Intervention de Jean-Noël Barrot

Séance en hémicycle du jeudi 3 février 2022 à 15h00
Vote par correspondance — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Noël Barrot, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

« Le suffrage universel, en donnant un bulletin à ceux qui souffrent, leur ôte le fusil. En leur donnant la puissance, il leur donne le calme. » Voilà ce que déclamait Victor Hugo le 21 mai 1850 à cette tribune dans un fervent plaidoyer pour la démocratie.

Un siècle et demi plus tard, force est de constater que notre chère démocratie est malade. Les citoyens se détournent du suffrage universel, la défiance grandit et, inévitablement, la violence prospère et se diffuse comme un poison. Comme l'aurait dit Victor Hugo, nos concitoyens tendent à renoncer au bulletin de vote et sont tentés de reprendre le fusil.

Il y a donc urgence à agir, à réformer nos institutions, sans quoi notre démocratie affaiblie s'effondrera sur ses bases. C'est l'objectif que se sont donné notre président Patrick Mignola et l'ensemble des députés du groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés en inscrivant à l'ordre du jour de cette niche parlementaire une série de textes visant à rénover la démocratie.

Certes, les causes de l'abstention sont multiples et complexes, comme l'ont souligné avec pertinence les nombreux travaux récemment conduits par notre assemblée sur ce sujet. À des raisons structurelles s'ajoutent les facteurs conjoncturels liés à la crise sanitaire que notre pays traverse depuis deux ans. Les records d'abstention constatés lors des élections municipales de 2020 et des élections régionales et départementales de 2021 révèlent, pour partie, l'inadaptation des modalités par lesquelles nos concitoyens peuvent actuellement exprimer leur vote.

Cette situation, que chacune et chacun d'entre nous ne peut que déplorer, n'est pourtant pas une fatalité. Plusieurs États ont, à l'inverse, constaté un surcroît de participation électorale lors des derniers scrutins malgré la pandémie de la covid-19. C'est notamment le cas de l'Allemagne lors des élections fédérales de 2021 ou des États-Unis lors de la dernière élection présidentielle.

Ces deux grandes démocraties partagent un point commun : les électeurs allemands et américains peuvent, s'ils le souhaitent, choisir de voter par correspondance postale. Près de 40 % d'entre eux y ont eu recours lors des dernières élections. Selon l'ancienne chancelière Angela Merkel interrogée par notre collègue Cécile Untermaier au cours de la dernière réunion de l'assemblée parlementaire franco-allemande, c'est bien la possibilité de voter par correspondance qui explique le maintien, voire le sursaut de mobilisation constaté outre-Rhin.

La proposition de loi que nous examinons a été déposée par notre groupe en juin 2020. Elle a pour objet d'ouvrir à tous les électeurs la faculté de voter par correspondance postale.

Cette possibilité existe déjà dans notre code électoral. Elle est autorisée depuis 2009 pour l'élection des députés représentant les Français de l'étranger. À l'image de Frédéric Petit, certains députés sont donc élus par correspondance. Sont-ils pour autant moins légitimes ou moins bien élus ? Nous ne le croyons pas.

La possibilité de voter par correspondance est également ouverte depuis 2019 pour les personnes détenues, qui s'en sont massivement saisies, la préférant de loin à la possibilité de voter par procuration.

Face à la montée de l'abstention et aux incertitudes persistantes quant à l'évolution de la situation sanitaire, ce texte apporte une solution concrète qui est déjà mise en œuvre avec succès dans de nombreuses démocraties depuis plusieurs décennies. Elle faciliterait la participation de tous ceux qui n'habitent pas de façon effective et permanente la circonscription électorale dans laquelle ils sont inscrits, soit près de 8 millions d'électeurs, de même que celle des personnes qui ne peuvent pas se déplacer le jour du vote en raison de leur âge ou de leur handicap.

Bien sûr, il existe des objections sérieuses au vote par correspondance : les fraudes, le vote sous influence et les problèmes de logistique. Permettez-moi d'apporter dès à présent quelques éléments de réponse, car nul ne peut ignorer les interrogations sincères et légitimes qui entourent le recours au vote par correspondance.

Premièrement, il est souvent rappelé que le vote par correspondance postale a été autorisé en France en 1946 puis abandonné en 1975, eu égard aux fraudes et aux irrégularités constatées du fait de son utilisation. Cependant, quand on examine cette question de plus près, ces défaillances s'expliquent directement par l'inadaptation de la procédure alors en vigueur. En effet, aucune vérification d'identité sérieuse n'était opérée, de sorte qu'on ne pouvait pas s'assurer que la personne souhaitant utiliser cette modalité de vote correspondait effectivement à l'électeur inscrit sur la liste électorale. L'ensemble de la procédure était placé sous le contrôle des communes, qui recueillaient et instruisaient les demandes de vote par correspondance. Ainsi, ce n'est pas le caractère postal du vote qui posait réellement problème, mais les règles auxquelles il était assujetti. Cinquante ans plus tard, à l'étranger, aucune étude n'a démontré que cette modalité de vote induirait davantage d'irrégularités ou de fraudes que le vote à l'urne, comme l'ont récemment rappelé les autorités suisses et allemandes. Si le vote par correspondance se déroule sans irrégularités dans les autres grandes démocraties occidentales, pourquoi en irait-il différemment dans notre pays ?

Deuxièmement, le vote par correspondance porterait préjudice au caractère secret et individuel du suffrage, faisant courir le risque d'un vote sous influence. C'est un argument sérieux et légitime, mais, comme le soulignent la plupart des institutions internationales, le vote par procuration heurte bien plus frontalement le caractère personnel et secret du vote que le vote par correspondance, puisque l'électeur qui établit une procuration est obligé de divulguer son choix à une personne tierce, sans être certain que celle-ci respectera son vote. En clair, si vous craignez la pression au vote, préférez le vote par correspondance au vote par procuration.

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