Avant de commencer, je tiens à remercier Aurélien Taché de m'avoir laissé sa place pour m'exprimer dans la discussion générale.
« Avez-vous quelque chose à dire ? » : c'était la question que l'on pouvait lire, le 1er mai 2015, sur un écriteau placé à côté de trois statues grandeur nature de Julian Assange, Bradley Chelsea Manning et Edward Snowden sur l'Alexanderplatz à Berlin, trois personnes qui ont révolutionné le journalisme et qui incarnent aujourd'hui, plus peut-être que quiconque, les lanceurs d'alerte. Les révélations divulguées par Manning et publiées par WikiLeaks concernaient des crimes de guerre en Afghanistan et en Irak. Celles de Snowden, qui a bénéficié du soutien actif de Assange, portaient sur des opérations d'espionnage numérique d'une ampleur sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Elles ont fait voler en éclats la statue des États-Unis, protecteurs des libertés individuelles. Elles ont fait entrer le journalisme et le monde dans une nouvelle ère. Sans elles, nous n'aurions toujours pas de règlement général de protection des données en Europe.
Comme tant d'autres lanceurs d'alerte aux États-Unis, ils ont payé un lourd tribut, mais plus lourd que leurs homologues et bien plus encore que les criminels de guerre qu'ils ont dénoncés : Manning, après neuf mois de cachot, a été condamnée à trente-cinq ans de prison, puis graciée in extremis par le président Obama ; Snowden est exilé à vie ; Assange, pour sa part, a déjà subi dix ans de réclusion au sein de l'ambassade d'Équateur à Londres, puis dans une prison haute sécurité de la même ville. Pour quel maigre chef d'accusation officiel ? Avoir brisé sa période de liberté sous caution, dans le cadre d'une pseudo-enquête sur une accusation de mœurs, de toute façon abandonnée depuis longtemps. Personne n'est dupe : le seul crime d'Assange est d'avoir été trop bon éditeur, d'avoir si bien fait son travail que le Time Magazine lui a décerné le titre de personnalité de l'année 2010. Et c'est pour cela qu'il serait passible de 175 ans de prison ?
Qu'il s'agisse de Manning, de Snowden ou d'Assange, ils savaient tous, quand ils se sont décidés à passer à l'acte, qu'ils pouvaient recevoir une balle perdue. Des personnalités publiques américaines ne se sont pas privées d'appeler au meurtre d'Assange, scénario qui a été étudié puis abandonné par la CIA. S'ils n'avaient pas eu autant de force de caractère, ils auraient aussi pu finir comme Aaron Swartz, activiste de la liberté d'internet, persécuté jusqu'au suicide avant ses 27 ans. Sous la menace, emprisonnés, isolés, ils sont restés solidaires envers et contre tout – un épisode héroïque dans un feuilleton dramatique d'une immense confusion, parsemé de mensonges d'État, de dénigrements, d'attaques insidieuses et d'une procédure judiciaire d'une complexité vertigineuse.
Mais ce serait un piège, ce soir, d'explorer l'aspect technique du dossier. Des experts indépendants sur la détention arbitraire l'ont déjà fait aux Nations unies.