Le foncier corse relève d'un statut historiquement dérogatoire, symbolisé par les arrêtés Miot du 10 juin 1801, prévoyant une imposition forfaitaire des successions et l'absence de sanction en cas de non-déclaration. Si un retour au droit commun a été engagé dès 1998, cette situation a créé un désordre juridique et foncier considérable.
En parallèle, la Corse connaît une tension particulièrement forte en matière d'accès au logement, notamment dans les zones littorales, du fait de la spéculation foncière et de la forte proportion de résidences secondaires. Celles-ci représentent 28,8 % du parc de logements, soit trois fois plus que la moyenne nationale, qui est de 9,7 %, et même la majorité de l'habitat dans des villes comme Bonifacio ou Porto-Vecchio. En outre, seulement 37 % de ces résidences sont la propriété de personnes résidant habituellement en Corse. Ces résidences secondaires sont très fortement mobilisées comme locations saisonnières plutôt que comme lieux de villégiature estivale de leurs propriétaires. Elles représentent ainsi 75 % de l'offre touristique de l'île, avec une forte concentration près du littoral, où elles alimentent un marché spéculatif lié à leur rentabilité et à la faible disponibilité du foncier du fait des effets cumulés des lois « montagne » et « littoral ».
Alors que la Corse sortira en 2027 du régime fiscal dérogatoire des successions, la liquidation des successions futures et leur imposition se feront sur la valeur réelle des biens et non plus sur une base forfaitaire favorable. Nos collègues de Corse craignent un phénomène important de cession de ces biens visant à solder les droits de mutation avec le transfert d'une propriété familiale corse vers des investisseurs extérieurs, risquant d'amplifier des évolutions en cours.
Afin d'anticiper cette échéance et de freiner les dynamiques déjà à l'œuvre, les responsables politiques de Corse réclament depuis plusieurs années des pouvoirs étendus pour la nouvelle collectivité de Corse qui lui permettent de mieux maîtriser l'évolution du foncier et d'appliquer une forme de préférence locale à la propriété. Ces demandes s'inscrivent dans la continuité de requêtes plus anciennes sur le statut de la Corse et sur la possibilité de mettre en œuvre une différenciation territoriale dans certains domaines.
Nous saluons le travail réalisé par notre rapporteur en commission afin de tenir compte des remarques formulées par les divers groupes, qui nous a permis d'adopter ce texte. Nous soutenons l'expérimentation proposée à l'article 1er d'un droit de préemption urbain spécial, visant à permettre à la collectivité de Corse de favoriser la mixité de l'habitat et l'accès au logement, pour les cessions à partir d'un certain seuil. Nous regrettons à cet égard que la proposition de nos collègues Peu et Pupponi d'inscrire dans la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, la loi Elan, un droit de préemption spécial pour lutter contre l'habitat insalubre et les marchands de sommeil n'ait pas trouvé le même écho ni le même soutien auprès de la majorité.
L'expérimentation d'une différenciation de la Corse dans certains domaines retient également notre intérêt. En témoigne ce que nous avons nous-mêmes proposé pour les collectivités d'outre-mer, encore récemment dans le cadre de l'examen du projet de loi 3DS.
Nous sommes plus réservés sur le dispositif de l'article 2 instaurant une taxation des résidences secondaires, non quant à son principe, mais parce qu'il aurait été intéressant de le penser à l'échelle nationale, pour tous les territoires qui connaissent une très forte proportion de résidences secondaires, entraînant un phénomène d'éviction des autres résidents – je peux en témoigner en tant que députée élue en Bretagne.
Si les équilibres trouvés en commission sont maintenus, nous voterons en faveur de cette proposition de loi de nos collègues de Corse et du groupe Libertés et territoires.