Elle est en effet redondante par rapport à la compétence générale du Défenseur des droits qui est médiateur, telle qu'elle est définie dans la loi du 29 mars 2011. Il ne faudrait pas que cela puisse induire l'idée que l'administration peut se dispenser de faire attention, puisque de toute façon on pourra toujours s'adresser à quelqu'un qui passera du mercurochrome sur l'égratignure. Il faut veiller à ce que la création de ces interfaces, de ces médiations n'incite pas à faire l'économie de la rigueur et d'un service au public, d'une présence humaine, d'une activité d'accueil, d'orientation, etc. Je le répète, médiation signifie indépendance et impartialité. La médiation ne doit pas consister à arranger les coups, si je puis dire, de l'administration dont on dépend. De surcroît, cela créerait mécaniquement un étage supplémentaire, ce qui ne va pas dans le sens de la simplification et de la rapidité que vous recherchez.
Cette année, nous avons traité plus de 90 000 dossiers. Alors que nous avons des missions nouvelles, comme la médiation préalable au contentieux social ou encore l'orientation et la protection des lanceurs d'alerte, mission qui nous a été confiée par la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi « Sapin 2 », nous connaissons régulièrement, comme toutes les administrations publiques, une réduction de notre plafond d'emplois, nos effectifs étant moins importants cette année que l'an passé. Je vous le dis franchement, je crains que les deux branches des ciseaux ne se referment autour de notre cou, au prix d'une tension au travail qui peut s'avérer dangereuse pour les agents du Défenseur des droits. Je sais qu'il y a parmi vous des membres de la commission des finances. Je plaide pour que l'on réfléchisse au vrai rapport coût-performance du Défenseur des droits.
La question des devoirs a été évoquée à la fois par Yves Daniel et Éric Straumann. Je pense que la responsabilité individuelle est essentielle dans tous les domaines de la mise en oeuvre du droit. Beaucoup de gens n'auront pas spontanément envie d'accomplir leurs devoirs si par ailleurs ils ne se sentent pas reconnus effectivement dans leurs droits. Accomplir des devoirs, être respectueux de ses devoirs, implique d'abord que l'on soit persuadé de bénéficier d'un système qui assure l'équilibre entre droits et devoirs. Or les personnes qui s'adressent à moi sont souvent celles qui ont le sentiment d'en être exclues. Par ailleurs, je partage ce que vous avez dit.
Mme Motin et Mme Dubié ont parlé des maisons de services au public. Dès que j'ai été nommé Défenseur des droits, je suis allé en Lozère où j'ai vu les expériences qui ont été lancées et j'ai participé, il y a quelques semaines, à la première rencontre des MSAP sous la présidence du ministre Jacques Mézard. J'ajoute que nous avons une convention avec le Commissariat général à l'égalité des territoires sur ce type de sujet. Vos deux points de vue sont parfaitement recevables car les MSAP, qui sont au nombre de 600, sont très hétérogènes. En réalité, beaucoup n'existent que sur le papier. Dans un grand nombre d'autres, tous les services que l'on pourrait attendre ne sont pas représentés – c'est notamment le cas du délégué du Défenseur des droits. Mais il existe aussi des MSAP que je qualifierai d'idéales car elles apportent une solution à la question de la proximité des services publics. Lors de cette rencontre des MSAP, j'ai eu l'occasion de dire que c'était peut-être la première fois que les pouvoirs publics ne se laissaient pas aller à la fatalité consistant à réduire les implantations au motif que la population diminue. Nous n'acceptons pas cette fatalité, notamment pour les territoires ruraux. Nous allons essayer de proposer des alternatives, dont font partie les MSAP. Et il faut se battre pour que cela réussisse. Il n'est pas acceptable par exemple que La Poste fasse payer des redevances aux personnes qui s'y installent. Il faut obtenir de M. Wahl, le président-directeur-général du groupe La Poste, et peut-être du législateur, que ce ne soit plus le cas.
Mme Motin a parlé de la visioconférence. De tels dispositifs fonctionnent et permettent d'accéder à certains services, comme les caisses d'assurance vieillesse. Mais, comme l'a fort bien dit Mme Dubié, les MSAP ne doivent pas être des lieux où tout se fait sur des machines. Il est important que des accompagnants soient présents, sinon cela ne marchera pas. Il faut que le législateur pousse l'administration et les services publics dans ce sens, car c'est un bon dispositif qui mérite d'être amélioré.
Monsieur Daniel, vous avez raison : il ne faut pas que le langage soit marqué par le mandarinat, et en particulier le mandarinat lexical. Cela fait dix ou quinze ans que la justice a ouvert un champ entier de la simplification du langage judiciaire et des progrès réels ont été accomplis. J'en veux pour preuve que la juridiction administrative et le Conseil d'État ont cessé d'utiliser la formulation « considérant que ». Il faut que vous encouragiez ces efforts, pour tout ce qui concerne la justice notamment. Mais il ne faut pas non plus jeter le bébé avec l'eau du bain, c'est-à-dire tout dématérialiser parce que c'est compliqué, car cela reviendrait à employer le langage informatique qui est un type de langage totalement réducteur.
Pour notre part, nous venons de lancer le programme Éducadroit, qui est un programme d'éducation et de sensibilisation au droit pour les écoliers, les collégiens et les lycéens, et que vous pouvez trouver sur le site du Défenseur des droits. C'est ce que l'on appelle pompeusement un manuel pédagogique, c'est-à-dire un document d'une cinquantaine de pages à la disposition de tous ceux qui veulent participer à une sensibilisation au droit, et qui explique, dans un langage que l'on a essayé de rendre compréhensible par des élèves du cours préparatoire, ce qu'est le droit, à quoi il sert, qui fait la loi, qui dit le droit, qui le sanctionne, etc. Nous avons mis deux ans pour réaliser cet effort colossal, mais je crois pouvoir dire que nous sommes parvenus à un résultat. Cela dit, Monsieur Daniel, un contrat est un contrat, et il faut expliquer que l'achat d'une baguette de pain est un contrat. Là aussi, il n'y a pas de fatalité, mais comme vous je pense que c'est une tâche essentielle.
Madame Mörch, je crois avoir répondu très largement à vos interrogations en faisant un certain nombre de propositions pour améliorer le projet de loi, c'est-à-dire l'outil que vous allez offrir aux usagers.
Monsieur Straumann, le Défenseur des droits connaît bien cette délibération du conseil départemental sur le RSA. Il est clair que l'obligation d'effectuer quelques heures de travail bénévole en contrepartie du versement du RSA n'a pas été prévue dans la loi, comme l'a dit le tribunal. En l'état actuel des choses, peut-on créer des conditions supplémentaires ? Non, nous pensons que le système doit répondre aux conditions fixées par la loi et pas à d'autres, ne serait-ce que parce que nous sommes très attentifs aux inégalités territoriales qui existent entre les régions et les départements.
La proximité numérique est-elle une proximité pour tous ? La proximité numérique évoquée par Cendra Motin est une instantanéité, une facilité pour ceux qui peuvent accéder au système. Nous devons nous occuper en priorité de cette partie de la population qui n'a pas cette proximité et qui considère le numérique comme un obstacle.
Le nouveau système de la prime à l'activité, mis en place en 2016, a été considéré comme une réussite puisque, contrairement au RSA, 90 % de ceux qui y étaient éligibles en ont bénéficié. Pourtant, la demande de la prime d'activité se faisant essentiellement en ligne. Mais nous nous sommes aperçus que, dans plus d'un tiers des cas, cette demande avait été faite par des conseillers de Pôle Emploi, c'est-à-dire que les bénéficiaires potentiels s'étaient rendus à Pôle Emploi et que ce sont les conseillers qui ont fait bénévolement le travail. Sans ce travail d'accompagnement que je souhaite voir inscrit dans la loi, le taux de réussite n'aurait pas été de 90 % mais plutôt de 60 %, c'est-à-dire 40 % d'échec comme cela a été le cas avec l'ancien RSA. Si vous acceptiez d'inscrire dans votre texte une sorte de clause de précaution, de parachute face à ces difficultés du numérique, vous accompliriez un vrai travail et contribueriez à créer plus de confiance entre les administrations, les services publics et tous les administrés.
Voilà ce que je souhaitais répondre aux questions qui m'ont été posées. Bien entendu, Marc Loiselle, le conseiller de la directrice chargée des affaires publiques qui a réalisé le rapport sur la lutte contre la fraude aux prestations sociales, et France de Saint-Martin, conseillère parlementaire, sont à votre disposition. Il y a, dans votre commission spéciale, un ensemble de préoccupations, d'intérêts, d'idées politiques ou sociales qui sont représentées, et c'est ce qui nous intéresse. Comme, selon l'article 5 de la loi de 2011 qui a été cité tout à l'heure, j'accueille toutes les demandes de ceux qui ont des problèmes avec l'administration, j'accueille aussi volontiers toutes les demandes des députés qui voudraient avancer sur ces questions.