Intervention de Bruno le Maire

Réunion du mercredi 19 juillet 2017 à 19h05
Commission des affaires économiques

Bruno le Maire, ministre de l'économie et des finances :

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, nous présenterons, en 2018, un projet de loi-cadre sur les TPE et les PME. Nous vous invitons à participer à l'élaboration de ce texte : toutes vos propositions et toutes vos suggestions sont les bienvenues, et je demanderai au Premier ministre que des parlementaires en mission soient nommés, dès le début du mois de septembre, pour travailler sur ce sujet. Vous êtes tous en contact avec l'univers des petites et moyennes entreprises, et certains d'entre vous sont même directement impliqués. J'attends vos propositions et vos suggestions afin que ce texte soit le plus proche possible des préoccupations des Français.

Si l'on dresse un panorama de l'économie mondiale, plusieurs éléments sont frappants.

Il y a d'abord la puissance des révolutions technologiques en cours. J'ai parfois le sentiment que l'on ne veut pas voir à quel point elles vont bouleverser totalement nos modèles économiques. Il y a vingt ans, nous avons manqué la révolution des logiciels, et nous avons laissé les grandes entreprises américaines – les Google, Apple, Facebook, Amazon (GAFA), Microsoft… – prendre le leadership exclusif de ce secteur. Désormais, toute notre économie dépend de ces groupes créés il y a une vingtaine d'années. Mais, aujourd'hui, une nouvelle révolution technologique est en cours qui concerne les données, avec l'intelligence artificielle comme moteur de recherche. Elle supprimera de nombreux emplois et en transformera de nombreux autres en profondeur. Dans cette perspective, je considère que la France et les États européens disposent d'atouts majeurs. Ne manquons pas cette révolution technologique !

Ma responsabilité de ministre de l'économie et des finances, sous l'autorité du Premier ministre et du Président de la République, consiste à accomplir la transformation économique de la France pour qu'elle puisse bénéficier à plein de la révolution technologique en cours. Il faut que nous ayons non pas un train de retard, mais plutôt un train d'avance.

Le petit frémissement de croissance constitue un autre élément remarquable du panorama général actuel. Nous avons d'ailleurs décidé de revaloriser les perspectives de croissance de notre pays pour 2017 et 2018, parce que nous voyons bien, en France, dans la zone euro et dans le reste du monde, que ces perspectives sont légèrement plus positives que prévues.

Cette amélioration doit nous pousser à aller au terme de la transformation économique du pays. Ne réitérons pas l'erreur qui a consisté, dans le passé, à renoncer aux réformes de structure parce que l'on enregistrait une légère amélioration de la situation, et que l'on arrivait finalement à s'en sortir ! Je suis persuadé, au contraire, que c'est parce que les choses vont mieux qu'il faut accomplir les transformations structurelles : celle du code du travail que porte Mme Muriel Pénicaud, celle de l'indemnisation du chômage qu'a proposée le Président de la République, et celle du système de formation professionnelle. Tous ces chantiers doivent aller à leur terme, car ils permettront à la France d'exploiter pleinement son potentiel de croissance.

La France s'est en effet toujours trouvée en dessous de son potentiel de croissance. J'ai longtemps été professeur – métier que j'ai adoré. Il n'y a rien de plus rageant que de voir un gamin aux qualités exceptionnelles qui ne parvient pas à les exploiter. La France est comme cela : elle a des potentialités exceptionnelles, des savoir-faire, des technologies, une forte structuration de son territoire, une administration efficace, une capacité d'innovation, de recherche et d'imagination extraordinaire, mais elle n'utilise pas ces atouts à plein. Je suis totalement déterminé à ce que nous utilisions à plein les qualités françaises pour retrouver un potentiel de croissance plein et entier. C'est cela qui créera de l'emploi pour les Français – et pas la dépense publique car, si tel était le cas, avec le niveau que nous atteignons, qui nous place en tête de l'Union européenne, nous devrions connaître le plein-emploi.

Les fragilités constituent un autre élément fort du panorama global que j'évoquais. Il faut en avoir pleinement conscience, car elles pèsent sur les perspectives économiques de la France.

Le risque de retour du protectionnisme doit être rangé parmi ces fragilités. L'attitude de la Chine et des États-Unis fait courir un risque qui peut avoir des effets sur le commerce mondial et, en conséquence, sur notre propre croissance.

Les crises internationales en cours constituent également un risque. Je pense, en particulier, aux migrations dont l'impact sur les pays européens peut être fort.

La faiblesse des grands organismes internationaux dans le domaine économique et financier peut aussi peser sur le potentiel de croissance de notre pays et de la zone euro.

Devant un tel panorama, je préfère regarder le verre à moitié plein, et je crois qu'il faut prendre les sujets à bras-le-corps pour accomplir la transformation économique dont j'ai parlé, et donner à chaque Français la possibilité de réussir et d'exploiter la potentialité qu'il porte en lui – et je parle bien de chaque Français.

Benjamin Griveaux et moi-même étions cet après-midi à La Souterraine, pour rencontrer les salariés de GM&S – c'est la raison pour laquelle nous avons dû vous demander de déplacer l'horaire de cette audition. Ce n'est pas parce que nous voulons que la France soit, demain, la première puissance économique européenne, qu'elle exploite ses capacités technologiques, qu'elle crée des start-up, qu'elle retrouve et développe un esprit entrepreneurial, que nous laisserons tomber les ouvriers de La Souterraine. Ceux qui veulent opposer la France qui gagne à la France qui souffre se trompent. La France ne gagnera que si ceux qui gagnent savent tendre la main aux Français qui souffrent, et que si tous ceux qui sont inquiets pour leur emploi et pour leur famille se disent qu'on ne les laissera pas tomber. L'objectif de notre déplacement à La Souterraine aujourd'hui était de dire à des ouvriers qui attendent désespérément depuis des mois des perspectives pour leur entreprise : « Nous ne vous laisserons pas tomber ». Nous pouvons tous nous rassembler autour de l'idée qu'il n'y a pas la France qui gagne et la France qui souffre ; il y a une seule France qui doit réussir collectivement.

J'en viens aux grandes décisions que nous avons décidé de prendre avec le Président de la République et le Premier ministre.

Nous voulons une fiscalité qui permette le développement de l'emploi et la réussite de nos entreprises. Elle doit d'abord revaloriser le travail. Toutes les cotisations maladie et chômage seront supprimées à partir de 2018 pour l'ensemble des salariés en contrepartie d'une augmentation de la contribution sociale généralisée (CSG) de 1,7 point.

Cette fiscalité doit ensuite permettre aux Français de vivre mieux. Nous baisserons d'un point la pression fiscale entre 2017 et 2022. Les Français ne supportent plus le poids d'une fiscalité confiscatoire, et ils estiment surtout qu'ils n'en ont pas pour leur argent – elle serait supportable si tout fonctionnait correctement, mais ce n'est pas le cas. Dès 2018 interviendra une première étape de suppression de la taxe d'habitation qui touchera, à terme, 80 % des ménages.

La fiscalité doit aussi permettre à nos entreprises d'être plus compétitives. D'ici à la fin du quinquennat, nous abaisserons le taux de l'impôt sur les sociétés (IS) à 25 %, ce qui correspond au taux moyen au sein de l'Union européenne. Cela nous amènera en particulier au niveau du taux d'IS allemand. Nous supprimerons l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) qui sera remplacé par un impôt sur les seules valeurs immobilières – autrement dit, les trois quarts de ses recettes auront disparu dès janvier 2018. Un prélèvement forfaitaire unique de 30 % sur les revenus du capital sera instauré en lieu et place des dispositifs actuels afin de les simplifier et d'alléger la pression fiscale. Le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) sera supprimé à compter des salaires versés en 2019, et transformé en un allégement direct des cotisations patronales. Nous estimons en effet que ce dernier dispositif, beaucoup plus efficace – il évite en particulier l'avance de trésorerie par les entreprises –, sera favorable aux PME.

La fiscalité doit enfin permettre de favoriser la transition écologique. La composante carbone de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) sera augmentée de façon plus ambitieuse que ce que prévoit la loi sur la transition énergétique. Elle passera de 44,60 euros la tonne de CO2, en 2018, à 86,20 euros la tonne en 2022, au lieu de 64 euros la tonne dans la version en vigueur de la loi. Le tarif applicable au gazole sera progressivement aligné sur celui applicable à l'essence.

Au-delà des réformes de la fiscalité, nous entendons mener les indispensables réformes de structure que j'ai déjà évoquées.

Il faut d'abord refonder le marché du travail. La réforme du marché du travail dont l'Assemblée nationale est actuellement saisie est la mère de toutes les réformes, car elle constitue un signal d'une puissance incroyable envoyé aux salariés, aux chefs d'entreprise, mais également à tous nos partenaires économiques. Il y a quelques semaines, à New York, j'ai rencontré les grands investisseurs américains : ils sont impressionnés par le train de réformes engagées, notamment celle portant sur le marché du travail. En marge du conseil des ministres franco-allemand, la Chancelière et les ministres allemands des finances et de l'économie nous ont confirmé que la réforme du marché du travail signifiait pour eux que la France menait à bien les transformations devant lesquelles elle avait bien longtemps reculé.

Nous devons ensuite moderniser l'assurance chômage et les dispositifs de formation, mais aussi simplifier les régimes de retraite. La transformation du code du travail est la mère de toutes les réformes, mais elle n'est pas la fin des réformes ; elle n'est que leur début. C'est en allant vite et en allant loin, jusqu'au bout de la transformation économique du pays, que nous arriverons à récolter des résultats dans quelques années. Nous avons trop longtemps reculé en tablant sur nos atouts qui sont tellement puissants qu'ils nous ont permis de ne pas couler. Si nous sommes capables d'accomplir les transformations dont je parle, je suis convaincu que la France retrouvera une croissance forte, un chômage faible, un déficit commercial qui commencera enfin à se réduire, et des comptes publics mieux tenus.

Il faut enfin favoriser les PME et les TPE qui créeront le maximum d'emplois pour les Français. En France, il existe de très nombreuses PME extraordinaires, mais elles ne parviennent pas à grandir pour constituer l'équivalent d'un Mittelstand à l'allemande, c'est-à-dire un réseau d'entreprises de taille intermédiaire puissantes, solides, capables d'affronter les retournements de conjoncture par le chômage technique ou une meilleure collaboration avec les entreprises donneuses d'ordre, et d'exporter et de diversifier leurs marchés pour faire face aux aléas de la conjoncture.

Nous devons créer un Mittelstand à la française. J'ai déjà évoqué la méthode que nous emploierons. Entre les mois de septembre et décembre prochains, vous serez directement associés à l'élaboration d'un texte, des parlementaires en mission seront nommés, des entreprises donneuses d'ordre seront impliquées. À l'automne, j'inviterai cinq à dix des plus grandes entreprises françaises à rencontrer plusieurs dizaines de PME pour discuter de problèmes divers : délais de paiement, ordres, chômage technique, soutien en cas de crise… Je ne conçois pas que, lors des crises, les grandes entreprises allemandes soutiennent systématiquement leurs sous-traitants, et que l'on ne retrouve pas la même solidarité en France. Nous travaillerons collectivement en associant le plus grand nombre de personnes possible pour rédiger le projet de loi le plus efficace.

En plus des réformes fiscales et structurelles, si nous voulons saisir la révolution technologique en cours, nous devons investir massivement et faire de l'investissement dans l'innovation la priorité absolue.

Des instruments existent d'ores et déjà qui sont efficaces, comme le crédit impôt recherche (CIR). Je propose que nous n'y touchions pas, ou pas trop. Le troisième volet du programme d'investissements d'avenir (PIA 3), qui s'inscrit dans la continuité des deux précédents, fonctionne également. Il a vocation à soutenir trois priorités : l'enseignement, la recherche et le développement des entreprises. Nous poursuivrons dans cette direction.

Nous mettrons toutefois en place deux instruments supplémentaires. Un grand plan d'investissement, de 50 milliards d'euros, voulu par le Président de la République, visera à mettre en oeuvre la transition écologique et énergétique, à augmenter l'activité économique et à améliorer l'efficacité du service public. Je propose également de compléter ces dispositifs par un fonds pour l'innovation de rupture, doté de 10 milliards d'euros issus du produit de la cession de certains actifs de l'État. Si l'on veut prendre l'avenir à bras-le-corps, plutôt que de gérer en bon père de famille les actifs de l'État dans un certain nombre d'entreprises du secteur concurrentiel, il est largement préférable de récupérer ces participations et de les investir dans un fonds qui financera des innovations de rupture. Elles nécessitent des investissements massifs, en particulier celles liées à l'intelligence artificielle ou aux piles lithium-ion.

Quel rôle l'État jouera-t-il dans la transformation économique de la Nation française ? Certains pensent que cette transformation passe par la disparition de son rôle économique. Pour ma part, je n'y crois pas du tout. Je crois en un rôle différent de l'État. Il doit créer l'environnement le plus favorable possible pour les entreprises, c'est-à-dire simplifier massivement, arrêter de contrôler de manière tatillonne pour, au contraire, aider les entrepreneurs, créer une fiscalité attractive qui attire les investisseurs, soutenir l'innovation – en particulier l'innovation de rupture qui n'est pas rentable.

L'État doit aussi défendre certains intérêts stratégiques du pays. Dans le domaine de l'énergie ou de la défense, par exemple, nous devons protéger nos intérêts, mais aussi protéger les Français. S'agissant d'un certain nombre de secteurs stratégiques, j'assume cette nécessité d'un rôle protecteur de l'État. La Chine défend ses intérêts stratégiques, tout comme les États-Unis ; l'État français doit pouvoir faire de même.

Enfin, le rôle de l'État consiste aussi à gérer des entreprises publiques. Si l'on pense à quelques cas précis – j'ai eu l'occasion de mentionner la gestion passée d'Areva –, l'on constate qu'il est possible de faire beaucoup mieux. Il revient à l'État d'être plus vigilant en matière de gestion des entreprises publiques. Que dire des dérapages en termes de coûts et de délai du chantier d'Hinkley Point ? L'État se contente habituellement de laisser faire. Je ne laisserai pas faire, et je ne laisserai pas passer ! Les entreprises publiques, financées avec l'argent des Français, doivent rendre des comptes à ces derniers. Lorsque l'on constate un dérapage qui atteint 1,5 milliard d'euros, il y a des comptes à rendre : nous demanderons à EDF de nous fournir toutes les explications nécessaires, et de nous présenter les mesures de redressement prévues.

En tant que parlementaires, vous avez un pouvoir de contrôle qui concerne aussi les entreprises publiques. Tous ceux d'entre vous qui souhaitent travailler avec moi au contrôle du fonctionnement des entreprises publiques, de leurs résultats, de leur gestion, de leurs plans stratégiques et de leurs choix économiques sont les bienvenus. Je suis tout à fait disposé à proposer au Premier ministre la nomination de parlementaires en mission pour examiner le fonctionnement de chacune de nos entreprises publiques.

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