L'avenir de l'aéronautique sera décarboné. Telle est la conclusion que nous pouvons tirer, avec certitude, du rapport sur l'avenir du secteur de l'aéronautique en France, dont j'ai été le corapporteur avec Sylvia Pinel.
Dans la prise de conscience collective de l'urgence climatique, l'aviation est particulièrement visée pour sa responsabilité dans le réchauffement. Or il serait faux de prétendre que cette préoccupation écologique n'est pas partagée par le secteur aéronautique. Au contraire, la prise de conscience est réelle, partagée par tous les acteurs de la filière que nous avons rencontrés et qui travaillent depuis déjà longtemps sur la décarbonation de leur activité.
Le travail effectué dans le cadre de ce rapport nous a permis de saisir la maturité de la réflexion des acteurs du monde aéronautique concernant ces enjeux, mais aussi de découvrir l'étendue des solutions existantes pour décarboner le secteur.
Toutefois, ces solutions ne peuvent pas se passer de l'appui concret des décideurs publics. Parmi les solutions viables envisagées, l'utilisation des SAF constitue un vecteur majeur de décarbonation du secteur à court terme : ils pourraient permettre de réduire de 80 % les émissions de gaz à effet de serre des avions.
Mentionnons deux des principales sources de SAF : la biomasse, composée de résidus forestiers ou agricoles, de cartons d'emballage, de graisses animales ou encore d'huiles usagées ; le fioul de synthèse, produit à partir d'hydrogène et de CO
Afin d'optimiser la production et l'utilisation des SAF, il faut établir une cartographie européenne définissant les volumes de gisement de biomasse disponibles, leurs possibilités de renouvellement ainsi que les capacités de production de carburant de synthèse.
Monsieur le ministre délégué, nous devons profiter de la présidence française du Conseil de l'Union européenne pour lancer ce recensement. Cela est d'autant plus impératif que certains pays l'ont déjà effectué depuis plusieurs mois. Je pense ici aux États-Unis où un partenariat entre Boeing et SkyNRG a été annoncé en juillet dernier pour développer la production et l'approvisionnement en SAF du pays, et où un plan de soutien de 4,3 milliards de dollars a été engagé par Joe Biden en septembre dernier afin de produire 11 milliards de litres d'ici à 2030.
Il serait donc regrettable que, faute de production locale, l'aviation européenne utilise finalement des biocarburants américains, acheminés par tankers, même électriques, en Europe.
La décarbonation du secteur passe aussi par le renouvellement des flottes. L'utilisation d'avions plus vertueux permettrait des économies de carburant, donc des gains d'émissions de CO
Nous devons créer un mécanisme européen d'incitation fiscale au renouvellement des flottes pour les compagnies aériennes en prévoyant, par exemple, la possibilité de suramortir les investissements vertueux. C'est ce que Sylvia Pinel et moi-même vous avons proposé il y a quelques semaines, monsieur le ministre délégué.
En outre, les normes visant à réduire l'impact climatique du transport aérien sont engagées à une échelle encore trop réduite. Ces mesures doivent être adoptées au niveau mondial pour être pleinement effectives, et pour éviter toute distorsion de concurrence et tout risque de fuite de carbone.
Prenons l'exemple d'un voyage entre Paris et Libreville, capitale du Gabon. Alors qu'Air France réalise un vol direct, soumis aux normes européennes, Turkish Airlines propose une escale à Istanbul. Le trajet entre Istanbul et Libreville étant soumis aux règles internationales, plus souples que les européennes, son prix sera plus attractif, pour une émission de CO
Que compte faire le Gouvernement pour que les mesures prises au niveau européen soient promues à l'échelle internationale, par exemple à l'occasion de la prochaine assemblée générale de l'OACI, prévue en octobre 2022 ? Si nos partenaires internationaux ne souhaitaient pas partager les mêmes engagements que nous, serait-il envisageable de prendre des mesures de compensation à l'encontre de ces compagnies qui opèrent depuis l'étranger ?
L'aéronautique fait toujours rêver : elle reste un connecteur privilégié entre les hommes de ce monde. Mais, à l'heure où des bruits de bottes se font entendre aux frontières de l'Europe, à l'heure où nos alliés historiques sont surtout des concurrents dans la course à la décarbonation du secteur aéronautique, il est essentiel de conserver notre indépendance stratégique.
La préservation de notre savoir-faire français et européen passe par notre capacité à investir et à protéger ce secteur industriel de pointe, qui fait la force de la France et de l'Europe.