Si le groupe GDR, par l'intermédiaire de notre collègue Jean-Paul Lecoq, a demandé que l'on puisse débattre de cet accord, c'est parce qu'il estime nécessaire d'approfondir les questions relatives à son contenu tout autant qu'à ses implications en matière de politique internationale.
Je pense en particulier à la stratégie indo-pacifique, construction politique relativement nouvelle qui traduit un glissement des enjeux prioritaires des grandes puissances du monde de l'Atlantique vers ces deux océans. Cette stratégie mériterait que l'on s'y attarde car, selon les pays, elle ne revêt pas les mêmes réalités et la mission d'information sur l'espace indo-pacifique menée par nos collègues Amadou et Herbillon nous éclairera à ce sujet. Est-ce un axe destiné à contrer la Chine, avec pour tête de pont les États-Unis, l'Australie, le Japon et les Britanniques ? Non, la France, du moins si l'on s'en tient aux déclarations officielles, a opté pour une stratégie indo-pacifique dite inclusive, qui considère la Chine comme un partenaire et non comme un ennemi.
Cette stratégie se décline dans toute une série d'accords et de coopérations – avec l'île Maurice, comme nous le voyons aujourd'hui, avec le Mozambique, Djibouti, les Comores, l'Éthiopie – qui traduisent une montée en puissance de la France d'un point de vue économique, diplomatique et militaire sur la côte est de l'Afrique et dans l'océan Indien. Des enjeux stratégiques majeurs, notamment autour de voies commerciales, l'expliquent.
Nous constatons une militarisation croissante de cette zone du globe à laquelle contribue la France – vente au Mozambique de six patrouilleurs fabriqués en France, de fusils d'assaut à Madagascar, présence constante et renforcée à Djibouti.
L'accord avec l'île Maurice, de nature classique en termes de coopération des forces, va dans ce sens. En facilitant l'action des forces armées dans la zone sud de l'océan Indien, il répond à plusieurs besoins, notamment en termes de protection de notre zone économique exclusive, mais cela va au-delà.
L'île Maurice est en effet au cœur d'un espace de plus en plus stratégique pour la France. Notre pays dispose de territoires très importants : La Réunion, Mayotte – bien que cela ne soit pas reconnu en droit international –, les Terres australes et antarctiques françaises, dont les îles Éparses, qui forment une quasi-continuité territoriale autour de Madagascar et au cœur du canal du Mozambique.
Il existe des conflits de souveraineté entre la France, Madagascar et l'île Maurice dans cette zone, comme le rapporteur l'a souligné dans son rapport. L'île de Tromelin est ainsi revendiquée par l'île Maurice. En 2010, un accord de cogestion entre la France et la République mauricienne n'a pu voir le jour car l'Assemblée nationale y a vu une atteinte potentielle à notre souveraineté. Est-il envisagé de le relancer ?
Quant aux îles Glorieuses, elles sont revendiquées par Madagascar, qui s'est vue amputée de ces territoires lors de son indépendance. Le droit international est assez clair : la première résolution de l'ONU du 12 décembre 1979 invite « le gouvernement français à entamer sans plus tarder des négociations avec le gouvernement malgache en vue de la réintégration des îles précitées qui ont été séparées arbitrairement de Madagascar ». Aucun pas n'a été fait en ce sens, compte tenu de l'enjeu que représente l'exploitation de la ZEE et de ses actuelles et futures ressources.
En outre, la coopération proposée dans l'accord n'est pas assez détaillée : des contrats de vente d'armes seront-ils conclus lorsqu'il entrera en vigueur ? Cette question met en évidence de manière flagrante l'opacité des coopérations militaires nouées par la France. Le Parlement n'est finalement là que pour entériner les choses, sans pouvoir exercer ses pouvoirs de contrôle. Pourquoi une clause de revoyure n'est-elle pas prévue afin que la représentation nationale puisse contrôler la manière dont se traduit cet accord ?
Ma dernière remarque porte sur l'intérêt des deux parties dans ce texte : si la France est liée historiquement à l'île Maurice, ne serait-ce que par l'usage d'une langue commune, on peut se demander comment son action est perçue. Comme l'a fait mon collègue Moetai Brotherson en commission, je m'interroge sur les bénéfices de cet accord pour les Mauriciens eux-mêmes.
Pour toutes ces raisons, le groupe GDR votera contre cet accord, dont les objectifs et les modalités de contrôle ne sont pas suffisamment étayés.