Intervention de Jean-Félix Acquaviva

Séance en hémicycle du vendredi 4 février 2022 à 9h00
Évolution statutaire de la collectivité de corse — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Félix Acquaviva, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Je remercie l'ensemble des orateurs et des groupes qui se sont exprimés. Nous voyons se dessiner la convergence que nous appelons de nos vœux, et même une quasi-unanimité – l'avis du Gouvernement fait exception, et nous l'entendons : il montre qu'il reste du chemin à parcourir. Laissez-moi vous remercier du fond du cœur, tant les avancées qui se profilent sont importantes démocratiquement et politiquement. Le chemin est encore long – nous en convenons –, mais il est utile que la Corse appréhende le travail du Parlement par le prisme des débats que nous menons depuis le mois de mars.

Je commencerai par me tourner vers nos collègues de gauche, Stéphane Peu et Éric Coquerel : vous partagez notre constat, et vous rappelez que la spéculation n'est bien évidemment pas l'apanage de la Corse – l'argument est d'ailleurs relayé en d'autres lieux. Nous sommes prêts à travailler sur l'élargissement à d'autres territoires de l'expérimentation que nous prônons pour la Corse. Nous avons déjà exploré ce sujet, en particulier lors d'un récent colloque avec Xavier Roseren – il est absent aujourd'hui, mais soutient notre proposition de loi – et avec d'autres députés, concernant la fiscalisation ; celle-ci a suscité de vifs débats en commission des finances. De toute évidence, les tendances lourdes que nous déplorons en Corse sont à l'œuvre dans d'autres endroits bien identifiés comme la Bretagne et le Pays basque – je l'ai dit dans ma présentation.

Cependant, ces tendances ne s'expriment pas partout avec la même intensité. En cela, nous avons une divergence avec Mme la ministre : les spéculations foncière et immobilière en Corse sont sans commune mesure avec celles qui sévissent dans le reste du pays, et créent une rupture d'égalité. Cette particularité tient à de nombreux facteurs propres à l'île. Ainsi, le coût du foncier y a augmenté de 138 %, quatre fois plus vite que la moyenne française. Les temps de trajet sont très longs entre les bassins d'emploi et les lieux de résidence, sans service public de transport. La topographie de l'île induit une rareté foncière naturelle. Un Corse sur cinq vit sous le seuil de pauvreté, et le revenu annuel médian des habitants est inférieur de 18 % à la moyenne française.

Je veux aussi tordre le cou à une idée trop répandue : ce seraient les Corses qui vendent. Si certains d'entre eux le font, c'est qu'ils y sont contraints pour payer l'impôt – cela pose la question de la fiscalité sur la succession indirecte, après des décennies de non-titrage. Surtout – je le dis clairement, et c'est largement pour cela que nous avons été élus –, le système est accaparé par une minorité qui détient la propriété foncière. Cette minorité compte des insulaires, mais pas seulement. La spéculation en Corse n'est pas nouvelle, et a même créé un jackpot : les résidences secondaires sont achetées par des occupants qui, pour la plupart, ne sont pas insulaires – c'est une réalité, il n'y a ni racisme ni xénophobie à le dire – et qui se les revendent entre eux.

Comme François Pupponi l'a expliqué, il s'est produit en Corse un phénomène qui n'a jamais existé dans d'autres territoires : le cumul entre un crédit d'impôt détourné, une fiscalité avantageuse des locations saisonnières, une exonération des plus-values sur les cessions de biens immobiliers, et une promotion par un système d'intermédiation très actif. En quinze ans s'est imposée une logique d'« open bar », pour reprendre les termes que Charles de Courson a employés en commission des finances, quand, sur ma proposition, nous avons restreint le crédit d'impôt en faveur des meublés de tourisme. Cette logique, qui induit une rentabilité hors norme, n'existe nulle part ailleurs.

Pour toutes ces raisons, la Corse subit une rupture d'égalité patente. Les familles moyennes sont dos au mur, et les tensions sont légion. L'exemple de Zonza, évoqué par Paul-André Colombani, l'illustre parfaitement : son budget équivalant à la vente d'une seule villa, comment cette commune pourrait-elle faire valoir son droit de préemption urbain ? C'est impossible. Les communes appellent de leurs vœux une solidarité avec la collectivité de Corse, qui détient la clause de compétence générale, pour lutter ensemble, dans la concertation – et non en s'opposant les unes aux autres –, contre un phénomène de dépossession.

Plusieurs intervenants l'ont souligné : la logique qui est à l'œuvre, c'est « Ôte-toi de là que je m'y mette ! », Michel Castellani en a montré les ressorts historiques, démographiques, culturels et tenant au lien à la terre, et je salue aussi les interventions de M'jid El Guerrab et de Philippe Gomès sur ce sujet. Les Corses le ressentent violemment d'un point de vue physique, intellectuel et culturel. Ce n'est plus acceptable : il est urgent d'agir, et tous les groupes l'ont bien compris. Je vous remercie pour votre soutien et je souhaite que notre débat permette d'avancer sur un chemin de crête – car nous savons pertinemment qu'il devra conduire à une réforme constitutionnelle. Cheminons pour apporter dès à présent des réponses concrètes, expérimentons, évaluons et encadrons les initiatives – nos propositions ne sont pas tous azimuts, elles fixent des limites –, afin d'élaborer une régulation et d'apporter des solutions à un problème urgent.

Je le répète, toutes les contestations qui ont suscité des tensions en Corse sont parties de l'attaque de la terre, depuis les événements d'Aléria en 1975 jusqu'aux agressions environnementales des boues rouges, en passant par la résistance contre les essais nucléaires, qui ont été malheureusement déplacés à Mururoa. Ce sont désormais les spéculations foncière et immobilière qui font rage ; elles ne sont certes pas nouvelles en Corse, mais elles y prennent des proportions immenses depuis quinze ans. Il faut y mettre un terme.

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