La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt et une heures trente.
Suite de la discussion d'une proposition de loi
L'amendement n° 4 n'est pas défendu.
Je suis saisie de deux amendements portant article additionnel après l'article 2, n° 8 et 6, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à M. le rapporteur de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire, pour soutenir l'amendement n° 8 .
Il vise à instaurer une sanction en cas de dépassement par les banques des plafonds de frais inscrits dans la loi. Actuellement, les seules sanctions possibles sont celles pouvant être infligées par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Or, sans base légale, un client victime d'un dépassement du plafonnement des frais de commission d'intervention ou d'un dépassement du plafond global n'a aucun recours concret. Pour qu'un texte soit efficace et réellement contraignant, il doit être assorti de sanctions. La logique partenariale du Gouvernement n'a pas été suffisamment concluante, comme en témoigne le montant encore très élevé des frais, signe d'un plafond insuffisamment contraignant : en effet, seul un quart des personnes ayant souscrit à l'offre spécifique bénéficie du plafonnement, en raison de stratégies d'évitement de la part des banques.
L'amendement a pour objectif de rendre effectif le plafonnement des frais en cas de dépassement. De telles sanctions existent dans le code monétaire et financier (CMF) pour d'autres infractions, par exemple pour défaut de mise à disposition des conditions générales et tarifaires applicables. Cette proposition n'est donc pas une innovation particulière.
La commission a repoussé cet amendement ; à titre personnel, en étant l'auteur, j'y suis bien entendu favorable.
Je marche dans les pas de mon collègue de Courson. Actuellement, aucune sanction pénale n'est prévue pour le cas où la banque appliquerait des frais pour incidents supérieurs au plafond établi par la loi. C'est ce système d'impunité reposant sur une grande complexité qui fait que le citoyen se retrouve totalement désarmé face à ce qui lui est imposé.
L'amendement vise à appliquer aux infractions concernant le plafonnement des frais bancaires les contraventions déjà prévues par le code monétaire et financier en cas de méconnaissance par les banques de certaines de leurs obligations. Afin de donner à nos concitoyens un peu de pouvoir face aux banques, nous devons garantir que les abus de celles qui trichent soient sanctionnés.
Sur le fond, je pense que notre collègue a raison, et son amendement procède de la même inspiration que celui que j'ai défendu précédemment. Néanmoins, il se heurte au problème de la proportionnalité entre les sanctions et les peines. J'invite donc notre collègue à le retirer, car le mien propose une sanction proportionnelle au dépassement du plafond.
La commission a donné un avis défavorable à cet amendement ; ce sera également un avis défavorable à titre personnel.
La parole est à M. le ministre délégué chargé du commerce extérieur et de l'attractivité, pour donner l'avis du Gouvernement.
Avis défavorable sur les deux amendements. Je rappelle que les services de la DGCCRF – direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes – disposent déjà de moyens d'action pour sanctionner les pratiques des banques qui consisteraient à ne pas respecter ou à contourner les plafonds qui résultent de l'article L. 312-1-3 du code monétaire et financier. En effet, ils sont habilités à constater par procès-verbal les pratiques commerciales visant à tromper le consommateur et consistant, par exemple, à créer une distorsion entre l'information sur les frais bancaires affichés dans la documentation tarifaire et les frais effectivement appliqués, aboutissant à un dépassement des plafonds, ou à omettre ou fournir à contretemps l'information tenant à la facturation des courriers successifs au client destinés à l'informer de la situation débitrice non autorisée de son compte bancaire. Ces pratiques sont passibles de sanctions pénales de niveau délictuel.
Par ailleurs, le dépassement des plafonds réglementaires de frais bancaires par les établissements de crédit est sanctionné par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, laquelle peut infliger des sanctions disciplinaires et pécuniaires à l'issue d'une procédure contradictoire. Les constats établis par les agents de la DGCCRF peuvent faire l'objet de signalements auprès de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Depuis 2015, la DGCCRF a ainsi réalisé trois campagnes de contrôle sur les frais bancaires consistant à vérifier l'information donnée sur les frais ainsi que leur licéité. Les contrôles ont été effectués, au cours de chaque campagne, dans une soixantaine de départements et ont conduit, lorsque les constats le nécessitaient, à l'établissement d'avertissements et de procès-verbaux. À titre d'exemple, la campagne de contrôle qui s'est déroulée en 2019 a donné lieu à 531 visites, 39 avertissements et 4 procès-verbaux.
Même si je partage votre volonté de sanctionner les pratiques illégales, il existe déjà des sanctions pénales. Chaque année, je le répète, la DGCCRF réalise des campagnes de contrôle, dresse des procès-verbaux et les transmet à l'autorité judiciaire, et nous continuerons ces contrôles avec beaucoup de vigilance.
Je veux préciser, pour compléter les propos précédents, que, depuis le mois de février 2020, les associations peuvent saisir une cellule de la Banque de France pour témoigner des irrégularités pratiquées par les banques. Je pense que c'est un plus. Il va de pair avec le fait d'avoir rendu publics les critères d'identification et de détection de la clientèle fragile, ce qui permet de rendre les droits des consommateurs plus opposables par les associations.
Dans le même temps, en février 2020, le ministre a proposé de passer aussi par le name and shame. Certes, ce n'est pas une sanction, mais la procédure a des conséquences commerciales importantes pour les banques nommées pour ne pas avoir respecté les engagements pris auprès de l'État et du ministre, notamment en matière de détection des clients fragiles.
Il vise à empêcher la double peine en cas de saisie administrative à tiers détenteur ou de saisie-attribution, lesquelles coûtent déjà fort cher à ceux qui les subissent, quand bien même on considérerait qu'elles sont méritées. Nous ne voulons pas que vienne s'ajouter à cela un cercle vicieux de frais bancaires qui aggraveraient leurs difficultés. Si certains comportements doivent effectivement être sanctionnés, chacun sera d'accord pour dire qu'une double sanction qui prolongerait le découvert de ces personnes et les obligerait à subir des frais bancaires supplémentaires n'est pas tolérable. L'objet de l'amendement est donc d'éviter la double peine en exonérant de frais bancaires les clients visés par ces saisies.
Deux amendements évoquent le même problème : actuellement, que ce soit pour une saisie-attribution ou une saisie administrative, non seulement il n'y a pas de plafonnement individuel, mais les frais ne sont pas compris dans le plafond global pour les personnes en situation de fragilité financière. Vous avez le choix entre les deux amendements.
L'amendement n° 7 de notre collègue Corbière établit la gratuité. Naturellement, il y a une critique : c'est que tout travail mérite salaire, comme on dit.
L'amendement n° 13 , celui que je défends, fixe, lui, un plafond de 25 euros par mois pour les personnes en fragilité financière et de 20 euros pour ceux qui ont souscrit à l'offre spécifique, avec un plafonnement à 200 euros par an.
Le premier de ces deux amendements n'a pas été examiné en commission et, à titre personnel, pour la raison que je viens d'expliquer, j'y suis défavorable. Le second n'a pas non plus été examiné en commission, mais j'y suis favorable, étant l'un des coauteurs.
Sourires.
Je comprends bien les préoccupations de MM. Corbière et de Courson, mais le Gouvernement est défavorable à ces amendements. Il est normal qu'une saisie-attribution sur salaire ou un avis à tiers détenteur soient facturés par une banque à son client. En effet, ce type d'opération génère pour la banque des procédures et des vérifications pour lesquelles il est légitime que l'établissement bancaire soit rémunéré.
Comme vous le savez, le Gouvernement a pris en compte vos préoccupations et nous sommes d'ores et déjà intervenus afin d'éviter les pratiques abusives : depuis le 1er janvier 2019, ces frais sont plafonnés, pour l'ensemble de la population, à 10 % maximum du montant saisi et dans la limite de 100 euros. Cela nous paraît raisonnable, dès lors que sont prises toutes les dispositions pour éviter les décisions abusives.
Je suis étonné, car nous avons mené des recherches avec les administrateurs et nous n'avons pas trouvé cette disposition. Quel est le fondement du plafonnement à 100 euros ? Par ailleurs, le deuxième amendement que je propose est plus dur, puisqu'il plafonne les frais à 25 euros par opération pour une personne en situation de fragilité financière.
Oui.
En outre, votre dispositif échappe au plafonnement global. Quelle est la position du Gouvernement sur son intégration à ce plafonnement ?
Il est normal que ces frais n'entrent pas dans le plafonnement global, car ils sont de nature différente. J'avoue que je n'ai pas en tête l'article exact qui répond à votre question, monsieur de Courson, mais nous vous le ferons parvenir.
L'amendement n° 7 n'est pas adopté.
L'amendement n° 13 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Je voudrais revenir sur une question écrite que le député François-Michel Lambert avait déposée en 2018 sur les frais bancaires. Le ministère de l'économie avait répondu, à l'époque, avec des engagements : « Le ministre a souhaité le plafonnement de l'ensemble des frais bancaires pour tous les bénéficiaires de l'offre spécifique à 20 euros par mois et 200 euros par an. Enfin, faisant suite aux recommandations du Comité consultatif du secteur financier (CCSF) dans son rapport sur les frais d'incidents bancaires, il a été décidé le renforcement de l'action de la profession bancaire dans la prévention et la limitation des incidents bancaires », etc.
Ce sont de belles paroles, mais les personnes en grande difficulté ne trouvent pas de réponse. Tout à l'heure, je vous ai entendu dire qu'il fallait appliquer une stratégie de name and shame envers les établissements bancaires. Pourtant, actuellement, ceux que l'on pointe du doigt, ce sont ceux qui se trouvent dans des situations impossibles.
J'ai attendu l'examen du dernier article de ce texte pour exprimer ma frustration devant votre incapacité à comprendre que la perte de quelques dizaines d'euros peut désespérer certains. C'est tout à fait comme lorsque votre majorité déclarait qu'une diminution du montant de l'APL – aide personnalisée au logement – de 5 euros ne gênerait personne, alors qu'elle a gêné et continue de gêner un grand nombre d'étudiants.
L'article 3 comprend deux volets ; le premier porte sur les violences conjugales. Quand un couple dispose d'un compte joint, si l'un des conjoints est victime de violences conjugales, il faut lui permettre d'ouvrir immédiatement un compte individuel.
Entre le dépôt de notre proposition de loi et son examen aujourd'hui, la loi du 24 décembre 2021 visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle a été promulguée. Celle-ci a étendu le bénéfice de la procédure de droit au compte, réglant ainsi le problème.
Toutefois, un point mérite encore d'être discuté. Ne faudrait-il pas afficher explicitement que cette nouvelle rédaction de la loi s'applique aux victimes de violences conjugales ? C'est l'objet de l'amendement n° 9 .
J'attends également avec intérêt la position du Gouvernement sur l'amendement n° 12 .
La commission n'a pas examiné l'amendement n° 9 , auquel je suis évidemment favorable. Quant au n° 12, j'y suis également favorable, malgré l'avis défavorable de la commission.
Monsieur le rapporteur, je vous demande de retirer l'amendement n° 9 . En effet, le Gouvernement vous confirme que la loi du 24 décembre 2021, issue de la proposition de loi de Mme Marie-Pierre Rixain visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle, a modifié les conditions de saisine de la Banque de France pour la procédure de droit au compte.
Il est désormais possible à toute personne de lancer la procédure. Cette évolution, préparée de longue date par le ministère des finances et la Banque de France, bénéficiera en particulier aux victimes de violences conjugales, y compris lorsqu'elles sont titulaires d'un compte joint avec leur conjoint maltraitant, en leur permettant d'activer leur droit au compte, dans une perspective d'émancipation.
J'émets un avis défavorable à l'amendement n° 12 , qui concerne un tout autre sujet. La procédure de droit au compte, prévue à l'article L. 312-1 du code monétaire et financier permet à toute personne physique ou morale, sous certaines conditions, de saisir la Banque de France, en cas de refus d'ouverture de compte opposé par un établissement de crédit, afin que celle-ci désigne un autre établissement ayant l'obligation de lui ouvrir un compte bancaire.
Cette procédure est cependant soumise aux obligations nationales et européennes en matière de lutte anti-blanchiment. Les dispositions issues de la quatrième directive européenne antiblanchiment interdisent notamment aux établissements de crédit d'ouvrir un compte à un client dont l'identité n'aurait pas été vérifiée.
Certaines modulations dans l'application de ces mesures de vérification sont prévues par le droit européen ; elles peuvent notamment conduire à différer la vérification de l'identité du client. Toutefois, il faut pour cela justifier du faible degré de risque de la clientèle.
Or l'amendement n° 12 vise à appliquer par défaut cette modulation à la procédure de droit au compte, comme si celle-ci s'inscrivait nécessairement dans une situation de faible risque de blanchiment ou de financement du terrorisme. Aucun élément ne permet pourtant de confirmer ce postulat. Je rappelle que les personnes faisant l'objet de mesures de gel de leurs avoirs pour des raisons liées au terrorisme peuvent bénéficier en droit et en fait de la procédure du droit au compte. L'aménagement proposé n'est donc absolument pas conforme à l'esprit du droit européen, ni à l'esprit des recommandations du Groupe d'action financière (GAFI), qui évalue actuellement la France.
Par ailleurs, le Gouvernement s'est attaché depuis plusieurs mois à travailler avec la Banque de France à une réforme de la procédure de droit au compte, qui permettra de remédier aux difficultés identifiées. En effet, si la procédure fonctionne de manière satisfaisante, certains points d'amélioration ont été mis en évidence par la Cour des comptes dans son rapport public annuel de 2020.
L'encadrement plus strict de certaines phases clés de cette procédure, ainsi que l'instauration de nouvelles obligations d'information pour les établissements bancaires, prévus par cette réforme dont l'entrée en vigueur est prévue à la fin du premier semestre de 2022, permettront d'en améliorer l'efficacité. Je suis donc défavorable à votre amendement.
Je retire l'amendement n° 9 , puisque vous avez déclaré publiquement que le droit en vigueur s'applique aux cas de violences conjugales.
Quant à l'amendement n° 12 , oui, il concerne un tout autre sujet, celui de la lutte contre le blanchiment et le terrorisme. Actuellement, une banque ne peut pas ouvrir de compte tant qu'elle n'a pas vérifié l'absence de risque de blanchiment ou de financement du terrorisme.
Il m'a été indiqué que la suppression de cette obligation – que je proposais, afin de gagner du temps et de réduire le délai d'ouverture des comptes – serait contraire au droit communautaire. Vous avez repris cette position.
Tout à fait !
Or, ce n'est pas exact. Aux termes de la quatrième directive européenne antiblanchiment, il est possible aux banques de commencer par ouvrir le compte et de n'effectuer qu'ensuite les contrôles prévus dans le cadre de la lutte contre le blanchiment et le terrorisme. L'article L. 561-5 du code monétaire et financier, qui transpose cette disposition, précise ainsi que lorsque le risque de blanchiment « paraît faible », la vérification des documents peut avoir lieu « durant l'établissement de la relation d'affaires ».
Les banques doivent se saisir pleinement de cette possibilité – ce n'est pas le cas actuellement. L'amendement n° 12 sera donc utile.
Je vous rappelle, chers collègues, que le code monétaire et financier prévoit que, dans le cadre de la procédure du droit au compte, les comptes doivent être ouverts par l'établissement de crédit dans les trois jours suivant la réception des documents nécessaires. Entre le dépôt de la demande à la Banque de France et l'ouverture du compte par l'établissement de crédit, le délai total est de quatorze jours – c'est une moyenne, qui varie d'une banque à l'autre. Et ce n'est pas moi qui le dis, mais la Cour des comptes. Cela tient, entre autres, aux documents demandés. On exige des papiers et encore des papiers de personnes extrêmement modestes, en difficulté financière !
D'autres mesures pourraient être prises pour remédier à la situation, mais elles sont de nature réglementaire – je pense, entre autres, à la dématérialisation. Le présent amendement s'inscrit bien, lui, dans le champ législatif. Il permettrait d'éviter que les banques ne s'abritent derrière l'obligation de procéder aux contrôles prévus par le code monétaire et financier dans le cadre de la lutte contre le blanchiment et le terrorisme pour retarder l'ouverture du compte, alors que le droit communautaire permet déjà, lorsque le risque est faible, de ne procéder aux contrôles qu'après celle-ci. Entre nous, quel danger y aurait-il à adopter cet amendement ? Ce ne serait que dans un cas sur un million, une fois toutes les x années, que l'on découvrirait que la personne en difficulté ayant ouvert un compte est en réalité un gangster ou un djihadiste !
Ce serait tout de même un léger problème !
Le président Pompidou adorait rappeler un principe : il faut éviter d'emmerder 99,99 % des gens à cause d'une minorité de 0,01 %.
L'amendement n° 9 est retiré.
L'amendement n° 12 n'est pas adopté.
L'article 3 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Claudia Rouaux, pour soutenir l'amendement n° 17 , portant article additionnel après l'article 3.
La mission d'accessibilité bancaire reste du ressort exclusif de La Poste, alors que, du fait de la crise actuelle, le nombre de personnes en situation de fragilité bancaire est en forte augmentation.
En outre, de mémoire, 30 % des bénéficiaires d'une offre spécifique sont à La Poste – sur ce point aussi, nous avons eu énormément de mal à obtenir des chiffres. Ce n'est pas sans enjeu, car la compensation financière que l'État verse aux banques pour ce service se révèle insuffisante. Les deux représentants de la Direction générale des finances publiques (DGFIP) que nous avons auditionnés nous ont en tout cas confirmé que de nombreux clients de La Poste se trouvaient en situation de fragilité bancaire.
Cet amendement vise à obtenir des précisions sur la répartition entre les banques des obligations relatives aux clients connaissant des situations financières difficiles et le coût que cela engendre pour les unes et les autres, afin, le cas échéant, de mieux les répartir entre La Poste et les autres établissements bancaires.
Vous demandez la remise d'un rapport relatif aux obligations des établissements bancaires à l'égard des publics fragiles, qui détaillerait l'effectivité de ces politiques ainsi que l'impact pour les banques d'une baisse des plafonds.
Je ne suis pas persuadé de la nécessité d'un tel rapport. Tout d'abord, l'Observatoire de l'inclusion bancaire – l'OIB –, dont nous avons beaucoup parlé lors de nos débats, peut déjà recueillir ce type d'informations. En outre, de nombreux rapports ont récemment été publiés sur la question, notamment celui de la Cour des comptes – dont nous nous sommes beaucoup inspirés les uns et les autres – et celui rédigé par notre collègue Philippe Chassaing dans le cadre de la mission parlementaire relative à la prévention du surendettement et au développement du microcrédit.
Enfin, je crois qu'au regard de l'objectif poursuivi, mentionné dans l'exposé des motifs – connaître la répartition des clients fragiles entre La Poste et les autres banques –, le rapport demandé est un peu large.
La commission n'a pas examiné cet amendement ; à titre personnel, j'émets un avis défavorable.
Avis défavorable. Les modalités concrètes d'application de la politique d'inclusion bancaire et l'évaluation de son impact sur les publics fragiles font déjà l'objet d'une large documentation, depuis plusieurs années.
En effet, l'OIB, qui associe les représentants d'associations de lutte contre l'exclusion, de fédérations professionnelles bancaires et d'administrations, publie chaque année un rapport détaillé qui précise le bilan de chacun des volets de cette politique publique.
Cela permet de bénéficier d'une vision exhaustive des avancées réalisées sur l'ensemble des dispositifs de protection en matière de droit au compte, de fragilité financière et de plafonnement des frais bancaires.
Le Gouvernement s'est par ailleurs attaché à renforcer les obligations de transparence applicables au secteur bancaire, s'agissant des comptes détenus par des clients fragiles. L'arrêté pris par le ministre de l'économie, des finances et de la relance le 7 septembre 2020 précise ainsi les éléments d'information sur ces comptes que doivent transmettre les établissements bancaires de manière trimestrielle à l'OIB.
En outre, des rapports sont régulièrement rédigés par l'Observatoire des tarifs bancaires concernant les tarifs bancaires ou – comme vous le demandez, madame la députée – la mission d'accessibilité bancaire, en particulier lors du processus de notification de l'aide d'État de cette mission à la Commission européenne.
Les supports et outils existants me paraissent ainsi suffisamment robustes et divers pour garantir une information exhaustive sur la politique d'inclusion bancaire.
Ce n'est pas d'un rapport dont nous avons besoin, mais de l'adoption de cette proposition de loi ! Tous les articles ont été rejetés ; on ne votera donc pas sur l'ensemble du texte.
Je remercie en tout cas Charles de Courson et l'ensemble des parlementaires du groupe Libertés et territoires d'avoir lancé l'idée d'une régulation profonde des commissions bancaires.
Ces débats, qui ont animé l'hémicycle pendant une partie de l'après-midi et en ce début de soirée, ont démontré que de nombreux pays, alors qu'on les disait plus libéraux que nous, ont adopté une telle régulation ; que parmi les pays voisins, beaucoup sont engagés dans ces mesures de bon sens.
L'opinion publique retiendra que certains croient encore à la main invisible du marché – ce sont les premiers chapitres des premiers cours de sciences économiques –, alors que d'autres, parce qu'ils sont sur le terrain ,
Applaudissements sur les bancs du groupe LT
voient que tout ça ne fonctionne pas. Si nous ne jouons pas notre rôle, si nous ne faisons pas en sorte de remettre la puissance publique là où il le faut, nos concitoyens nous regarderont avec ahurissement, se disant que nous ne comprenons pas et que nous sommes du côté de la finance, du grand capital et d'un libéralisme effréné dans lequel personne n'a confiance.
Voilà ce que je voulais dire ce soir, puisque nous n'aurons pas d'explications de vote. Je regrette que nous n'ayons pas saisi cette chance unique, notamment pour les 3,8 millions de Français les plus démunis. Nous retiendrons de ces débats leur nécessaire appropriation par la ou le prochain Président de la République, qui considérera que la justice sociale est nécessaire dans notre pays.
Applaudissements sur les bancs des groupes LT et GDR.
À mon tour de remercier M. de Courson et le groupe Libertés et territoires de nous avoir permis de discuter de ces sujets. Sortons de la caricature : nous ne croyons pas aux libres forces du marché, ni à la libre concurrence, bien au contraire. Sinon, nous ne serions pas intervenus dès 2018 pour essayer d'apporter une régulation à celles et ceux qui étaient touchés par des frais d'incidents bancaires. Nous avons instauré un plafonnement à 20 et 25 euros, afin que les plus vulnérables soient protégés.
Nous partageons l'importance de l'enjeu ; nous divergeons sur la méthode. Nous sommes d'accord pour considérer qu'il y a eu des avancées pendant la législature. Les efforts doivent désormais porter sur l'offre spécifique ; probablement faudra-t-il en améliorer le menu et le contenu. Il y a lieu de porter nos efforts sur ce point : 4 millions de personnes sont détectées comme étant fragiles financièrement ; seulement 700 000 sont détentrices de l'offre spécifique. Il y a là un véhicule pour essayer de mieux protéger les personnes.
Cela a été dit tout à l'heure : la question des autoentrepreneurs et des indépendants est une vraie question. Le coût bancaire pour ceux qui ont ces statuts doit être mieux connu et mieux maîtrisé. Je partage votre combat : il faudrait progresser au cours de la prochaine législature, en documentant mieux et plus amplement ce sujet, qui fait l'objet d'informations encore contradictoires.
Au fond, la question posée a été celle du modèle bancaire. Est-ce qu'il repose sur les incidents bancaires ou sur autre chose ? Je partage votre questionnement à ce sujet. Il y aurait lieu de mieux comprendre le modèle bancaire. À l'occasion d'un prochain mandat, il faudrait étudier ce sur quoi repose le modèle bancaire et vers quoi il se dirige.
La question qui se pose à nous ce soir, à travers ces débats, est celle du modèle de société que nous voulons. Lorsque j'étais avocat dans une commune rurale, j'ai souvenir d'avoir eu à gérer des dossiers où des personnes se mettaient dans des difficultés abyssales : elles sollicitaient des emprunts énormes, par internet, au moyen parfois de documents d'identité falsifiés. Devant le juge aux affaires familiales, elles détaillaient des logiques visant à embêter l'autre partie.
Avec la déstructuration des rapports humains et sociaux, concernant notamment les questions bancaires – tout à l'heure a été évoqué le rôle essentiel des bureaux de poste dans les villages –, a été perdu le fil qui doit guider chacun de nous par rapport aux engagements qu'il prend. L'État et la République doivent aussi rétablir les conditions de ce lien essentiel, pour éviter que l'on accompagne inconsciemment – je parle de la société dans son ensemble – des gens à se mettre en très grande difficulté.
Je dis simplement que des personnes peuvent se laisser prendre dans un système qui les dépasse. Faire accroire que tout un chacun est maître de son destin lorsqu'il entreprend des démarches est illusoire, angélique ou démagogique : je vous laisse cocher la case que vous souhaitez. Le système bancaire dans son ensemble est un monstre, qui peut parfois broyer certains de nos concitoyens. Je tenais à le rappeler.
Dans ces échanges qui font office de conclusion aux débats, je remercie le collègue de Courson et le groupe Libertés et territoires…
…d'avoir proposé ce sujet, qui concerne plusieurs millions de nos concitoyens : entre 3,8 et 6 millions. Premièrement, l'opacité entretenue sur ce chiffre est un problème politique qu'il faudrait régler. Nous devrions, je le répète, imposer aux établissements bancaires de communiquer les profits
M. François-Michel Lambert applaudit
qu'ils réalisent chaque année avec les frais bancaires, afin que l'on puisse discuter sur la base d'éléments rationnels, y compris avec eux puisqu'ils contestent les chiffres.
Deuxièmement, quoi que vous pensiez du comportement de certains de nos concitoyens – j'ai entendu parler d'éducation financière –, rien ne justifie que ce qui ne coûte quasiment rien à une banque, comme l'envoi d'un courriel, soit tarifé 15, 18 ou 20 euros. Rien du tout, aucune logique. C'est du banditisme ! C'est du vol !
On vous vend quelque chose qui fait déjà partie du service. Comme le bonneteau sur les marchés, qui est interdit, c'est de l'entourloupe ! Nous sommes passés à côté de ce sujet. J'ai entendu M. le ministre dire que c'était normal, que cela avait un coût pour les banques. Ce coût est surfacturé, à un point qui est choquant et qui touche au scandale ! Il a pour conséquence d'accumuler les difficultés pour des gens qui sont déjà en difficulté. Le problème ne concerne pas simplement le nombre de nos concitoyens qui glissent dans les difficultés financières ; le problème, c'est que les établissements bancaires en rajoutent…
…de manière éhontée ! Le système de sanction est très faible. Sans vouloir déformer ses propos, M. le ministre a évoqué tout à l'heure quatre procès-verbaux qui ont été dressés, si j'ai bien compris. Je ne suis pas un service de contrôle financier, mais nous avons tous eu dans nos permanences des personnes venues nous montrer des choses choquantes. On a peine à croire qu'à l'arrivée, il y ait aussi peu de sanctions, alors que des gens se retrouvent avec 800 euros de plus à payer à la fin du mois, en raison des frais bancaires qui se sont accumulés de différentes manières.
Bref, il faudra reprendre cette tâche, puisque nous n'y sommes pas arrivés aujourd'hui. Une fois de plus, nous avons entendu le discours consistant à dire : « Faisons confiance aux différentes réglementations en place », qui passe à côté du fait qu'il faut légiférer, car les établissements bancaires ne comprennent que ça. La situation perdurera et c'est bien dommage.
En guise de conclusion à ce débat, je veux moi aussi remercier le groupe Libertés et territoires et Charles de Courson d'avoir déposé la proposition de loi. Pendant la pause, j'ai envoyé plusieurs courriels, parce qu'il y a un grand problème dans ma circonscription. C'est très simple : le principal bailleur HLM a fait des rappels de charges, qui se sont révélés erronés. Concrètement, cela signifie que l'essentiel des locataires, qu'on a invités à autoriser les prélèvements bancaires pour leurs loyers et leurs charges, se retrouvent avec des sommes de 300, 400 ou 500 euros prélevées sur leur compte.
Elles seront sans doute restituées dans deux ou trois mois par le bailleur, qui commence à reconnaître son erreur. Mais les personnes au SMIC, aux minima sociaux ou au chômage, auront pendant trois mois un découvert sur leur compte qui leur sera facturé au prix fort.
C'est une spirale infernale : plus vous êtes dans la difficulté, plus les banques vous cassent.
Ce sont 6,5 milliards d'euros de pactole pour les banques ! Il y a là quelque chose d'indigne et d'assez scandaleux. La proposition de loi était relativement modeste, puisqu'elle ne visait pas à supprimer les frais, mais d'une part à les plafonner pour qu'il n'y ait pas d'exagération, et d'autre part à garantir le droit au compte. C'était une proposition raisonnable. Je ne comprends pas l'obstination à refuser cette avancée visant à protéger les plus fragiles de nos concitoyens.
Que font les banques avec ce système ? Quand une personne est en difficulté, en train de se noyer, plutôt que de lui tendre la main, elles lui mettent le pied sur la tête pour l'enfoncer un peu plus. Ce n'est pas correct ! Beaucoup d'accidents ne sont pas dus à de la mauvaise foi ou à de l'irresponsabilité, mais à des difficultés de la vie. Je viens de prendre l'exemple des charges locatives appelées et prélevées indûment, mais il peut y en avoir beaucoup d'autres.
Je tiens également à remercier le groupe Libertés et territoires et Charles de Courson pour la proposition de loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe LT.
Je le disais à Alexis Corbière, la première fois que je suis intervenue dans l'hémicycle, c'était sur ce sujet, lors de l'examen d'une proposition de loi qu'il avait déposée.
J'ai du mal à entendre certaines choses. Pendant dix ans, j'ai présidé une commission d'action sociale, où quelquefois les gens se retrouvaient à mi-traitement parce qu'ils étaient en maladie ordinaire. Quand on a 700 euros par mois, on a quand même besoin de vivre ; alors quand ils voyaient de la publicité pour Sofinco ou autre, ils étaient tentés. Ce n'est pas un problème de gestion, c'est tout simplement qu'on a besoin de nourrir ses enfants, de se déplacer, de se chauffer, de vivre.
L'État doit être protecteur. Vous avez soulevé ce point : il faut que l'on travaille sur ces organismes de crédit, qui prêtent de l'argent facilement, à des taux de presque 12 %. Ça aussi, c'est un scandale. Là aussi, il faudra légiférer, parce que c'est scandaleux.
La proposition de loi ne va pas assez loin, c'est pour ça qu'il vaut mieux ne pas la voter !
Il vaut mieux commencer petit et finir grand que ne rien faire du tout ! S'agissant de l'offre spécifique, les personnes peuvent y rester très peu de temps, avant de retourner dans les clients fragiles. Dans les 3,8 millions de clients fragiles, un tiers paie des frais bancaires assez importants. Pourquoi est-ce qu'ils ne bénéficient pas de l'offre spécifique, pour être protégés ? Il y avait beaucoup d'autres sujets, nous aurions pu avancer un peu. Merci, chers collègues, d'avoir présenté cette proposition de loi.
M. François-Michel Lambert applaudit.
L'amendement n° 17 n'est pas adopté.
L'ensemble des articles et des amendements portant article additionnel ayant été rejetés, la proposition de loi est rejetée.
L'ordre du jour appelle la discussion, en application de l'article 34-1 de la Constitution, de la proposition de résolution invitant le Gouvernement à accorder l'asile politique à Julian Assange et à faciliter l'accès au statut de réfugié pour les lanceurs d'alerte étrangers (n° 4867).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Jennifer De Temmerman.
Depuis dix ans, Julian Assange subit un acharnement politico-judiciaire. Pour quel crime ? Celui d'avoir effectué son travail de journaliste et d'avoir porté haut la liberté d'expression et la liberté d'informer. Pour avoir fait œuvre de vérité. Emprisonné, isolé, traité comme on ne devrait jamais traiter un individu dans un pays signataire de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH).
Depuis 2019, Julian Assange est incarcéré en détention provisoire à la prison de haute sécurité de Belmarsh au Royaume-Uni. Le rapporteur spécial de l'ONU sur la torture a dénoncé ses conditions de détention. Cet homme risque d'être condamné à 175 ans de prison. Si ce n'est pas la peine de mort, ça y ressemble étrangement. Comment la France, pays des droits de l'homme, pourrait-elle rester aphone plus longtemps sur cette question de défense des libertés ?
Le créateur du site WikiLeaks est devenu l'un des plus grands lanceurs d'alerte en diffusant en 2010 des millions de documents confidentiels et compromettants à l'égard de grandes puissances étrangères. Cet homme a rendu service à notre nation, comme à d'autres alliés. Julian Assange a révélé que plusieurs de nos chefs d'État et de nos ministres de l'économie avaient été espionnés par les États-Unis, tout comme l'ancienne chancelière allemande.
Cette proposition de résolution pose une question : celle de la reconnaissance de la nation. Une nation n'est grande et respectée que lorsqu'elle se montre forte et indépendante.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LT.
Rappelons que Barack Obama lui-même a pardonné à Chelsea Manning. Julian Assange défend la paix par la vérité. Il a été nominé neuf fois pour le prix Nobel de la paix, soutenu par plusieurs lauréats. C'est une question de justice et d'hommage à tous ceux qui luttent à travers le monde et à travers les âges, parfois au péril de leur vie, pour informer, dénoncer, défendre la paix, les libertés et des droits humains.
Mardi dernier, la commission mixte paritaire a été conclusive sur les propositions de loi portées par Sylvain Waserman, inspirées notamment par le rapport de deux autres députés, Raphaël Gauvain et Olivier Marleix. Je souhaite saluer, en particulier, l'engagement de notre collègue Sylvain Waserman. De l'hémicycle de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) au nôtre, il a permis de positionner la France comme un exemple international en matière de législation sur les lanceurs d'alerte, qui pourrait être confirmé dès aujourd'hui par le geste fort et symbolique de se prononcer en faveur du droit d'asile pour Julian Assange. Tel est l'objet du premier point de la proposition de résolution.
Bien sûr, Julian Assange ne réside actuellement pas sur notre territoire. Tel est justement le but du deuxième point : proposer une solution qui permettrait à Julian Assange, mais aussi à d'autres lanceurs d'alerte, d'introduire une demande pour un visa humanitaire ou pour l'asile au moyen du réseau consulaire, et à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) de traiter les demandes à distance.
Enfin, les deux derniers points visent à conforter la position avantageuse de la France, en invitant le Conseil de l'Europe – à l'initiative de tant d'autres conventions, comme la Convention européenne des droits de l'homme ou la Convention d'Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique –, à engager les travaux d'élaboration d'une grande convention, pour définir et accorder le statut de réfugié aux lanceurs d'alerte, et le Gouvernement à saisir la formidable opportunité de l'actuelle présidence française du Conseil de l'Union européenne pour faire de cette question une priorité de travail des institutions communautaires.
Mes chers collègues, quel que soit le sort de la présente proposition de résolution, aujourd'hui est une victoire
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LT. – M. Cédric Villani applaudit également
car, en faisant résonner le nom de Julian Assange ce soir, nous redonnons une voix à celui qui n'en a plus, à celui qui doit se taire. Nous sommes une soixantaine de députés de tous bords politiques à nous être associés à cette proposition de résolution pour défendre Julian Assange et, plus largement, tous les lanceurs d'alerte. Je le sais sensible à cette initiative, lui qui a un lien si particulier avec la France.
Cette semaine, par les textes que nous examinons, je vous invite à démontrer la grandeur de la France, à défendre la vérité, la paix et leurs combattants, les lanceurs d'alerte. À travers l'Europe et le monde, de nombreuses voix s'élèvent en soutien à Julian Assange. Ce soir, nous amplifions un écho qui ne s'arrêtera pas là. Il y aura d'autres soirs, d'autres jours, où nous continuerons ensemble, en France et au-delà de nos frontières, cette lutte pour ce qui est juste.
Je conclurai en remerciant les membres de mon groupe pour leur confiance, Cédric Villani, Jean Lassalle et François Ruffin pour le travail commun, et tous les ceux qui, en France et dans le monde, ont apporté et apporteront leur soutien à cette cause. Merci à ses avocats, à toutes les associations et à tous les soldats inconnus de cette grande cause. Pour sa femme, ses enfants, son père et ses proches. Pour Julian Assange.
Applaudissements sur les bancs des groupes LT, SOC, FI et GDR. – M. Cédric Villani applaudit également.
L'histoire de Julian Assange nous bouleverse tous, car elle est à la fois celle d'un journaliste passionné par l'humain, la vérité et la justice, celle d'un lanceur d'alerte déterminé à nous protéger et celle d'un humain qu'on a brisé et qui s'est arrêté de vivre.
Je suis profondément convaincu que Julian Assange est l'un des héros de notre temps. Il incarne les valeurs démocratiques telles que nous les connaissons depuis la seconde guerre mondiale : au service de l'humain et du respect des règles fixées par la Convention européenne des droits de l'homme. De très nombreux pays – signataires de cette convention comme la France – se rendent à son chevet et tentent de lui apporter tout leur soutien pour le service rendu. Tous ces pays, comme la France, défendent la liberté de la presse, la liberté de découvrir la vérité, de la rendre publique et ainsi de protéger les citoyens, leur dignité, leur santé et l'ensemble de leurs libertés.
Chers collègues, ce sont aussi ces mêmes valeurs qui nous réunissent aujourd'hui autour de ce texte, afin d'accorder l'asile politique à Julian Assange. Nous pouvons d'ores et déjà être fiers de donner toute la place dans cet hémicycle, la maison du peuple, à travers mers, océans et continents, à cette discussion : comment pouvons-nous l'aider ? Comment s'unir avec nos partenaires internationaux pour cette même cause ? Quelle issue est possible ?
Hélas, le temps nous presse. Sa compagne Stella Morris et son père John Shipton, que nous avons reçus à l'Assemblée nationale le 16 novembre dernier, nous l'ont dit : « Chaque semaine il est plus faible. Ils sont en train de tuer Julian Assange en ce moment, lentement. Je vous remercie de faire tout ce que vous pouvez pour sauver sa vie. » Nous, députés, le cri du cœur de la compagne de Julian Assange nous a bouleversés et nous a rappelé que nous devons avancer au plus vite.
Chers collègues, vous êtes nombreux à avoir cosigné cette proposition de résolution …
Applaudissements sur les bancs du groupe LT
…de ma collègue Jennifer De Temmerman, de tous bords, dans une démarche transpartisane. Nous sommes capables de dépasser nos différences et nos sensibilités pour nous unir dans ce combat, pour nos valeurs les plus profondes, dans ce moment historique. Nous sommes, par ailleurs, trois candidats à l'élection présidentielle de 2022 à avoir cosigné cette proposition de résolution. Il est donc de notre devoir de nous emparer de ce débat et de le rendre public, en l'ouvrant à nos concitoyens.
Nous pouvons trouver un consensus afin d'apporter un cadre légal au soutien à Julien Assange. Nous souhaitons le voir libre, demain, pour qu'il puisse poursuivre son engagement pour les libertés. Ce soir, nous sommes là pour rappeler et pour voter en sa faveur, dans le long combat qui l'attend.
Ce message est vital pour lui. Il est également important de l'envoyer à tous les journalistes et à tous les lanceurs d'alertes menacés et emprisonnés un peu partout dans le monde : nous ne les oublions pas et nous nous battrons toujours, jusqu'au bout, pour les défendre, comme eux se battent pour nous.
Je vous remercie d'être présents pour Julian Assange, et je remercie tout particulièrement ma collègue, la députée Jennifer De Temmerman ,
Applaudissements sur les bancs du groupe LT
pour cette proposition de résolution, mes collègues, les députés Cédric Villani et François Ruffin, pour avoir accepté cette démarche transpartisane, et mon groupe, Libertés et territoires, pour nous avoir permis de porter ce texte dans cet hémicycle. Mes chers collègues, le sort de Julian Assange est entre nos mains !
Applaudissements sur les bancs des groupes LT, SOC et FI. – M. Cédric Villani applaudit également.
L'action des lanceurs d'alerte est essentielle dans notre démocratie, car ils portent à notre connaissance les dérives et les abus de ceux qui se croient au-dessus des lois. Ces dernières années, de nombreuses affaires de fraude fiscale, d'abus de pouvoir, de civils victimes de bavures ou de tortures ont été dénoncées grâce à la mobilisation d'hommes et de femmes engagés pour l'intérêt général.
Face à celles et ceux qui utilisent leur position pour enfreindre volontairement les règles, face à celles et ceux qui se croient assurés de l'impunité, ces hommes et ces femmes font preuve d'un grand courage pour oser les dénoncer publiquement. Cela s'inscrit au cœur d'un processus de moralisation qui touche l'ensemble de notre société. Les citoyens et les citoyennes exigent une plus grande transparence, aussi bien en ce qui concerne l'action des États qu'envers les hommes et les femmes politiques, les entités publiques ou les entreprises privées.
Les lanceurs d'alerte aspirent à être des acteurs au sein de nos démocraties, non des spectateurs impuissants face aux dérives dont ils sont les témoins. Ils agissent là où nos systèmes de contrôle et de régulation sont, le plus souvent, défaillants. Toutefois, dénoncer ces faits délictueux est une décision qui peut bouleverser une vie entière. Le risque de représailles se révèle un frein, tant elles peuvent être violentes et destructrices pour soi et pour son entourage. Pour les lanceurs d'alerte, il y a souvent une vie avant et une vie après l'alerte.
C'est ce que vit Julian Assange. Depuis dix ans, Julian Assange est un homme traqué, épié, espionné. Depuis dix ans, Julian Assange est privé de liberté : d'abord à l'ambassade de l'Équateur à Londres, qu'il ne pouvait quitter sous peine d'être arrêté par la police britannique, et, depuis 2019, dans une prison londonienne de haute sécurité, dans un cadre de détention particulièrement répressif.
Oui, Julian Assange est un prisonnier politique. À ce titre, le rapporteur spécial de l'ONU sur la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants a déclaré que Julian Assange présente « tous les symptômes typiques d'une exposition prolongée à la torture psychologique, une anxiété chronique et des traumatismes psychologiques intenses ».
Aux yeux des États-Unis, Julian Assange est coupable d'espionnage : il risque pour cela 175 années de prison. À nos yeux, Julian Assange a dénoncé des agissements barbares et des bavures inqualifiables, qu'il fallait rendre publics. Je rappelle d'ailleurs que c'est grâce aux informations de Julian Assange que nous avons appris que trois présidents de la République française et deux ministres français ont été espionnés par l'État américain.
Il est temps de mettre fin à l'acharnement subi par Julian Assange. Il est temps de mettre fin à ces dix longues années d'une vie volée. Ceux qui veulent l'emprisonner se servent de lui comme d'un exemple. À travers son expérience, ce sont tous les futurs lanceurs d'alerte que l'on tente de dissuader d'agir. Aussi, face au chantage, à la répression, à l'intimidation, la France doit se distinguer par un soutien indéfectible à ces hommes et à ces femmes menacés.
MM. Jean Lassalle et Cédric Villani applaudissent.
Lorsqu'un lanceur d'alerte est en danger à cause des informations qu'il a divulguées, et qu'il n'a commis aucun acte illégal aux yeux de notre loi, notre pays doit se tenir à ses côtés, en lui apportant appui et protection. Comme la France le fait déjà pour les personnes menacées en Afghanistan, par exemple, il faut faciliter les demandes d'asile pour les lanceurs d'alerte étrangers. Lorsque des circonstances exceptionnelles empêchent le lanceur d'alerte de se déplacer, il doit être autorisé à formuler une demande d'asile, où qu'il se trouve, et celle-ci doit être traitée sans distinction.
En novembre dernier, notre assemblée a adopté une proposition de loi bien plus protectrice pour les lanceurs d'alerte que notre législation actuelle. Si j'ai salué – ainsi que mon groupe – les avancées que ce texte apporte, je regrette néanmoins que nous n'ayons pas saisi cette occasion pour mieux protéger les lanceurs d'alerte en dehors de nos frontières. Ainsi, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine apporte son soutien à Julian Assange et à tous les lanceurs d'alerte. Le contrôle qu'ils exercent est précieux pour nos démocraties, car porté par une exigence d'éthique et de probité. En conséquence, nous soutenons pleinement cette proposition de résolution.
Applaudissements sur les bancs des groupes LT, SOC et FI. – M. Cédric Villani applaudit également.
La proposition de résolution du groupe Libertés et territoires soulève opportunément la question de la protection des lanceurs d'alerte en général et, plus singulièrement, de la situation de Julian Assange, figure emblématique.
Aujourd'hui incarcéré en Grande-Bretagne après avoir été confronté à l'exil et avoir subi des traitements inhumains, sa liberté demeure compromise et son avenir incertain. Aucun défenseur des droits de l'homme ne saurait supporter une situation si disproportionnée. Le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants nous le rappelle d'ailleurs dans son avis.
Les travaux récents ont prouvé que, parmi l'ensemble des groupes politiques présents dans l'hémicycle, aucun n'était insensible au sort des lanceurs d'alerte. Si notre assemblée ne saurait rester indifférente, il convient néanmoins qu'elle s'exprime, afin de faire évoluer de manière tangible la situation de Julien Assange et de tous les autres lanceurs d'alerte. Or la présente proposition de résolution comporte un certain nombre de points litigieux qu'il est difficile d'ignorer, eu égard aux enjeux qu'elle entend défendre.
Le premier point tient à ce qu'elle présente la décision d'accorder le statut de réfugié comme relevant de la seule volonté politique de l'exécutif. Or le droit d'asile répond à un cadre juridique qui suppose la réunion de conditions et le respect de procédures objectivement établies. Aussi, ce n'est pas le gouvernement français qui accorde le statut de réfugié, mais bien l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, dont les décisions sont prises à la lumière de la jurisprudence de la Cour nationale du droit d'asile – CNDA. Rappelons, par ailleurs, qu'en vertu de l'article L. 121-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile – CESEDA –, l'Office statue en toute indépendance et de manière impartiale. Il en ressort que l'obtention du statut de réfugié repose sur des règles assurant la sécurité juridique et l'égalité de traitement des demandes, ce qui, vous en conviendrez, peut difficilement être déploré par le législateur.
Dès lors et quelle que soit l'appréciation que chacun est libre de porter sur les actions de Julian Assange, l'asile ne saurait en aucun cas être considéré comme une contrepartie à un service rendu, qu'il soit avéré ou supposé, car cela risquerait de déstabiliser tout un pan de notre droit et, avec lui, notre politique d'asile. Néanmoins, une réforme n'est-elle pas envisageable, voire souhaitable ? Sans doute. Toutefois, une telle entreprise nécessiterait un minutieux travail de fond afin d'apprécier les conséquences qu'elle pourrait directement avoir pour les demandeurs.
Au surplus, madame la rapporteure, vous avez vous-même concédé dans un article de presse publié mercredi dernier que l'adoption de votre proposition de résolution ne permettrait pas à Julian Assange de recouvrer la liberté.
L'intention est noble et nous devons adopter une position qui nous permette de faire avancer concrètement la situation.
Par ailleurs, cette proposition de résolution contient deux citations de membres de l'exécutif, l'une du Président de la République et l'autre de l'actuel garde des sceaux. Toutes deux ont été sorties de leur contexte et desservent la pertinence du propos. Celle du chef de l'État est tirée d'un entretien donné au vidéaste Hugo Travers en 2019 et concerne une situation sans rapport avec celle de Julian Assange. En évoquant « la liberté des individus », le président faisait en fait référence à un membre des forces spéciales, dont le nom avait été divulgué dans la presse et qui avait agi en justice en son nom propre contre une journaliste. Lorsque Éric Dupond-Moretti a tenu les propos cités, il n'était pas encore garde des sceaux, mais, effectivement, l'avocat de Julian Assange.
Vous l'aurez compris, telle qu'elle est rédigée, nous ne pouvons pas souscrire à cette proposition de résolution. En revanche, dans le prolongement de la proposition de loi de notre collègue Sylvain Waserman dont nous examinerons la semaine prochaine le texte issu de la commission mixte paritaire conclusive, nous sommes intimement convaincus qu'il est nécessaire et pertinent de poursuivre le travail entrepris en faveur de la protection des lanceurs d'alerte.
Ainsi que le suggère la proposition de résolution, nous devons nous tourner vers l'Union européenne et le Conseil de l'Europe, afin d'élaborer avec nos partenaires un régime à même de répondre aux insuffisances systémiques préjudiciables à tous les lanceurs d'alerte, sans exception. À l'aune de ce point de convergence, nous sommes donc déterminés et prêts à entreprendre à vos côtés, madame la rapporteure, toutes les démarches nécessaires pour œuvrer effectivement au renforcement des mesures de protection de l'ensemble des lanceurs d'alerte. Pour l'ensemble de ces raisons, et convaincu qu'il est pertinent d'avancer collectivement sur ces questions, le groupe La République en marche invite la rapporteure à retirer sa proposition de résolution. Le cas échéant, nous serions donc amenés à la rejeter.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Les lanceurs d'alerte sont aujourd'hui des garants importants de nos libertés et de notre démocratie. Au service de la vérité, leur engagement nous permet de lutter efficacement contre des crimes tels que la corruption, l'évasion fiscale, la surveillance de masse ou encore l'espionnage industriel. Pourtant, ces personnes se retrouvent bien souvent face à un dilemme : dire la vérité au grand jour ou sacrifier une carrière, un quotidien ou une vie de famille. En effet, les conséquences juridiques et financières sont des risques réels et majeurs auxquels s'exposent aujourd'hui les lanceurs d'alerte.
Conscient de l'importance de protéger ces derniers afin de faciliter l'alerte, j'ai moi-même souhaité apporter ma signature à la proposition de résolution que nous examinons.
Mmes Stéphanie Kerbarh et Jennifer De Temmerman applaudissent.
Je veux dire sans ambiguïté qu'un homme ne peut pas et ne doit pas risquer un siècle de prison pour avoir été lanceur d'alerte. C'est une atteinte insupportable aux droits de l'homme.
Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et FI. – Mmes Stéphanie Kerbarh et Jennifer De Temmerman, ainsi que M. Cédric Villani, applaudissent également.
Le cas de Julian Assange pose à nos démocraties un véritable défi. C'est probablement au niveau européen que nous pourrions le plus utilement imaginer un véritable droit d'asile pour des lanceurs d'alerte notoires. Je lui dis – et nous devons lui dire – notre total soutien. Nous devons également nous mobiliser sur le sujet parce que c'est le sens de nos valeurs humanistes et européennes.
C'est aujourd'hui ce que la France s'attache à faire. Notre pays, conscient de la nécessité absolue des lanceurs d'alerte et de leur intérêt pour la démocratie, est pleinement engagé à leurs côtés pour assurer leur protection et la transparence de nos sociétés. La proposition de loi de mon collègue Sylvain Waserman, récemment adoptée successivement au sein des deux assemblées, fait des lanceurs d'alerte des piliers de nos démocraties. Elle vient ainsi renforcer la loi Sapin 2 de 2016, faisant de la France un pays à la pointe en Europe et dans le monde sur la question des lanceurs d'alerte.
Pour revenir à Julian Assange, la situation du lanceur d'alerte soulève cependant plusieurs questions. M. Assange est soumis aux décisions de la justice anglaise. Il se trouve ainsi dans un État qui garantit les libertés individuelles et où la justice est indépendante. La France n'a pas vocation à interférer dans les décisions juridiques souveraines de ses alliés.
Ainsi, il revient au Royaume-Uni de décider du cas de M. Assange, d'autant qu'à notre connaissance et à l'heure où je vous parle, il n'a pas demandé l'asile politique ni un visa en France. Or, si tel était le cas, je rappelle qu'il reviendrait à l'OFPRA de traiter sa demande. En effet, ni le Gouvernement ni les parlementaires ne peuvent interférer dans les procédures de demandes d'asile.
De plus, il ne s'agit pas uniquement du cas de M. Assange. Vous le savez, le fait de voter en faveur de cette résolution constituerait une ingérence française dans les affaires juridiques de ses voisins et mettrait la France en porte-à-faux par rapport au droit international. C'est pour cela que le groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés ne soutiendra pas ce texte, malgré l'idéal qu'il défend et le soutien indéfectible que nous devons à M. Assange et à son combat.
Mme Natalia Pouzyreff proteste.
Je tiens à remercier le groupe Libertés et territoires d'avoir inscrit cette proposition de résolution à l'ordre du jour de sa niche parlementaire pour nous permettre de débattre et d'avancer, je l'espère, sur ce sujet éminemment politique. Il s'agit de protéger Julian Assange, fondateur de WikiLeaks, qui a révélé l'espionnage de l'Élysée par nos alliés américains, mais aussi tous les lanceurs d'alerte poursuivis à ce titre. Il s'agit de défendre les libertés et la démocratie, il s'agit de renouer avec une tradition chère à la France, celle d'être le pays des droits de l'homme.
Nous connaissons toutes et tous l'histoire de Julian Assange, qui mérite d'être rappelée. Pour avoir révélé des informations d'intérêt général au moyen de son site WikiLeaks, notamment l'espionnage par les services secrets américains du Président de la République française et de chefs de gouvernement étrangers, Julian Assange est persécuté depuis douze ans, mis sur écoute, espionné, surveillé en permanence. Pendant sept années, il s'est réfugié dans une pièce de 10 mètres carrés à l'ambassade d'Équateur à Londres. Depuis 2019, il est détenu dans une prison anglaise de haute sécurité, dans l'attente du délibéré concernant son extradition aux États-Unis où il risque 175 ans de prison.
Julian Assange n'a pas simplement fourni des informations d'intérêt général pour le monde, il a donné des informations concernant particulièrement la France. Julian Assange est donc un allié de la France, mais il n'est pas protégé. Pourtant, l'ONU, le Conseil de l'Europe, Amnesty International, Human Rights Watch et des journalistes réclament sa libération. Cette situation dépasse les clivages politiques ; les principes fondamentaux de la démocratie sont en jeu.
En raison de son combat fondamentalement politique, il est nécessaire de protéger Julian Assange en lui accordant le droit d'asile. Plus généralement, il est essentiel de permettre à tout lanceur d'alerte de nationalité étrangère, poursuivi en raison de son combat en faveur de la liberté et de la démocratie, de demander une protection à la France. Nous rappelons que le droit d'asile est un droit à valeur constitutionnelle en France. La Commission nationale consultative des droits de l'homme – CNCDH – recommande de permettre aux lanceurs d'alerte de bénéficier de ce droit. Le groupe Socialistes et apparentés, avec d'autres groupes politiques, avait d'ailleurs déposé un amendement en ce sens sur la proposition de loi de notre collègue Waserman visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte, mais il n'a pas été entendu par la majorité.
Parce que cette question ne se conjugue pas au passé et que nous connaîtrons certainement d'autres Julian Assange, peut-être dès demain, il est urgent de garantir une réelle protection aux lanceurs d'alerte. Ainsi, pour que toutes celles et tous ceux qui s'engagent au nom de l'intérêt général, parfois au péril de leur vie, puissent compter sur le soutien de la France et bénéficier de sa protection, nous voterons cette proposition de résolution.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LT.
Nous sommes réunis aujourd'hui pour débattre, il faut en convenir, d'un sujet sensible. En effet, personne ne peut rester insensible à la situation de Julien Assange qui, rappelons-le, encourt une peine d'emprisonnement de 175 ans pour avoir commis le crime d'être lanceur d'alerte. Bien entendu, c'est inacceptable sur le principe et contraire à nos valeurs humanistes et européennes. Je tiens donc à indiquer que je m'exprimerai au nom d'une large majorité des députés du groupe Agir ensemble qui ne peuvent soutenir ce texte, uniquement pour des raisons fondées sur le droit interne et le droit international.
En premier lieu, vous nous invitez à accorder l'asile politique à Julian Assange. Selon l'OFPRA, l'asile est « la protection qu'accorde un État d'accueil à un étranger qui ne peut, contre la persécution, bénéficier de celle des autorités de son pays d'origine ». Or Julian Assange est détenu en Grande-Bretagne. Le risque qu'il encourt actuellement est l'extradition vers les États-Unis. Le droit à un procès équitable garanti par les droits britannique et européen à l'article 6 de la CEDH d'une part, et le due process of law américain protégé par le Bill of Rights d'autre part, sont certes différents, mais assurent objectivement une procédure judiciaire digne de grands pays démocratiques. Accorder le statut de réfugié politique à Julian Assange reviendrait à ne pas reconnaître l'impartialité de ces deux systèmes judiciaires.
En deuxième lieu, vous nous invitez à faciliter l'accès au statut de réfugié pour les lanceurs d'alerte étrangers et à leur accorder l'asile politique. L'OFPRA n'est aujourd'hui compétent que pour traiter les demandes d'asile déposées sur le territoire français. Il ne peut être saisi par une personne se trouvant à l'étranger. Toutefois, un ressortissant étranger peut d'ores et déjà solliciter un visa au titre de l'asile auprès des autorités françaises sur son lieu de résidence. Un ressortissant étranger qui l'obtient pourra venir en France de manière régulière et poursuivre la procédure de demande d'asile. Dès lors, cette demande est largement satisfaite.
En troisième lieu, vous nous invitez à saisir le Conseil de l'Europe en vue d'engager les travaux d'élaboration d'une convention spécifique visant à conférer le statut de réfugié aux lanceurs d'alerte. Au mois d'août 2019 déjà, la commission des questions juridiques et des droits de l'homme de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, par la voix du rapporteur Sylvain Waserman, a invité le comité des ministres à lancer le processus de négociation d'une convention sur la protection des lanceurs d'alerte. Cette recommandation a d'ailleurs été votée par les députés de notre groupe, Alexandra Louis et Dimitri Houbron.
J'en viens à la quatrième invitation, appelant à faire des lanceurs d'alerte une priorité de travail des institutions communautaires. Il faut rappeler ici que le 23 octobre 2019 a été adoptée une directive européenne sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l'Union : or une directive européenne a un effet direct dans le droit des pays de l'Union.
En France, la proposition de loi visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte et la proposition de loi organique visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d'alerte ont été récemment votées par notre Parlement. La commission mixte paritaire a été conclusive mardi dernier : ces lois une fois promulguées feront « de la France un pays à la pointe en Europe et dans le monde sur la question des lanceurs d'alerte », selon les mots du rapporteur Sylvain Waserman, auxquels je souscris. Par ces textes, notre pays est allé encore plus loin que les exigences posées dans la loi Sapin 2 et dans la directive européenne, ce dont nous nous félicitons. Il faut toutefois souligner que, même dans ce cadre, Julian Assange n'aurait pu bénéficier de ce statut car il a révélé des informations couvertes par le secret de la défense nationale, lesquelles sont exclues du champ de l'alerte permettant la reconnaissance du statut de lanceur d'alerte.
Les membres du groupe Agir ensemble voteront librement. Pour ma part, afin de respecter la volonté de la majorité de mes collègues, je voterai contre en formant le vœu, monsieur le ministre délégué, que tous les moyens soient mis en œuvre pour que Julien Assange recouvre la liberté.
Quand la France se grandit-elle ? Quand sommes-nous fiers de notre pays ? La France se grandit quand elle fait résonner son non face à l'ordre mondial, face à un ordre injuste. Nous sommes fiers d'elle, fiers de nous, quand elle fait entendre sa voix, sa voix d'indépendance et de résistance, même face aux superpuissances. Nous sommes fiers de la France de 1789, notre fondation, qui affronta toutes les monarchies, toutes les tyrannies rassemblées. Nous sommes fiers du non opposé par le général de Gaulle, un certain 18 juin, à une Europe nazie ; nous sommes fiers du non de Dominique de Villepin, du non de Jacques Chirac à la guerre en Irak ; nous sommes fiers encore du non, lancé par le peuple français, un 29 mai, contre la concurrence libre et non faussée.
Mme Stéphanie Kerbarh applaudit.
Voilà ma France !
Quand, en revanche, avons-nous honte ? Quand la France se courbe, quand elle s'aplatit, quand elle se rétrécit même, quand on la fait cocue et qu'elle dit merci.
Mme Stéphanie Kerbarh applaudit.
Il y a dix ans précisément, nous apprenions grâce à Edward Snowden et à Julian Assange que la NSA, la National Security Agency, les grandes oreilles américaines, avaient espionné durant des années trois présidents de la République française, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande, ainsi que des ministres de l'économie, et exercé une surveillance massive à travers 70 millions d'enregistrements téléphoniques.
Comment Paris a-t-il réagi ? En ne réagissant pas. « Il faut qu'on garde la mesure de tout cela », déclare Stéphane Le Foll, alors porte-parole du Gouvernement. « On n'est pas là pour déclencher des ruptures diplomatiques. Il y a trop de liens », poursuit-il avant de s'envoler vers Washington, pour y discuter du grand marché transatlantique. Et François Hollande se montre presque content : « Le président Obama, dans le coup de téléphone que j'ai eu avec lui, m'a confirmé que la présidence de la République ne faisait plus l'objet de ciblage. » Le Monde conclut alors : « L'avenir dira peut-être un jour pourquoi Paris est resté si discret. »
L'avenir a juste confirmé notre lâcheté. Car, quoi ? La France est surveillée par un allié jusqu'à l'Élysée et nous ne prenons aucune mesure de rétorsion ! Nous n'avons aucun sursaut d'orgueil, de fierté. Nous ne faisons rien pour imposer le respect. Cette France, oui, cette France qui se laisse piétiner, elle me fait honte ! Et pire encore : quel secours, quelle protection apporte notre pays à Edward Snowden et Julian Assange quand ils sont poursuivis, pourchassés, traqués par nos amis américains ? Aucun ! Aucun secours ! Aucune protection ! Jusqu'à la comédie.
Le 3 juillet 2013, jour de honte, la France refuse qu'Evo Morales, le président bolivien, survole notre territoire. Pourquoi ? Parce que son avion était soupçonné de transporter Edward Snowden. Mesure-t-on notre lâcheté ? Et pour Julian Assange, donc, pour Julian Assange enfermé depuis dix ans, quelle main avons-nous tendue ? Aucune. Rien. Pas un geste envers l'homme qui a révélé que notre pays avait été victime d'un espionnage généralisé.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LT.
On peut, on doit accueillir Julian Assange au nom des droits de l'homme, au nom des droits d'un homme jamais jugé, jamais condamné et pourtant emprisonné. Le rapporteur spécial de l'ONU sur la torture, Nils Melzer a pourtant écrit : « Julian Assange doit à présent être libéré immédiatement, réhabilité et indemnisé pour les abus et l'arbitraire auxquels il a été exposé. »
Applaudissements sur les bancs du groupe LT.
On peut, on doit accueillir Julian Assange au nom des droits de la presse, auxquels le reporter que je suis est attaché. Quel est le seul crime qu'il ait commis ? Avoir divulgué des vérités, notamment sur les guerres américaines en Irak et en Afghanistan. C'est en tant que journaliste qu'il a suscité la colère de Washington, c'est en tant que lanceur d'alerte qu'il risque une extradition, avec à la clef 175 années de prison.
Mais un autre motif devrait nous pousser, nous, l'Assemblée nationale, à accueillir Julian Assange, un motif qui nous tient à cœur, à nous, Français, puisqu'il est patriotique : nous devons l'accueillir pour nous, ne serait-ce que par orgueil, pour services rendus à notre nation. Nous devons l'accueillir pour la France, pour notre pays, en choisissant le chemin de la fierté plutôt que celui de la honte, en choisissant la liberté plutôt que la servilité.
Comme l'énonçait André Malraux : « Le mot "non", fermement opposé à la force, possède une puissance mystérieuse qui vient du fond des siècles. Toutes les plus hautes figures spirituelles de l'humanité ont dit non à César. L'esclave dit toujours oui. » Et vous, vous allez encore dire oui, vous cacher derrière de grands principes, derrière des motifs techniques, derrière des prétextes juridiques, derrière de belles phrases dans lesquelles vous déclarerez apporter tout votre soutien, puis vous allez vous en laver les mains, tel Ponce Pilate. Vous n'allez signifier au Royaume-Uni et aux États-Unis ni désaccord ni refus. Vous allez choisir la voie de la honte, le chemin de la servilité !
Applaudissements sur les bancs des groupes FI et LT.
Avant de commencer, je tiens à remercier Aurélien Taché de m'avoir laissé sa place pour m'exprimer dans la discussion générale.
« Avez-vous quelque chose à dire ? » : c'était la question que l'on pouvait lire, le 1er mai 2015, sur un écriteau placé à côté de trois statues grandeur nature de Julian Assange, Bradley Chelsea Manning et Edward Snowden sur l'Alexanderplatz à Berlin, trois personnes qui ont révolutionné le journalisme et qui incarnent aujourd'hui, plus peut-être que quiconque, les lanceurs d'alerte. Les révélations divulguées par Manning et publiées par WikiLeaks concernaient des crimes de guerre en Afghanistan et en Irak. Celles de Snowden, qui a bénéficié du soutien actif de Assange, portaient sur des opérations d'espionnage numérique d'une ampleur sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Elles ont fait voler en éclats la statue des États-Unis, protecteurs des libertés individuelles. Elles ont fait entrer le journalisme et le monde dans une nouvelle ère. Sans elles, nous n'aurions toujours pas de règlement général de protection des données en Europe.
Comme tant d'autres lanceurs d'alerte aux États-Unis, ils ont payé un lourd tribut, mais plus lourd que leurs homologues et bien plus encore que les criminels de guerre qu'ils ont dénoncés : Manning, après neuf mois de cachot, a été condamnée à trente-cinq ans de prison, puis graciée in extremis par le président Obama ; Snowden est exilé à vie ; Assange, pour sa part, a déjà subi dix ans de réclusion au sein de l'ambassade d'Équateur à Londres, puis dans une prison haute sécurité de la même ville. Pour quel maigre chef d'accusation officiel ? Avoir brisé sa période de liberté sous caution, dans le cadre d'une pseudo-enquête sur une accusation de mœurs, de toute façon abandonnée depuis longtemps. Personne n'est dupe : le seul crime d'Assange est d'avoir été trop bon éditeur, d'avoir si bien fait son travail que le Time Magazine lui a décerné le titre de personnalité de l'année 2010. Et c'est pour cela qu'il serait passible de 175 ans de prison ?
Qu'il s'agisse de Manning, de Snowden ou d'Assange, ils savaient tous, quand ils se sont décidés à passer à l'acte, qu'ils pouvaient recevoir une balle perdue. Des personnalités publiques américaines ne se sont pas privées d'appeler au meurtre d'Assange, scénario qui a été étudié puis abandonné par la CIA. S'ils n'avaient pas eu autant de force de caractère, ils auraient aussi pu finir comme Aaron Swartz, activiste de la liberté d'internet, persécuté jusqu'au suicide avant ses 27 ans. Sous la menace, emprisonnés, isolés, ils sont restés solidaires envers et contre tout – un épisode héroïque dans un feuilleton dramatique d'une immense confusion, parsemé de mensonges d'État, de dénigrements, d'attaques insidieuses et d'une procédure judiciaire d'une complexité vertigineuse.
Mais ce serait un piège, ce soir, d'explorer l'aspect technique du dossier. Des experts indépendants sur la détention arbitraire l'ont déjà fait aux Nations unies.
Mme Stéphanie Kerbarh applaudit.
Après un travail rigoureux, dans un processus auquel la Suède et la Grande-Bretagne étaient parties prenantes, ils ont rendu leur verdict : Assange est un prisonnier politique, soumis depuis plus d'une décennie à une torture psychologique qui rendrait fou n'importe qui. Le gouvernement britannique, face à ce verdict dérangeant, n'a trouvé d'autre réponse que de dénoncer un travail d'amateur ! C'est pourtant bien un avis étayé, émis après un travail de plusieurs années, fouillé et appuyé sur les droits nationaux et internationaux. Nils Melzer, rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, l'a dit on ne peut plus clairement : « M. Assange doit maintenant être immédiatement libéré, réhabilité et indemnisé pour les abus et l'arbitraire auxquels il a été exposé. »
Mêmes mouvements.
Le droit a parlé mais rien ne bougera sans le rapport de force politique. Assange est soutenu par les représentants de la presse du monde entier, qui lui ont décerné des dizaines de prix pour l'action de WikiLeaks. D'Amnesty International à Reporters sans Frontières, en passant par la Freedom of the Press Foundation, l'Union américaine pour les libertés civiles et le Comité pour la protection des journalistes, ils ont tous pris parti. Ils ne s'y trompent pas : l'attaque contre Assange, commencée par l'administration Obama, renforcée sous Trump, maintenue sous Biden, est une attaque contre tout le journalisme d'investigation international.
Et que dire des méthodes employées par cette administration qui foule aux pieds les libertés individuelles jusqu'à enregistrer les conversations d'Assange avec ses avocats et récupérer toutes les données Google des membres de WikiLeaks – une administration si arrogante qu'elle a la prétention de juger un journaliste australien pour des actions qu'il a effectuées depuis la Suède ou la France ?
Moi qui ai tant admiré, pour en avoir bénéficié, les talents d'accueil de la société américaine, moi dont la carrière scientifique doit tant aux campus vibrants et ouverts d'Atlanta, de Berkeley ou de Princeton, je reste sidéré devant un tel dévoiement des valeurs américaines.
Quant aux valeurs historiques de la nation française, voici venu le moment de les honorer.
« Avez-vous quelque chose à dire ? » Oui, ce soir nous avons quelque chose à dire, grâce au groupe Libertés et territoires et à cette proposition de résolution présentée par nos collègues Jennifer De Temmerman, Jean Lassalle, François Ruffin et d'autres encore, tous très impliqués. Ce soir, c'est le moment, chers collègues, par vos déclarations et vos votes, de porter la voix de la France qui ne saura se faire respecter que si elle parle haut, c'est le moment d'affirmer votre attachement à la liberté et aux valeurs universelles qui fondent notre démocratie, c'est le moment de clamer tant notre indignation devant la force arbitraire qui broie Julian Assange que notre volonté de le protéger.
Applaudissements sur les bancs du groupe LT.
La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre délégué chargé du commerce extérieur et de l'attractivité.
Le commerce l'emporte sur le droit ! Est-ce le message que l'on envoie depuis la tribune ? Comment se fait-il que ce ne soit pas le ministre chargé des affaires étrangères qui s'exprime ?
Laissez-moi d'abord rappeler les faits. M. Julian Assange, qui est un ressortissant australien, s'est réfugié pendant sept ans au sein de l'ambassade de l'Équateur à Londres, jusqu'en avril 2019, date à laquelle il a été remis aux autorités britanniques. Les États-Unis ont alors lancé une procédure d'extradition en mai 2019, dont l'examen par les autorités britanniques a commencé en février 2020.
La justice britannique s'est prononcée en première instance, le 4 janvier 2021, contre la demande d'extradition formulée par les États-Unis, en prenant en considération les risques que celle-ci ferait peser sur la santé mentale de M. Assange. Cette décision a fait l'objet d'un appel par l'autorité de poursuite britannique pour le compte des États-Unis. Dans une décision du 10 décembre 2021, la Haute Cour de justice britannique a estimé que les garanties données par les autorités américaines en matière de conditions de détention étaient suffisantes pour autoriser l'extradition de M. Assange vers les États-Unis. Le 24 janvier 2022, la Haute Cour de justice britannique a autorisé M. Assange à faire appel de cette décision devant la Cour suprême du Royaume-Uni.
Vous le voyez, cette situation juridique concerne au premier chef les autorités judiciaires du Royaume-Uni. Nous considérons que le Royaume-Uni est un État de droit et nous faisons confiance à sa justice.
Or la proposition de résolution qui vous est soumise prévoit l'éventualité d'une demande d'asile politique en France de M. Assange. Avant toute chose, permettez-moi de vous rappeler le cadre juridique d'une telle demande : en application du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il appartient exclusivement à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sous le contrôle juridictionnel de la Cour nationale du droit d'asile, de se prononcer en matière d'éligibilité à la protection internationale et de reconnaître la qualité de réfugié à une personne qui invoque la crainte de persécutions.
Selon la loi, l'OFPRA n'est compétent pour connaître d'une demande d'asile qu'autant qu'elle a préalablement été enregistrée par l'autorité administrative compétente : il ne traite donc que les demandes déposées sur le sol français et ne peut être saisi depuis l'étranger. Pour demander asile en France, un ressortissant étranger qui se trouve en dehors de notre territoire doit solliciter auprès des autorités consulaires françaises un visa dont la délivrance relève in fine du ministère de l'intérieur. En 2015, M. Assange avait exprimé par voie de presse son intention de demander asile en France ; cependant, à ce jour, le Gouvernement n'a eu connaissance, de sa part, ni d'une telle demande formelle, ni d'une demande de visa – puisqu'il réside à l'étranger – aux fins de demander l'asile.
Comme vous le voyez, cette question n'est pas nouvelle. Interrogées au sujet de leur décision au cas où M. Assange demanderait effectivement l'asile politique, les autorités françaises avaient alors estimé qu'il n'y aurait pas lieu de répondre favorablement à cette demande, compte tenu d'éléments liés à la situation de fait comme à la situation juridique de l'intéressé : or il n'apparaît pas que ces éléments aient évolué depuis. Toutefois, la situation de droit et de fait de M. Assange ne remet aucunement en cause notre engagement constant en faveur de la liberté d'expression et de la protection des lanceurs d'alerte.
D'une part, en effet, la loi française consacre la liberté d'expression comme l'un des piliers de la démocratie. Elle n'est pas absolue : le corpus juridique qui l'encadre depuis la loi du 29 juillet 1881 a progressivement été étoffé par l'adjonction de règles concernant le respect de la personne, la protection des mineurs et la répression de l'injure, de la diffamation ou de l'atteinte à la vie privée. Conformément à notre tradition libérale et aux prescriptions de la loi de 1881, les abus de la liberté d'expression ne peuvent être sanctionnés que par le juge judiciaire, gardien des libertés, sans intervention du pouvoir exécutif.
D'autre part, avec la loi Sapin 2 du 9 décembre 2016, la France a fait partie des dix premiers États membres de l'Union européenne à s'être dotés d'un texte protégeant les lanceurs d'alerte – il en résulte ce statut juridique du lanceur d'alerte que vous évoquiez, entouré de conditions protectrices pour les différentes parties prenantes. La proposition de résolution mentionne en outre la dimension européenne de notre action sur ce point : la France a ainsi joué un rôle moteur en vue de faire aboutir les négociations concernant la directive adoptée le 7 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l'Union européenne. Nous avons défendu une approche équilibrée, permettant de préserver un instrument unique au champ d'application large, à même de protéger le plus largement possible les lanceurs d'alerte contre le risque de représailles tout en garantissant un dispositif juridique proportionné aux différents niveaux de gravité. La directive prévoit la possibilité d'un signalement externe, soit directement, soit à l'issue d'un signalement interne resté vain, ainsi qu'une protection, sous certaines réserves, en cas de divulgation au public.
Vous le savez, mesdames et messieurs les députés, Sylvain Waserman – que je remercie – a déposé le 21 juillet 2021 une proposition de loi visant à transposer cette directive et qui, en réalité, va plus loin que les dispositions européennes. Elle remédie à plusieurs limites de la loi Sapin 2, notamment en renforçant l'accessibilité aux dispositifs d'alerte par la suppression de l'obligation de lancer l'alerte en interne avant de les faire connaître à des interlocuteurs externes à l'organisation concernée. Elle étend également la protection des lanceurs d'alerte à ceux qui facilitent leur tâche et qui peuvent être des personnes morales à but non lucratif. Le Gouvernement ayant engagé la procédure accélérée le 25 octobre 2021, le texte a été adopté, après modifications, à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 17 novembre : je me réjouis que les députés et sénateurs qui se sont réunis en commission mixte paritaire le 1er février dernier soient parvenus à un compromis, si bien que le nouveau cadre de protection des lanceurs d'alerte entrera en vigueur dans les tout prochains mois.
Sur ce thème, la France est un bon élève : à ce stade, aucun État membre de l'Union européenne n'a respecté le délai de transposition de deux ans fixé pour la directive. Ainsi que l'évoquait M. Mbaye, nous pourrions poursuivre nos efforts en vue d'inciter nos partenaires européens à la transposer également, améliorant la protection des lanceurs d'alerte en Europe. Je tiens toutefois à rappeler que le cadre juridique de cette protection reste tout à fait distinct de celui de l'asile politique : des lanceurs d'alerte peuvent certes, s'ils remplissent les conditions requises, bénéficier de la protection des demandeurs d'asile ou de la protection subsidiaire, mais ce sont là, je le répète, deux sujets et deux statuts différents.
Enfin, la proposition de résolution fait référence aux travaux du Conseil de l'Europe, où ont été négociés plusieurs instruments visant à instaurer des normes en matière de signalement et en matière de protection des lanceurs d'alerte. La Convention civile sur la corruption et la Convention pénale sur la corruption, adoptées en 1999, incitent notamment les États parties, dont la France, à prendre des mesures de protection des personnes qui divulguent des informations dans l'intérêt général. En 2014, le comité des ministres du Conseil de l'Europe a adopté une recommandation traitant spécifiquement de la protection des lanceurs d'alerte.
Faut-il, comme vous le souhaitez et comme le recommande l'APCE, un instrument général et juridiquement contraignant relatif aux lanceurs d'alerte ? Le comité des ministres a clairement exprimé sa position à cet égard le 29 avril 2020 : « La négociation d'un instrument contraignant, telle une convention, représenterait un processus long et au résultat incertain compte tenu de la complexité du sujet et de la diversité des solutions adoptées par les États membres pour protéger les lanceurs d'alerte. » Il estime plus opportun à ce stade d'encourager les États à appliquer pleinement les recommandations existantes, au besoin avec l'assistance technique des comités et organes compétents du Conseil de l'Europe.
Pour l'ensemble des raisons que je viens d'évoquer, vous comprendrez…
…que le Gouvernement soit défavorable à la proposition de résolution. Vous aurez néanmoins pu constater, mesdames et messieurs les députés, qu'il demeure pleinement conscient de l'importance de la protection nationale et internationale des lanceurs d'alerte. La France continuera d'être exemplaire à cet égard, suivant une approche équilibrée protégeant toutes les parties concernées.
M. Bruno Questel applaudit.
Sur l'ensemble de la proposition de résolution, je suis saisie par le groupe Socialistes et apparentés et par le groupe La République en marche d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
Suspension et reprise de la séance
À la demande du groupe La République en marche, la séance est suspendue.
La séance, suspendue à vingt-trois heures dix, est reprise à vingt-trois heures quinze.
Je me permets de monter à la tribune car c'est peut-être tout ce qu'il reste finalement.
Exclamations sur quelques bancs du groupe LaREM.
Soyez élégants, chers collègues. Le sujet est grave : nous pouvons lui accorder une certaine solennité.
Un homme a été condamné à mort, en réalité, en étant condamné à l'enfermement. Je vais citer quelqu'un : « On va tout de même rappeler ce qu'il a permis de révéler. Il a permis de révéler en France que Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande avaient été espionnés par les Américains, ça n'est pas rien. Il a permis de révéler également que Pierre Moscovici et François Baroin, deux ministres français de l'économie, avaient fait l'objet d'une opération d'espionnage économique conduite par les États-Unis. » Celui qui parlait ainsi s'appelait Éric Dupond-Moretti : il était alors avocat de M. Julian Assange.
Avant d'être ministre, il n'était déjà pas mauvais, notamment lorsqu'il s'exprimait ainsi.
Si vous le jugez excellent, soyez fidèles à sa parole. Comment un homme, dont le délit est précisément d'avoir permis à la France de faire face à ceux qui veulent mettre en cause son indépendance, ne devrait-il pas bénéficier de l'aide de la France ? À quoi se juge une grande nation libre et indépendante ? Au fait que, précisément, même si vous jugez les États-Unis d'Amérique comme un pays ami, nous devons leur dire que le sort qu'ils ont réservé à Julian Assange est intolérable.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LT.
Notre indépendance se jugera à notre capacité à dire, sur ce dossier très clair, qu'il est hors de question que cet homme, qui est un lanceur d'alerte, un journaliste, soit mis aux fers.
Un député du groupe LaREM agite les bras.
Vous levez les mains en faisant le marionnettiste, collègue. Mais qui est la marionnette de qui dans cette histoire ? Le dossier est clair ! Monsieur le ministre délégué, je vous ferai un reproche, si vous me le permettez : vous n'avez jamais évoqué le cas de Julian Assange à cette tribune. Jamais !
M. François Ruffin applaudit.
Vous avez fait un cadrage juridique, mais jamais vous ne vous êtes prononcé comme citoyen, comme ministre, comme responsable politique, sur un dossier qui est limpide – c'est ce que montre notamment le rapport réalisé par tous ceux qui y ont travaillé au sein de l'ONU. Julian Assange est parfaitement innocent, et vous le savez ! Tout le monde le sait ! Monsieur Dupond-Moretti le sait ! Et que faisons-nous ? Nous ne prenons pas position ? Il s'agit de notre honneur en tant que nation ! Ceux qui ont pris la parole ici sans soutenir Julian Assange ont manifesté une marque de servitude et d'avilissement face aux États-Unis d'Amérique. Ce n'est pas sérieux ! Au-delà du cas de Julian Assange, il s'agit d'envoyer un message clair à une puissance fût-elle amie : nous n'acceptons pas le sort qui est fait à cet homme !
Cette proposition de résolution parle vrai, parle juste. Il est tard : envoyons un signal de lumière dans la nuit que traverse cet homme.
MM. François Ruffin et Jean Lassalle applaudissent.
Cela ne permettra peut-être pas de l'arracher aux griffes de ceux qui l'ont enfermé, mais le fait qu'une grande nation comme la France, attachée à la liberté, envoie ce signal, quel réconfort pour lui et pour tous ceux qui, comme lui, sont des lanceurs d'alerte ! Chers collègues, faisons preuve de courage. Soyons Français, tout simplement fidèles à notre histoire : votons cette proposition de résolution.
Applaudissements sur les bancs du groupe LT. – M. François Ruffin applaudit également.
Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.
Ce soir finalement, quoi qu'il arrive, nous aurons réussi. Julian Assange aura reçu le soutien de ceux qui, en France, accordent un prix à la vérité, à la liberté et aux droits humains. Nous ne sommes pas naïfs, nous savons aussi que sa situation n'aurait pas été réglée ce soir : nous n'avons jamais prétendu le contraire. Nous avons entendu vos arguments, chers collègues, mais il s'agit d'une proposition de résolution, c'est-à-dire avant tout d'un geste symbolique, qui dit de nous ce que nous sommes et ce que nous défendons. Comme tant d'autres gestes symboliques dans cet hémicycle, il s'oppose à une situation que vous-même jugez indigne.
Certes, j'entends que l'OFPRA est seul habilité à traiter la demande que Julian Assange pourrait déposer, mais il est des cas où l'exécutif a su intervenir pour faire obtenir la nationalité française à des héros du quotidien.
« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe LT.
Elle a su le faire aussi dans des situations plus graves, par exemple pour Lassana Bathily, qui est intervenu lors de la prise d'otages de l'Hyper Cacher.
Je pourrais déployer tous vos arguments, chers collègues, et les démonter un par un. Mais ce qui compte ce soir, finalement, ce n'est pas que nous demandions d'accorder l'asile à Julian Assange : c'est que nous assurions de notre soutien un homme épuisé et diminué, moralement et physiquement – jusqu'au point de ne plus y voir faute de lumière du jour, nous disaient ses proches –, un homme qui n'a jamais mérité un tel sort mais qui a mérité, au contraire, notre respect et notre reconnaissance. Les convictions demandent des actes. Je vous en prie : ce soir, nous pouvons voter pour lui déclarer simplement notre soutien. Nous travaillerons ensemble, ensuite, aux meilleures solutions, mais nous aurons au moins envoyé un message clair et fort.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LT.
Monsieur le ministre délégué, nous aurions aimé vous entendre soutenir Julian Assange ; nous aurions aimé vous entendre soutenir l'idée d'une grande convention, qui a été défendue par ceux qui ont pris la parole sur les bancs de la majorité – je les en remercie. Mais nous n'avons pas entendu cela. Alors, dans un esprit de responsabilité, nous prenons la décision de soutenir jusqu'au bout Julian Assange et de lui assurer que nous sommes avec lui.
« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe LT. – M. François Ruffin applaudit également.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 50
Nombre de suffrages exprimés 48
Majorité absolue 25
Pour l'adoption 17
Contre 31
La proposition de résolution n'est pas adoptée.
La parole est à M. Jean-Félix Acquaviva, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Les années d'élections présidentielle et législatives, comme cette année 2022, sont toujours des moments importants de la vie politique d'un pays. Aussi est-il heureux que nous ayons aujourd'hui l'occasion de débattre d'un sujet aussi crucial et déterminant que la crise démocratique et les moyens qui sont en notre possession pour y répondre. J'ai la conviction que nous touchons ici au cœur de notre rôle de parlementaires. En effet, nous le savons tous dans cet hémicycle, nos démocraties représentatives traversent de sérieuses turbulences. L'augmentation constante du taux d'abstention en constitue un signal alarmant, qui révèle la désaffection croissante des citoyens à l'égard des élus. Elle doit nous interroger et nous conduire à une réflexion collective sur le fonctionnement de la démocratie en général et du suffrage universel en particulier.
La proposition de loi constitutionnelle soumise à notre examen a été déposée par notre collègue Jean Lassalle, que je salue. Son contenu découle d'une croyance forte, celle qu'une meilleure prise en compte du vote blanc lors de l'élection présidentielle constituerait un premier pas dans le sens d'une réconciliation des Français avec la démocratie.
En droit électoral, le vote blanc a longtemps été rendu invisible. Le Conseil d'État a précisé dès 1806 que les bulletins blancs devaient être retranchés des votes émis et assimilés aux votes nuls. Ce double principe de l'exclusion des votes blancs des suffrages exprimés et de leur assimilation aux votes nuls a perduré jusqu'à une loi du 21 février 2014. Il s'inscrivait dans une tradition historique, celle d'une conception utilitariste du droit de vote. Dans ce cadre, le suffrage a pour unique finalité d'arrêter une désignation en cas d'élection ou une décision en cas de référendum. Dans cette optique, la prise en compte du vote blanc est perçue comme dangereuse.
Une première rupture avec cette tradition historique est apparue, comme je l'indiquais, avec la loi du 21 février 2014 visant à reconnaître le vote blanc aux élections, qui a eu pour objet de le distinguer du vote nul. Désormais, les bulletins blancs sont décomptés séparément et annexés aux procès-verbaux des élections. Cette évolution législative a permis d'atteindre un premier degré de reconnaissance juridique du vote blanc qui est ainsi mesuré, et dont la visibilité est ainsi accrue. Nous savons désormais, par exemple, que, lors du second tour de l'élection présidentielle de 2017, plus de 3 millions d'électeurs ont fait le choix d'un bulletin blanc, soit 6,4 % des inscrits et 8,5 % des votants.
Toutefois, l'avancée permise par la loi de 2014 est avant tout symbolique. Le vote blanc est en effet mieux reconnu mais il reste sans incidence sur le scrutin. La présente proposition de loi constitutionnelle suggère en conséquence d'aller plus loin. En rupture avec la conception strictement utilitariste du droit de vote, elle revient à affirmer que le suffrage universel peut et doit permettre aux citoyens d'exprimer leurs opinions, fussent-elles contestataires.
L'article 1er a ainsi pour objet d'intégrer les votes blancs dans les suffrages exprimés lors de l'élection présidentielle. Il s'agit d'une avancée importante. Cette question est en effet un serpent de mer de notre vie politique. Au sein de notre assemblée, elle a fait l'objet de trente-cinq propositions de loi déposées depuis 1993. Elle figurait également dans le programme de sept des onze candidats à l'élection présidentielle de 2017. Enfin et surtout, elle bénéficie d'une adhésion très forte des Français : en 2017, ils étaient 86 % à se dire favorables à ce que le vote blanc soit comptabilisé dans les suffrages exprimés lors de l'élection présidentielle, quitte à ce que cela conduise à l'invalidation de l'élection au cas où aucun candidat ne parviendrait à obtenir la majorité absolue des suffrages exprimés.
En plus de répondre à la volonté des Français, l'évolution proposée par la présente proposition de loi constitutionnelle permettra de lutter contre l'abstention. Au premier tour de l'élection présidentielle, celle-ci représentait 16,2 % des inscrits en 2007, 20,5 % en 2012 et 22,2 % en 2017. Au second tour, elle s'élevait à 16 % des inscrits en 2007, 19,7 % en 2012 et 25,4 % en 2017. Ces chiffres doivent nous alerter. Reconnaître que le vote blanc a une véritable signification politique et lui donner le pouvoir de changer le cours de l'élection constitue une première étape pour réconcilier les citoyens avec les urnes. En 2017, 78 % des abstentionnistes déclaraient qu'ils auraient voté blanc si cette option avait été officiellement reconnue.
L'intégration des bulletins blancs dans les suffrages exprimés emporte naturellement des conséquences sur le mode de scrutin présidentiel. L'article 2 de la proposition de loi constitutionnelle anticipe la situation dans laquelle aucun candidat n'obtiendrait la majorité absolue des suffrages exprimés au second tour. Il met en place un dispositif permettant d'éviter tout blocage institutionnel.
Le dispositif initial de la proposition de loi prévoyait que le Conseil constitutionnel invaliderait l'élection si aucun candidat n'obtenait la majorité absolue des suffrages exprimés et qu'il était procédé à un second scrutin. Par un amendement que je soutiens, notre collègue Jean Lassalle propose de préciser que, lors de ce second scrutin, le candidat ayant recueilli le plus grand nombre de suffrages au second tour est élu. Le dispositif ainsi amendé permettrait un juste équilibre entre, d'une part, la nécessité démocratique de donner à ceux qui souhaitent manifester leur refus de faire un choix parmi l'offre politique une incidence sur le scrutin, et, d'autre part, l'impératif de stabilité institutionnelle en limitant à deux le nombre maximum de scrutins.
Tel est donc le sens de cette proposition de loi constitutionnelle, circonscrite par son objet mais profondément inspirée par la vision qu'elle porte de notre démocratie et du suffrage universel.
MM. Alexis Corbière et Jean Lassalle applaudissent.
La proposition de loi constitutionnelle que nous examinons aujourd'hui vise à inclure les votes blancs dans la détermination des suffrages exprimés lors de l'élection présidentielle. Le texte propose par ailleurs de permettre au Conseil constitutionnel d'annuler une élection présidentielle dans le cas où aucun des candidats ne recueillerait la majorité absolue des suffrages exprimés et de procéder ainsi à une nouvelle élection.
Je tiens à vous dire que le Gouvernement sera défavorable à cette évolution, pour plusieurs raisons. D'abord la modification constitutionnelle que vous proposez représente un bouleversement d'ordre juridique majeur à l'égard duquel le Conseil constitutionnel a souhaité nous mettre en garde. Il représente aussi et surtout un risque pour la solidité et pour la stabilité de notre système institutionnel. C'est pourquoi il nous semble que nous ne pouvons pas y souscrire.
Je tiens néanmoins à saluer l'occasion qui nous est donnée aujourd'hui de débattre de la signification du vote blanc, de cette non-expression d'un choix qui témoigne, dans la plupart des cas, d'une forme d'insatisfaction vis-à-vis de l'offre politique existante, ainsi que de l'éloignement de beaucoup de nos concitoyens de la sphère publique. Ce débat devrait nous permettre de nous poser davantage la question de savoir comment nous pouvons, nous, responsables politiques, intéresser de nouveau nos concitoyens au débat démocratique, réenchanter la politique, pour que chacun puisse vouloir exprimer sa préférence, au lieu de se mettre en retrait, soit en s'abstenant, soit même en refusant de procéder à un choix lors de l'élection.
Car c'est cela qui devrait être le cœur de notre débat. Nous devons entendre les raisons qui amènent nos concitoyens à s'exprimer à travers un bulletin de vote blanc et nous donner collectivement les moyens de faire revenir les Français vers la politique, de redonner envie aux Français de choisir leurs élus, car c'est à travers cet acte de choix que les Françaises et les Français peuvent orienter l'avenir du pays, de nos régions, de nos départements, de nos communes. Refuser de choisir, refuser d'élire, c'est aussi exposer la collectivité à ne pas être gouvernée. Et la question se poserait alors, puisque, comme vous le savez, la loi du 21 février 2014 visant à reconnaître le vote blanc aux élections permet d'ores et déjà de décompter séparément les bulletins de vote blancs des bulletins nuls. La loi organique du 25 avril 2016 de modernisation des règles applicables à l'élection présidentielle a introduit cette disposition dans le cadre de l'élection présidentielle.
Mais le débat autour du vote blanc ne date pas des années 2000. Le 18 ventôse an VI, soit le 6 mars 1798, une loi fut votée autorisant le vote blanc, au moment où le vote par bulletin s'insérait durablement dans la vie politique française. Tout au long du XIX
Je vous donne le point !
C'est au moment même où on a vu s'enraciner le suffrage universel direct et une démocratie libérale fondée sur l'idée que le suffrage doit conduire à sélectionner les responsables politiques, que le vote blanc fut abandonné.
Mais l'acte de vote sert aussi à exprimer une opinion. Certes, le vote blanc peut nous dire quelque chose : une défiance, une indifférence, une forme de mécontentement peut-être. Toutefois, je crois que les opinions politiques devraient s'exprimer avant tout en renforçant le pluralisme politique, en permettant à tous les courants de pensée de trouver une expression politique et démocratique, et donc à travers un choix exprimé dans l'urne.
Nous avons eu hier dans cet hémicycle un débat riche autour de la mise en place d'une dose de proportionnelle aux élections législatives, sur la recherche d'un mode d'élection plus lisible et plus cohérent pour les élections régionales et départementales, ainsi d'ailleurs que sur la parité dans les conseils municipaux.
C'est en allant dans cette direction que nous pourrons, je crois, redonner envie aux Français de choisir leurs députés, leur maire, leurs conseillers régionaux et départementaux et, bien sûr, leur Président de la République. Que se passerait-il en effet une fois que les votes blancs, pris en compte dans les suffrages exprimés, seraient validés ? Je vais revenir sur les inconvénients techniques et juridiques d'une telle mesure, mais, sur le fond, je vous pose la question, mesdames et messieurs les députés : souhaitons-nous voir grossir cette part de la population qui, au lieu de donner une orientation politique par son vote, va choisir de voter blanc et donc de ne pas choisir ? Je crois que ce serait reconnaître pour nous, responsables politiques, un échec profond.
En réalité, ce n'est pas cela que les citoyens attendent. Ce qu'ils attendent, ce sont des élus qui se mobilisent pour les écouter, pour répondre à leurs besoins, pour apporter des réponses aux grands enjeux d'avenir et aux problèmes du quotidien : or le vote blanc ne répondra pas à ces attentes.
Les conséquences de la reconnaissance du vote blanc en tant que suffrages exprimés pour l'élection du Président de la République seraient, par ailleurs, potentiellement graves puisque prendre en compte les votes blancs dans les suffrages, ce serait, par exemple, porter atteinte à la légitimité de l'élection du Président de la République et donc à l'ensemble de notre système démocratique. Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés. Ce que vous proposez reviendrait donc à mettre en cause ce principe cardinal pour cette élection. Par ailleurs, le système que vous proposez présente un risque considérable : celui de l'incapacité potentielle d'élire un président de la République puisque, théoriquement, en l'absence de majorité absolue, il nous faudra recommencer autant de fois que nécessaire l'organisation d'un nouveau scrutin.
Cette situation créerait une instabilité importante au sommet de l'État, difficilement acceptable pour nos concitoyens.
M. Bruno Questel applaudit.
Le risque non seulement de paralysie électorale, mais surtout de paralysie du pays s'accompagnerait d'une atteinte à la légitimité de celui ou de celle qui, au terme de ce très long et répétitif processus démocratique, serait finalement élu. On peut en effet douter qu'un candidat ayant eu besoin de nombreux tours de scrutin pour être élu puisse avoir la légitimité suffisante que confère l'élection en temps normal. Cette fragilité serait d'autant plus problématique pour une élection aussi importante que celle du Président de la République dans notre système institutionnel.
Il nous est donc proposé un système où le choix d'une petite minorité bloquante d'électeurs pourrait mettre en péril l'expression de la grande majorité des votants.
Pour compléter l'analyse concernant l'instabilité que cette disposition introduirait dans l'élection du Président de la République, tenons compte des enseignements tirés des scrutins passés. En 2017, ce sont 3,21499 millions de bulletins blancs qui ont été recensés. Si la disposition aujourd'hui proposée avait été en vigueur, le score du président élu au second tour aurait été de 60 %, au lieu de 66 %. Alors que les bulletins blancs n'étaient pas encore décomptés à part, en 2012 les bulletins blancs et nuls ont représenté 2,154956 millions de voix. Le président élu en 2012 n'aurait alors obtenu que 49 % des suffrages au lieu de 52 %. Le Conseil constitutionnel aurait dû procéder à l'invalidation du scrutin malgré les plus de 18 millions de voix réunies en 2012 et les plus de 16 millions de voix portées sur le second candidat.
C'est sans compter, mesdames et messieurs, sur l'effet d'entraînement qu'aurait cette disposition introduite dans les règles de l'élection du Président de la République. Des demandes émergeraient rapidement pour que les nouvelles modalités de prise en compte du vote blanc soient étendues à toutes les autres élections de notre système démocratique. La prise en compte dans une élection au scrutin de liste des bulletins blancs en tant que suffrages exprimés implique des évolutions notables et contestables.
En premier lieu, la prise en compte du vote blanc augmente mécaniquement le nombre de suffrages exprimés. Par conséquent le pourcentage de suffrages recueillis diminue pour chaque liste, quand bien même le nombre de suffrages qu'elles obtiennent en valeur absolue resterait constant – c'est mathématique. L'effet obtenu serait donc contraire à l'effet escompté, puisqu'une telle évolution pénaliserait les formations politiques modestes qui atteindraient plus difficilement les seuils de pourcentage fixés par le code électoral pour la répartition des sièges, l'accès à un éventuel second tour et même la fusion des listes.
Il en va de même pour les seuils qui permettent d'accéder au remboursement des frais de campagne. Compter le vote blanc dans les suffrages exprimés sans modifier les seuils électoraux porterait atteinte à l'exigence constitutionnelle de participation équitable des partis et des groupements politiques à la vie politique et de garantie de l'expression pluraliste des opinions, consacrée par l'article 4 de la Constitution.
Par ailleurs, cette évolution présenterait le risque plus global de multiplier les seconds tours, tout en rendant plus difficile l'obtention de la majorité absolue dès le premier tour. Il faudrait alors évaluer très finement l'impact du vote blanc sur la répartition des sièges, la possibilité ou non d'attribuer au vote blanc des sièges qui demeureraient vacants. Dès lors, pour les scrutins proportionnels, deux hypothèses seraient envisageables : soit la reconnaissance du vote blanc pourrait être sans effet sur la répartition des sièges, ce qui viderait de son sens sa prise en compte, soit les votes blancs seraient attribués à des sièges qui demeureraient donc vacants pendant toute la durée du mandat : on frôlerait alors l'absurde.
Pour les scrutins majoritaires, où la loi impose la majorité absolue de suffrages exprimés pour être élu dès le premier tour, l'intégration des votes blancs rendrait plus difficile l'élection dès le premier tour, comme je l'évoquais précédemment.
Dans le cas spécifique des référendums, dès lors que les bulletins blancs seraient assimilés à des suffrages exprimés, le vote blanc deviendrait-il une troisième option, en plus des bulletins « oui »et « non » ? Dans cette hypothèse, les règles d'adoption des dispositions soumises à référendum devraient être elles aussi très largement modifiées dans la loi, pour envisager en première hypothèse l'adoption de la disposition soumise à référendum, à condition que le oui l'emporte à la majorité absolue. Cela reviendrait à assimiler les votes blancs à des votes « non » et cette option pourrait donner lieu à des manipulations kafkaïennes. J'illustrerai mon propos d'un exemple. Si la question posée est : « Êtes-vous favorable au projet consistant à réduire à cinq ans le mandat présidentiel ? », le vote blanc sera assimilé au non et donc au vote en faveur du maintien du septennat, alors que si la question est : « Êtes-vous favorable au maintien du septennat ? », le vote blanc est assimilé à un vote favorable au quinquennat.
La deuxième hypothèse concernant les référendums serait de modifier la règle d'adoption des dispositions soumises à référendum, de manière que l'adoption de la disposition soumise à référendum le soit à la condition que le oui l'emporte à la majorité relative. Cette option poserait alors la question des conséquences à tirer d'une majorité relative de votes blancs par rapport au vote oui et au vote non.
Vous le constatez, mesdames et messieurs les députés, la prise en compte du vote blanc nous obligerait à modifier substantiellement le droit électoral et les effets de telles modifications sont considérables. L'examen dans cette assemblée du texte qui devait devenir la loi du 21 février 2014 visant à reconnaître le vote blanc avait déjà permis de pointer les obstacles insurmontables qui naîtraient de la prise en compte des bulletins blancs dans les suffrages exprimés, qu'il s'agisse d'élections au scrutin uninominal majoritaire ou au scrutin de liste proportionnelle, ou de référendums.
Toutefois, et cela a bien été noté lors des débats de 2014, abstentions et votes blancs ne peuvent pas être mis sur le même plan, car en déposant un bulletin dans l'urne, même un bulletin blanc, le citoyen participe à l'élection. Le vote blanc doit donc alors être considéré différemment. C'est ce qui a conduit le Parlement à faire en sorte que les votes blancs soient décomptés et distingués des votes nuls.
La loi de 2014 est allée plus loin en élargissant la définition du vote blanc : alors qu'il était auparavant limité au cas de l'enveloppe contenant une feuille de papier blanc vierge, reconnue comme telle au moment du dépouillement, c'est-à-dire exempte de tout signe et de toute annotation, le vote blanc est, à compter de ladite loi, étendu à l'enveloppe réglementaire trouvée vide, ce qui donne à l'électeur la possibilité de décider de son vote blanc dans le secret de l'isoloir, même sans avoir pensé au préalable à apporter sa feuille de papier blanc vierge.
Comme l'explique le rapport d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention, que je souhaite à nouveau saluer pour la qualité de ses propositions et des analyses effectuées : « Le vote blanc est un non-choix : il ne permet la désignation d'aucun candidat, ce qui est pourtant la fonction de l'élection. »
M. Bruno Questel applaudit.
En conséquence, le vote blanc ne devrait pas être à même de mettre en péril l'élection d'un candidat qui a obtenu la majorité des suffrages.
Vous le savez, le Gouvernement s'est engagé à enrayer l'abstention et à rapprocher les Français de la vie politique. À cet effet, de nombreuses mesures ont été déployées : chaque électeur recevra une nouvelle carte électorale comportant un QR code lui permettant d'accéder à toutes les informations utiles pour aller voter ; j'ai réuni ce matin place Beauvau l'ensemble des plateformes – Twitter, Snapchat, Tiktok, Google, etc. – pour leur demander de communiquer auprès des jeunes les adresses des bureaux de vote ou encore de les informer sur la manière de s'inscrire ; je rappelle également le dispositif maprocuration.fr ; j'ajoute qu'il n'est pas trop tard pour s'inscrire sur les listes électorales, puisque nous avons allongé les délais permettant de le faire.
M. François-Michel Lambert s'exclame.
Ces dispositions sont de nature à traiter le sujet dont nous débattons aujourd'hui : celui de l'abstention. Le sujet, c'est que l'offre politique ne correspond pas toujours à la demande
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM
et que des gens se désintéressent de la politique, peut-être aussi parce qu'ils en ont assez d'entendre, comme dans des cirques, hurler sur les personnes en train de parler ou de voir à quel point les élus et les personnalités politiques sont parfois menacés. Cela contribue aussi à éloigner nos concitoyens du vote. Toutes ces questions sont intimement liées et nous devons y apporter des réponses cohérentes et coordonnées entre elles. C'est en tout cas ce à quoi travaille actuellement le Gouvernement.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Je tiens tout d'abord à remercier mon collègue et ami Jean-Félix Acquaviva qui a bien voulu rapporter la proposition de loi constitutionnelle dont je suis l'auteur. Je remercie également le groupe Libertés et territoires de m'avoir donné la chance de présenter ce texte, de défendre les idées et les valeurs que nous partageons avec un très grand nombre d'entre vous et avec de très nombreux Français. Je remercie enfin tous les groupes qui ont bien voulu jouer le jeu aujourd'hui pour que l'ensemble des textes inscrits dans le cadre de la niche de notre groupe puissent être examinés, même s'ils ont connu des fortunes diverses.
Comme nous l'avons rappelé lors de l'examen de ce texte en commission, la démocratie représentative à laquelle nous sommes tous tant attachés est, ces dernières années, contestée. D'ailleurs, la longue intervention de Mme la ministre déléguée illustre à elle seule l'extrême inquiétude qui habite le Gouvernement et le Président de la République. J'y reviendrai ultérieurement.
L'abstention atteint des niveaux sans précédent ; la défiance envers les élus et, plus encore, envers les partis politiques illustre le fossé qui se creuse entre le peuple et ses représentants.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LT.
Les Français ont perdu confiance dans leurs élites, dans les élus notamment et dans les partis politiques, je le répète – ainsi que dans la presse, mais ce n'est pas l'objet de nos débats de ce soir. L'abstention augmente de manière massive depuis les années 1980, toutes élections confondues. En s'abstenant, le peuple signifie qu'il n'a plus ni la voix pour se révolter démocratiquement ni le pouvoir suffisant pour changer fondamentalement le cours de son histoire.
Ainsi, Emmanuel Macron a été élu en 2017 par seulement 43,6 % des électeurs inscrits : 12 millions de Français se sont abstenus et plus de 3 millions ont voté blanc. Il s'agit du record absolu sous la V
Depuis la loi de 2014, dont mes collègues du groupe UDI-I étaient à l'origine – je les en remercie – les votes blancs sont désormais décomptés séparément. Toutefois, ils n'entrent toujours pas dans la prise en compte des suffrages exprimés. Ainsi, ils ne sont que très insuffisamment portés à la connaissance du grand public.
Le vote blanc est pourtant, dans son principe, très différent de l'abstention. Vous avez longuement parlé de l'abstention, madame la ministre déléguée, mais je parle, quant à moi, du vote blanc, qui est l'expression d'une pensée affirmée. En votant blanc, les citoyens nous disent : « Je participe au vote mais aucun des candidats, » – vous comprendrez que je ne parle pas de moi – « aucun des projets ne correspond à mes attentes ». Cela signifie que, s'ils se sentent concernés par la vie démocratique, ils ne se sentent ni compris ni entendus.
La reconnaissance du vote blanc pour l'élection présidentielle poursuit donc plusieurs objectifs. Tout d'abord, il s'agit de reconnaître une volonté populaire maintes fois exprimée : les citoyens français y sont favorables dans leur immense majorité, comme le montrent l'ensemble des sondages réalisés sur le sujet. Un sondage effectué par l'IFOP en 2017 révélait que 86 % des Français sont favorables à la reconnaissance du vote blanc en tant que suffrage exprimé pour l'élection présidentielle.
Applaudissements sur les bancs du groupe LT.
Ils ne parlent pas d'abstention mais bien de vote blanc ! C'est précisément le contenu de la proposition de loi constitutionnelle dont je suis l'auteur et que nous examinons aujourd'hui.
De plus, reconnaître le vote blanc est de nature à entraîner une baisse de l'abstention – nous le constaterons très vite. Les électeurs qui ne se reconnaissent pas dans l'offre proposée, mais souhaitent exprimer leur attachement à la démocratie, se rendront de nouveau aux urnes.
Enfin, la baisse de l'abstention redonnerait au Président de la République un socle électoral solide et lui assurerait une vraie légitimité.
Bien que je ne sache pas combien de temps de parole il me reste, je suis obligé de répondre à votre argumentaire, madame la ministre déléguée, car je n'aurais sans doute pas d'autre occasion de le faire. Vous avez dit que, tout au long du XIX
Vous avez également évoqué la situation dans laquelle nous nous trouverions si le vote blanc arrivait en tête des suffrages. Toutefois, qui vous dit, madame, ce qui se passera lors de la prochaine élection présidentielle ? Avez-vous senti le climat de colère qui règne dans notre pays ? Avez-vous vu comment un candidat qui utilise des termes que je n'aurais jamais cru entendre dans le langage public actuel sur les plateaux de télévisions nationales – poussé aux fesses d'ailleurs par l'ensemble des médias – a pu monter à 15 % des intentions de vote en trois semaines ? Ne pensez-vous pas qu'il y a là de quoi être préoccupé ? Vous avez raison mais vous nous opposez une réponse technique. Elle est très chouette, votre réponse technique, mais moi, je vous parle de politique, madame !
Ce n'est pas la peine de crier !
Je sais que vous n'êtes pas sourde, mais vous êtes quand même très sourde lorsque vous répondez ce que vous venez de nous répondre.
Ce n'est pas la peine de m'insulter !
Vous êtes membre du Gouvernement depuis cinq ans et vous n'avez tenu aucun compte…
Ne m'insultez pas, s'il vous plaît !
Je vous ai laissé parler, laissez-moi aller au bout de mon propos, car nous n'aurons pas l'occasion de débattre d'un sujet d'une telle gravité tous les jours. Votre inquiétude perce dans votre regard et dans celui du Gouvernement.
C'est une attaque personnelle pour la deuxième fois ! On se calme !
Nous avons encore la possibilité de parler tranquillement de ce sujet mais, d'ici peu de temps, nous n'en aurons plus le loisir, surtout si vous campez sur des positions aussi rigides et aussi éloignées des demandes du peuple souverain – vous voyez que je peux m'exprimer calmement.
C'est mieux !
Tout à fait !
Sans crier !
…de ceux qui croient à la paix, à la démocratie, à la liberté de notre grand pays, ce peuple souverain qui est devenu universaliste à travers mers et montagnes, et qui est en train de perdre ce qu'il était.
Applaudissements sur les bancs du groupe LT.
Il vous restait deux minutes, monsieur Lassalle.
La parole est à M. Alexis Corbière.
Le débat s'achèvera après ma prise de parole mais je veux remercier les membres du groupe Libertés et territoires – ils ont beaucoup été remerciés tout au long de cette journée et je ne voudrais pas qu'ils en prennent l'habitude – d'avoir engagé une discussion politique sur un aussi beau et grand sujet, celui de la reconnaissance du vote blanc, que le groupe la France insoumise avait également alimenté en proposant un débat sur le droit de révoquer les élus. Pour ce qui nous concerne, nous englobons ces réflexions dans une volonté de convocation d'une assemblée constituante, afin que ces grands sujets soient examinés par l'ensemble du peuple qui désignerait des représentants pour en débattre.
Vous le savez, madame la ministre déléguée, le Président de la République a été élu dans des conditions qu'il avait lui-même qualifiées avec humour de « hold-up » : c'est dire combien la dernière élection avait été bouleversante ! Il sait très bien que les conditions de ce volcan politique réunies en 2017 sont encore d'actualité.
De quoi parlons-nous ? Du fait que, encore récemment, à l'occasion des élections départementales et régionales, 70 % des électeurs ne se sont pas rendus aux urnes. Vous avez dit que, si nous instaurions le dispositif proposé dans ce texte, la stabilité institutionnelle serait remise en cause. J'affirme qu'elle l'est déjà.
Applaudissements sur les bancs du groupe LT.
Lorsqu'un président de région est désigné par seulement 15 % des électeurs inscrits, nous pouvons bien parler d'instabilité. François Hollande, avec son humour, disait : « Ce qu'il y a de bien dans les institutions de la V
M. Jean Lassalle applaudit.
J'applique d'ailleurs ce principe à moi-même : j'ai été élu dans la 7
Revenons à la question essentielle : celle de la souveraineté du « corps électoral » pour reprendre cette magnifique expression. Un corps doit s'exprimer dans son entité, sans jamais être amputé.
M. Jean Lassalle applaudit.
Voter individuellement n'a pas de sens : l'intérêt du vote est que tout le monde s'exprime. Or ce n'est plus le cas. Que devons-nous faire ? Il faut donner des droits nouveaux : la prise en considération du vote blanc permettrait aux citoyens qui ne se reconnaissent pas dans l'offre politique – au second tour, voire dès le premier tour – d'être entendus. Ils veulent d'ailleurs être entendus pour dire précisément cela : « Je ne me reconnais pas dans l'offre politique. » En leur accordant des droits nouveaux, nous leur donnons une nouvelle motivation de voter.
Enfin, vous évoquiez les conséquences d'un tel dispositif s'il était appliqué lors du second tour. C'est intéressant ! Si celui qui sera amené à concentrer tous les pouvoirs d'un président sous la V
Nous devons inlassablement donner des droits qui permettent à nos concitoyens de se faire entendre. C'est un enjeu fondamental. Nous ne durerons pas longtemps dans le cadre des institutions actuelles si nous n'engageons pas une réforme significative, et si nous continuons à tourner autour de cette question. Je suis favorable à la prise en compte du vote blanc et au vote obligatoire : les deux vont de pair. On ne peut instaurer le vote obligatoire que si on permet aux citoyens de s'exprimer à tout moment, même quand les circonstances ne présentent pas des candidats qui les satisfont. Ce seraient des avancées fondamentales.
Parmi vos arguments contre la proposition de loi de nos collègues, madame la ministre déléguée, vous avez évoqué la question du référendum sous la V
Il aurait donc fallu voter la présente proposition de loi, qui est véritablement passionnante : elle bouleverserait notre système électoral, mais redonnerait la parole au peuple. Il faut toujours redonner la parole au peuple, sans jamais avoir peur de lui, ni considérer que lorsqu'il ne vote pas, on peut continuer à agir. Interrogeons-nous pour être à la hauteur de cette grave préoccupation. Si nous ne le faisons pas, la tentative autoritaire pourrait l'emporter – et alors, ce sera tout autre chose.
Applaudissements sur les bancs des groupes FI et LT.
En application du quatrième alinéa de l'article 50 du règlement, qui prévoit que la dernière séance de la journée doit être levée à minuit, je vais lever la séance.
Prochaine séance, mardi 8 février 2022, à quinze heures :
Questions au Gouvernement ;
Discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale ;
Lecture définitive de la proposition de loi visant à réformer l'adoption ;
Discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi en faveur de l'activité professionnelle indépendante ;
Discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, de la proposition de loi visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte ;
Discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, de la proposition de loi organique visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d'alerte.
La séance est levée.
La séance est levée à minuit.
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra