Avec un taux d'abstention de plus de 65 % au second tour des dernières élections régionales et départementales, notre démocratie souffre d'un manque de légitimité de plus en plus important et toute recherche de solution est à cet égard intéressante.
Par cette proposition de loi de fin de législature, vous souhaitez instituer le vote par correspondance, soit sous pli fermé, soit par voie électronique. Une telle disposition concernerait potentiellement l'ensemble des scrutins, à l'exception de l'élection présidentielle, et induirait une modification majeure de notre façon d'appréhender la démocratie.
Si le vote par correspondance ainsi que le vote électronique peuvent constituer des outils intéressants dans certains cas précis, une large majorité du groupe Libertés et territoires considère que cette piste de réflexion n'est pas la bonne et qu'elle revient à passer à côté des véritables enjeux de l'abstention.
Tout d'abord, des questions importantes se posent quant à la sécurité d'un scrutin qui serait organisé selon ces modalités. En effet, la sécurité informatique d'un vote électronique paraît difficile à garantir. Rappelons-nous l'annulation au dernier moment, en 2017, face aux menaces de cyberattaques, de la possibilité d'élire par voie électronique les députés représentant les Français établis hors de France.
En commission, vous avez tenté de limiter la portée de la proposition de loi en déposant un amendement – rejeté – visant à ne conserver que la possibilité de voter par voie postale, et ce uniquement pour les élections municipales de 2026. Or même le vote par voie postale interroge. Après les dysfonctionnements majeurs rencontrés lors de l'envoi des simples plis électoraux et des professions de foi à l'occasion des dernières élections régionales, comment penser qu'un vote par correspondance n'entraînerait pas des fraudes ou des dysfonctionnements logistiques très importants ?
Pour rappel, le vote par correspondance a été supprimé en 1974, à la suite de fraudes importantes constatées par le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel. Nous en avons particulièrement souffert en Corse et nous ne souhaitons absolument pas voir ressurgir de telles pratiques obscures, qui constituent un péril pour la démocratie.
Il s'agit malheureusement d'une réalité : ce système peut faire peser de fortes pressions sur les électeurs, sous la forme d'un chantage à l'emploi, au logement, voire aux prestations sociales.
Et même si la sécurité du scrutin devait être garantie, se posera encore la question de la confiance des citoyens en un tel système. Les Français ont actuellement toute confiance dans les scrutins auxquels ils participent : c'est une chance et nous craignons que l'introduction du vote par correspondance ne vienne réduire cette confiance.
Par ailleurs, le passage dans l'isoloir est un moment de solennité important, au cours duquel le citoyen averti conclut son choix mûrement réfléchi. Un simple clic n'aurait pas le même impact et n'induirait pas nécessairement la même réflexion préalable chez l'électeur. La symbolique du rituel du vote n'est pas à négliger.
Surtout, il est illusoire de croire que cette solution permettrait de lutter contre l'abstention. En effet, il est aujourd'hui souvent plus contraignant de se rendre dans un bureau de poste que de se déplacer jusqu'à son bureau de vote. Quant au vote électronique, qui pourrait certes favoriser le vote des jeunes, il ne le ferait qu'à la marge, les ressorts de l'abstention étant beaucoup plus puissants que l'absence de volonté de se rendre physiquement dans l'isoloir.
A contrario, la reconnaissance du vote blanc, que nous défendrons dès demain dans le cadre de l'examen d'une proposition de loi de notre collègue Jean Lassalle, constitue une demande forte des citoyens.
Enfin, nous considérons que c'est davantage par la lutte contre la défiance envers la politique que nous réduirons l'abstention, plutôt qu'en modifiant les modalités de vote. Il faut redonner envie aux électeurs de voter, plutôt que d'essayer par tous les moyens de rendre l'action de voter moins longue et moins contraignante.
Voilà pourquoi notre groupe appelle de ses vœux une réforme constitutionnelle d'ampleur, qui rende notre démocratie plus participative, qui rompe avec l'hyperprésidentialisme, qui offre au Parlement un rôle renforcé et, surtout, qui réalise une véritable décentralisation.
L'Allemagne, que l'on cite souvent en exemple et qui autorise le vote par correspondance, est avant tout un État fédéral, il convient de le rappeler. Ainsi, en vertu du principe de subsidiarité, les décisions sont le plus souvent prises à l'échelon le plus proche des citoyens, ce qui explique en grande partie pourquoi les Allemands votent beaucoup plus massivement que les Français, particulièrement aux élections locales. À cet égard, la Corse enregistre des taux de participation aux élections locales bien plus importants que la moyenne nationale, et ce en l'absence d'un système de vote par correspondance.
Rapprocher la décision au plus près des citoyens, au plus près des enjeux concrets qui concernent la vie quotidienne, est le moyen le plus certain d'intéresser de nouveau les citoyens à la politique et de leur redonner l'envie d'aller voter.