Voilà plus de dix ans que le conseiller territorial apparaît et disparaît comme un serpent de mer dans le débat politique. Il a d'abord fait son apparition dans le rapport remis en 2009 par Édouard Balladur à la demande du président Sarkozy. L'ancien Premier ministre préconisait, à l'époque, une simplification de l'organisation territoriale dont la création du conseiller territorial était une mesure phare.
La loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales prévoyait ainsi des conseillers uniques siégeant à la fois au conseil départemental et au conseil régional, élus au niveau des cantons au scrutin uninominal majoritaire à deux tours à compter de 2014. L'institution d'un élu unique devait permettre de mieux coordonner l'action des départements et des régions et de simplifier l'appréhension par les citoyens des élus locaux et de leurs modalités d'élection. Chacun s'en souvient : cette réforme a fait grand bruit en son temps. Les élus locaux, c'est le moins que l'on puisse dire, ne l'ont pas plébiscitée, et la loi a finalement été abrogée en 2012 avant d'avoir pu entrer en vigueur.
La proposition de résolution exhume donc le conseiller territorial sur le fondement du désintérêt manifesté par les citoyens à l'occasion des élections départementales et régionales de 2021, pour lesquelles la participation s'est en effet effondrée de plus de 30 % par rapport à 2015. Le conseiller territorial serait la solution pour favoriser le retour des électeurs au bureau de vote. Sans vouloir remettre en cause certains éléments tout à fait pertinents de cette proposition, sans contester non plus la nécessité d'en débattre, permettez-moi de penser que le désengagement citoyen ne se résoudra pas seulement par une réforme de cette nature. Le mal est bien plus profond qu'une simple méconnaissance des modes de scrutin.
Les auteurs mettent en avant le caractère illisible, pour nos concitoyens, de deux scrutins concomitants portant sur des circonscriptions et des modalités opérationnelles différentes ; c'est une réalité, et nous en partageons le constat. La conclusion logique et évidente de ce constat serait le retour au projet du conseiller territorial, et c'est à cette réflexion que la résolution invite le Gouvernement.
Dans un premier temps, vous me permettrez de noter que le désamour entre nos compatriotes et les élus territoriaux n'a fait que s'amplifier depuis dix ans pour des raisons multiples, et pas seulement liées à la complexité des règles électorales. On pourrait retenir, pêle-mêle, une répartition des compétences qui reste mal intégrée par nos concitoyens ; d'une manière générale, la rupture de confiance entre les Français et leurs représentants ; la méconnaissance des missions confiées à ces collectivités ; enfin, je le crois, la tenue des élections le même jour, ce qui ne permet pas de communiquer clairement sur une seule collectivité et crée la confusion.
Gageons cependant qu'une réforme de simplification et d'harmonisation soit nécessaire. Le conseiller territorial est-il la solution ? Une réforme de cette nature présente, c'est incontestable, un certain nombre d'avantages : le scrutin unique uninominal majoritaire à deux tours sur une circonscription territorialement identifiable, qui favorise la reconnaissance de l'élu, est un avantage ; une meilleure coordination théorique des deux niveaux de collectivités sur le même territoire pour des compétences partagées est aussi, probablement, un avantage ; l'ancrage plus fort des élus régionaux, qui peinent souvent à exister sur leur territoire, constituerait également un avantage indéniable.
Mais on ne peut pas non plus ignorer les défauts que comporterait une telle réforme : d'abord, la création d'une sorte de super-élu territorial, qui exercerait deux mandats majeurs sur une circonscription parfois extrêmement vaste ; ensuite, le risque important de recul de la parité, que nul ne peut souhaiter ici, puisque la parité est désormais en vigueur dans les deux assemblées ; troisièmement, la nécessité de procéder à un délicat redécoupage des cantons pour assurer une répartition équilibrée entre les différents départements au sein de l'assemblée régionale ; enfin, autre inconvénient que je ne peux passer sous silence, la réforme sera vue comme une sorte d'effacement des départements, donc d'une identité locale parfois très forte, effacement qui sera considéré comme le signe annonciateur d'une suppression pure et simple des départements.
Si la proposition de résolution ouvre un débat tout à fait légitime en invitant le Gouvernement à mener une réflexion nécessaire à l'harmonisation des modes de scrutin à laquelle nous pourrions adhérer, il se trouve qu'elle en fixe d'emblée l'issue en invitant celui-ci à la création du conseiller territorial. Eu égard à la complexité de la question posée et à ses enjeux, le groupe Socialistes et apparentés considère qu'il importe de mener une réflexion globale. Fermer d'ores et déjà le débat et le réduire à une solution unique nous semble relever d'une méthode vouée à la contestation et à un rejet très probable. C'est la raison pour laquelle, non sans redire la nécessité d'une réforme, nous nous abstiendrons sur la proposition de résolution.