En 2000, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) jugeait que la France avait les meilleurs services de santé du monde pour une dépense annuelle équivalente à 9,5 % de son PIB. Par comparaison, les États-Unis étaient placés à la trente-septième place du classement pour une dépense de 13,3 % de leur PIB. Mais, deux décennies plus tard, la France ne figure même plus dans le « top 10 » mondial pour la qualité des soins, tandis que ses dépenses de santé sont montées en 2020 à 12,4 % du PIB.
De multiples réformes ont abouti à la faillite, non seulement économique mais aussi morale et philosophique, de notre modèle national de service public de santé. La privatisation d'une part croissante de notre système de santé contribue par ailleurs à une dérive vers la marchandisation de la santé, et je crains malheureusement que l'actualité de ces derniers jours – je parle du scandale des EHPAD d'Orpea – ne révèle que la face émergée de l'iceberg.
L'obsession de rentabilité s'est traduite par des économies d'échelle déraisonnables. Selon les chiffres de la statistique annuelle des établissements de santé fournis par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), 4 900 lits ont été fermés en 2017, 4 200 en 2018, 3 100 en 2019 et, en 2020, en pleine pandémie mondiale, 5 700. Jusqu'où va-t-on aller ?
Depuis des décennies, jamais aucun objectif clair n'a été fixé concernant le nombre de lits ou de personnels soignants dans les lois de financement de la sécurité sociale, seulement des objectifs de réduction de dépenses. C'est tout le contraire qu'il faudrait faire, sachant que la population augmente et vieillit et que les maladies chroniques liées au stress, à la « malbouffe » et aux pollutions diverses ne cessent d'augmenter.
M. le ministre Véran déclarait en octobre 2020 que vous en aviez fini avec le dogme de la fermeture de lits mais, un an plus tard, d'après le Conseil scientifique, c'est désormais un lit sur cinq qui est fermé, cette fois parce qu'il n'y a plus assez de personnel pour s'en occuper.
L'ampleur de la destruction des hôpitaux n'est pas le fait de la crise sanitaire, celle-ci n'a fait que révéler l'existant. C'est bien l'inverse qui s'est produit : c'est précisément parce que l'hôpital était dans cet état de déliquescence avancée qu'il n'a pu absorber l'impact de la crise sanitaire.
Jusqu'ici, notre système de santé tient bon grâce au dévouement et au sens des responsabilités de nos soignants. Ils ont enduré des conditions de travail exécrables, n'ont pas compté leurs heures, jusqu'à mettre en péril leur propre santé physique et mentale. Je tiens encore une fois ici à saluer leur engagement admirable au service de la santé et du bien-être des populations, en dépit du mépris dont ces personnels font l'objet de la part de l'administration et de nombreuses directions d'établissement.
J'ai interpellé le ministre Véran à plusieurs reprises depuis qu'il exerce ses fonctions à propos des limites du Ségur de la santé notamment. Les revalorisations proposées ne représentent que 183 euros par mois en moyenne, bien en dessous de 300 euros nets réclamés par les organisations syndicales. De plus, de nombreux métiers essentiels ne sont toujours pas concernés par ces revalorisations, ce qui crée une discrimination inacceptable entre les membres d'un même collectif de travail. Dites-nous, madame la ministre déléguée, comment vous comptez susciter de nouveau les vocations dont vous avez besoin sans proposer des salaires décents.
Ce qui nuit à l'attractivité des métiers du soin et pousse une partie du personnel à démissionner, ce sont les techniques de management déshumanisées. Employées dans de nombreux établissements, elles ôtent parfois tout sens à ces métiers.
Pour illustrer mon propos, et pour rappel, j'ai alerté M. Véran par courrier en juillet 2020 sur le climat social délétère qui règne depuis des années au centre hospitalier Ariège Couserans, dans ma circonscription. J'ai rencontré le directeur de l'établissement, les représentants du personnel et du comité de défense de l'hôpital. J'ai même été interpellé directement, c'est assez rare, par un groupe de médecins urgentistes qui s'inquiétaient de la rupture du dialogue avec le directeur. J'ai demandé l'intervention des services du ministère pour mettre en place une médiation entre la direction et le personnel désabusé mais un an et demi plus tard rien n'a changé. Une partie du personnel, écœurée, quitte maintenant l'établissement ou bien s'apprête à le faire.
Les tensions, en ce qui concerne le personnel, sont telles que dix lits de court séjour gériatrique ont dû être supprimés par manque de personnel. Pire, le service des urgences, pourtant vital dans ce territoire rural enclavé du Couserans, a dû fermer quelques jours entre le 17 et le 21 novembre dernier car il n'avait plus assez de personnel pour le faire fonctionner.
Ces événements ont entraîné une prise de conscience et de nombreux élus locaux se sont mobilisés pour demander des comptes au conseil de surveillance de l'hôpital mais aussi à la direction de l'ARS. Un audit doit rendre ses conclusions prochainement mais je suis peu optimiste. Il y a un an, il eût peut-être été possible de réconcilier la direction et son personnel mais les choses sont allées trop loin et aujourd'hui c'est le départ du directeur et de ses proches collaborateurs qui est demandé.
Cet exemple local est représentatif de ce qui nous est rapporté un peu partout dans le pays. Mon cabinet a encore tout récemment été contacté par une infirmière désespérée travaillant au centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse. Elle dénonce les violences institutionnelles dont elle fait l'objet, comme d'autres de ses collègues, une violence qui l'a poussée à tenter de se suicider sur son lieu de travail. Ce genre de récit me glace le sang et me met en colère.
Ces faits sont symptomatiques de la crise structurelle des hôpitaux publics et plus généralement de notre système de santé. L'heure n'est plus aux demi-mesures, nous avons besoin de restaurer entièrement notre système de santé. Madame la ministre déléguée, quand allez-vous proposer une vraie revalorisation des métiers de la santé et du médico-social ? Quand allez-vous mettre un terme aux pratiques de management inhumaines qui poussent tant de personnel qualifié à renoncer à leur métier ?