Vigilance et intransigeance doivent être la norme lorsqu'il est question d'éthique, de dignité et de vie humaine.
Je ne reviendrai pas sur le cas de la Chine : mes collègues Frédérique Dumas et Jean-Michel Clément ont d'ores et déjà expliqué qu'un faisceau d'indices attestait de l'existence d'un système étatique de prélèvement forcé d'organes.
J'aimerais plutôt insister sur les limites de notre arsenal juridique en matière de lutte contre le trafic d'organes et le tourisme de transplantation.
Quand nous avons déposé cette proposition de loi, l'an dernier, la France n'avait toujours pas ratifié la Convention du Conseil de l'Europe contre le trafic d'organes humains, dite convention de Compostelle, qu'elle a pourtant signée en 2019. Celle-ci invite les gouvernements à ériger en infraction pénale le prélèvement illicite d'organes humains et institue des mesures de protection et de dédommagement en faveur des victimes du trafic d'organes. Notre assemblée l'a finalement ratifiée la semaine dernière et je m'en réjouis.
Cependant, nous continuons de regretter les réserves émises par notre pays, qui limitent fortement la portée de cette convention. Ainsi, la France n'exercera sa compétence que si les faits sont également punis par la législation du pays dans lesquels ils ont été commis et seulement si ces derniers ont fait l'objet d'une plainte ou d'une dénonciation officielle de la part des autorités du pays en question. Cela réduit considérablement la portée du dispositif. Ces réserves excluent par exemple les prisonniers d'opinion victimes de prélèvements forcés d'organes et condamnés au silence.
Plus largement, nous regrettons que notre pays ne se dote pas de moyens suffisants pour éviter le trafic d'organes. Nous le disons, la ratification de la convention de Compostelle va dans le bon sens, mais ne suffit pas.
Pour ne donner qu'un exemple, selon les statistiques de l'Agence de la biomédecine, 300 malades sortent chaque année des listes d'attente de greffe. Ils ne sont pas décédés, n'ont pas été greffés et leur état ne s'est pas aggravé. Dès lors, comment interpréter cette sortie des statistiques ?
Lors de l'examen du projet de loi relatif à la bioéthique, j'avais déposé des amendements prévoyant que toute greffe réalisée à l'étranger sur un citoyen ou un résident français soit inscrite dans un registre national de patients transplantés à l'étranger, géré par l'Agence de la biomédecine. Ces propositions demeurent aujourd'hui lettre morte alors qu'elles sont indispensables.
Enfin, disons-le clairement : même si nous arrivions à empêcher nos citoyens de se livrer au trafic d'organes et au tourisme de transplantation, nous ne pourrions pas garantir la fin des prélèvements forcés, que des citoyens français et européens en bénéficient ou non. Nous devons impérativement éviter de nous rendre complices de pratiques contraires à notre modèle éthique et à la dignité humaine.
C'est pour cette raison que cette proposition de loi cible les accords de coopération dans les domaines scientifique et médical. Nos établissements, nos scientifiques et nos professionnels de santé ne doivent pas se retrouver mêlés, directement ou indirectement, à des pratiques contraires aux règles que nous nous fixons. Nous ne pouvons pas être intransigeants quand les pratiques ont lieu en France et laxistes quand elles ont lieu à l'étranger.
Il ne s'agit pas d'ingérence. Le texte prévoit en effet d'encadrer nos accords de coopération, que nous sommes libres de conclure ou non. Mais, à l'heure actuelle, nous n'avons aucun moyen de vérifier le respect ou non de nos principes éthiques par nos partenaires. De l'aveu même de la direction générale de l'offre de soins, les coopérations internationales hospitalières sont insuffisamment suivies et évaluées. Impossible, par conséquent, de nous assurer que les techniques de transplantation enseignées dans le cadre de nos coopérations ne seront pas ensuite dévoyées et utilisées pour procéder à des prélèvements forcés. Devons-nous nous en accommoder ? En l'absence de vérification, les principes de doute certain et de précaution doivent s'appliquer, car il est question d'atteinte à la dignité et à la vie des personnes.
La prise de conscience internationale sur les violations des droits humains est lente, mais elle est à l'œuvre. Si nous ne pouvons éviter de tels actes, n'en soyons pas des complices !
Avec cette proposition de loi de notre collègue Frédérique Dumas, que mon groupe a l'honneur de défendre aujourd'hui, c'est une petite pierre que nous souhaitons apporter à ce grand et nécessaire édifice de prise de conscience.