publique, d'autoriser l'approbation de cet accord. C'est l'occasion de nous pencher sur nos relations avec cet État de l'océan Indien ami et partenaire de la France.

Il faut commencer par regarder une carte car, comme le disait Napoléon, un État fait la politique de sa géographie. Placé à la charnière de l'Afrique et de l'Asie, Maurice entretient un lien privilégié avec l'Inde : plus de la moitié de sa population a des origines indiennes, comme l'actuel Premier ministre, Pravind Jugnauth, et l'hindouisme et la religion dominante. Cette proximité se traduit par un fort investissement de l'Inde dans la défense mauricienne. De nombreux cadres des forces armées sont de nationalité indienne, des navires de guerre indiens font régulièrement escale à Port-Louis et l'Inde a même été autorisée à construire des facilités maritimes et aériennes dans l'archipel mauricien d'Agaléga. L'Inde est aussi le premier partenaire économique de Maurice, qui représente pour elle un point d'entrée vers l'Afrique.

Si l'Inde est donc vue comme la mère de Maurice, celle-ci n'en ménage pas moins un autre partenaire essentiel : la Chine, qui a investi à Maurice et y a financé de nombreuses infrastructures. Un accord de libre-échange entre les deux pays est entré en vigueur au début de l'année 2021, permettant des levées de barrières tarifaires sur certains marchés de niche comme les sucres spéciaux ou le thé. Maurice, en dépit de son statut de petit pays insulaire, sait donc jouer intelligemment de sa situation géographique.

Qu'en est-il de la France dans ce contexte ? Avant d'être britannique, puis de devenir indépendante, Maurice a été française pendant près d'un siècle. Elle s'appelait alors l'île de France. Nos liens sont avant tout culturels. L'un des plus célèbres écrivains vivants de langue française, prix Nobel de littérature, Jean-Marie Gustave Le Clézio, n'a-t-il pas des origines mauriciennes ? L'un de ses plus beaux livres se passe à Rodrigues, petite île à l'est de Maurice. La France soutient, par le biais de l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger, l'AEFE, un réseau d'écoles françaises constitué de cinq établissements qui scolarisent 5 000 élèves, dont les deux tiers ont la nationalité mauricienne. La ville de Port-Louis joue un rôle actif au sein de l'Association internationale des maires francophones, l'AIMF. Nous avons aussi beaucoup d'échanges universitaires et en matière de recherche.

Cette proximité culturelle se double d'échanges étroits sur le plan économique. La France constitue le troisième partenaire commercial de Maurice, son premier client et le premier pourvoyeur de touristes. En sens inverse, Maurice est le premier investisseur étranger à La Réunion. La France est par ailleurs l'un des principaux partenaires bilatéraux de Maurice en matière d'aide publique au développement.

Cette proximité culturelle et économique trouve un prolongement politique. La France et Maurice sont membres des deux principales organisations internationales de la région : la Commission de l'océan Indien et IORA, l'Association des États riverains de l'océan Indien. Nos approches politiques sont largement convergentes, qu'il s'agisse de la volonté, premièrement, d'accroître les échanges économiques avec le continent africain, deuxièmement, de répondre aux enjeux du développement durable, troisièmement, de relever les défis de préservation du climat et de la biodiversité terrestre et océanique.

Qu'en est-il sur le plan de la sécurité ? Un accord sur la coopération en matière de sécurité intérieure a été signé en 2008. Un accord en matière de recherche et de sauvetage maritimes a ensuite été signé en 2012.

S'agissant plus précisément de la défense, la France et Maurice coopèrent depuis de longues années. Maurice ne dispose pas, au sens strict, d'une armée, mais d'une force de police ayant trois composantes : une force de police proprement dite, des forces spéciales et un corps de garde-côtes. Du côté français, la coopération est essentiellement assumée par les FAZSOI, ou forces armées de la zone Sud de l'océan Indien, stationnées à La Réunion et à Mayotte et qui ont pour principales missions la protection des ressortissants français et la contribution à la sécurité de la région. Notre coopération porte sur la lutte antiterroriste et la sécurité maritime. Elle prend en particulier la forme d'exercices conjoints, dans le but d'améliorer l'interopérabilité de nos armées dans la lutte contre le narcotrafic. Nous formons aussi des officiers mauriciens. Les bâtiments de notre marine nationale font régulièrement escale à Maurice et sont réparés dans ses chantiers navals.

Quel est, dans ce contexte, l'intérêt de l'accord qui nous est soumis ? Il comporte deux types de stipulations. Les premières, prévues en matière de défense à proprement parler, posent le cadre d'une coopération en matière notamment de formation, d'entraînement ou de soutien logistique. Les autres stipulations portent sur le statut juridique des forces déployées dans l'État partenaire, par exemple pour ce qui est de l'entrée et du séjour, du port d'arme, du permis de conduire, de l'accès aux services de santé ou de domiciliation fiscale.

En matière pénale, un partage de juridictions est prévu. Ainsi, une infraction commise par un militaire français à Maurice relèvera en principe de la compétence des juridictions mauriciennes, et par exception des autorités françaises lorsque le comportement reproché aura été accompli dans le cadre du service ou aura porté atteinte aux biens ou à la sécurité de la France ou du personnel français. Rappelons que Maurice n'applique pas la peine de mort.

Le présent accord est donc de nature à apporter une grande sécurité juridique à la présence des militaires français à Maurice comme des militaires mauriciens en France. La France a d'ailleurs conclu des conventions similaires avec de nombreux pays. L'absence de ce type d'accord est potentiellement source de contentieux. Les incidents qui peuvent se produire doivent alors être traités au cas par cas par des négociations diplomatiques. Il ne s'agit pas là d'une hypothèse d'école, comme l'a rappelé M. le ministre délégué il y a quelques minutes. Au début des années 2000, lors d'une escale, un accident de circulation impliquant un marin français a mis en lumière les inconvénients de ce vide juridique.

Au-delà du renforcement de la sécurité juridique pour les militaires des deux parties et leurs familles, cet accord offre un cadre juridique à la coopération de défense franco-mauricienne pour relever les défis que Maurice partage avec la France, compte tenu de son implication dans l'océan Indien. Ces défis sont multiples : premièrement, la surveillance et la protection de nos espaces maritimes ; deuxièmement, la lutte contre le trafic de drogue ; troisièmement, la lutte contre la pêche illicite ; quatrièmement, la lutte contre les marées noires ; cinquièmement, l'expansion de l'islam radical en provenance notamment du nord du Mozambique. Pour toutes ces raisons, la commission des affaires étrangères a jugé indispensable l'approbation du présent accord.

Deux points de vigilance ont cependant été évoqués lors des débats en commission.

Tout d'abord, si Maurice possède un cadre constitutionnel et législatif qui garantit les libertés fondamentales, il est important de continuer à encourager cet État, partenaire et ami, à progresser encore, par exemple s'agissant de la représentation des femmes dans les postes à responsabilité du secteur public, de l'encadrement du financement des partis politiques ou de la place de la presse et des médias, et plus généralement à progresser dans la modernisation de son modèle politique.

Le second point de vigilance porte sur la préservation de la souveraineté française sur les îles Éparses et notamment sur l'île Tromelin…

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