Laissez-moi d'abord rappeler les faits. M. Julian Assange, qui est un ressortissant australien, s'est réfugié pendant sept ans au sein de l'ambassade de l'Équateur à Londres, jusqu'en avril 2019, date à laquelle il a été remis aux autorités britanniques. Les États-Unis ont alors lancé une procédure d'extradition en mai 2019, dont l'examen par les autorités britanniques a commencé en février 2020.
La justice britannique s'est prononcée en première instance, le 4 janvier 2021, contre la demande d'extradition formulée par les États-Unis, en prenant en considération les risques que celle-ci ferait peser sur la santé mentale de M. Assange. Cette décision a fait l'objet d'un appel par l'autorité de poursuite britannique pour le compte des États-Unis. Dans une décision du 10 décembre 2021, la Haute Cour de justice britannique a estimé que les garanties données par les autorités américaines en matière de conditions de détention étaient suffisantes pour autoriser l'extradition de M. Assange vers les États-Unis. Le 24 janvier 2022, la Haute Cour de justice britannique a autorisé M. Assange à faire appel de cette décision devant la Cour suprême du Royaume-Uni.
Vous le voyez, cette situation juridique concerne au premier chef les autorités judiciaires du Royaume-Uni. Nous considérons que le Royaume-Uni est un État de droit et nous faisons confiance à sa justice.
Or la proposition de résolution qui vous est soumise prévoit l'éventualité d'une demande d'asile politique en France de M. Assange. Avant toute chose, permettez-moi de vous rappeler le cadre juridique d'une telle demande : en application du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il appartient exclusivement à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sous le contrôle juridictionnel de la Cour nationale du droit d'asile, de se prononcer en matière d'éligibilité à la protection internationale et de reconnaître la qualité de réfugié à une personne qui invoque la crainte de persécutions.
Selon la loi, l'OFPRA n'est compétent pour connaître d'une demande d'asile qu'autant qu'elle a préalablement été enregistrée par l'autorité administrative compétente : il ne traite donc que les demandes déposées sur le sol français et ne peut être saisi depuis l'étranger. Pour demander asile en France, un ressortissant étranger qui se trouve en dehors de notre territoire doit solliciter auprès des autorités consulaires françaises un visa dont la délivrance relève in fine du ministère de l'intérieur. En 2015, M. Assange avait exprimé par voie de presse son intention de demander asile en France ; cependant, à ce jour, le Gouvernement n'a eu connaissance, de sa part, ni d'une telle demande formelle, ni d'une demande de visa – puisqu'il réside à l'étranger – aux fins de demander l'asile.
Comme vous le voyez, cette question n'est pas nouvelle. Interrogées au sujet de leur décision au cas où M. Assange demanderait effectivement l'asile politique, les autorités françaises avaient alors estimé qu'il n'y aurait pas lieu de répondre favorablement à cette demande, compte tenu d'éléments liés à la situation de fait comme à la situation juridique de l'intéressé : or il n'apparaît pas que ces éléments aient évolué depuis. Toutefois, la situation de droit et de fait de M. Assange ne remet aucunement en cause notre engagement constant en faveur de la liberté d'expression et de la protection des lanceurs d'alerte.
D'une part, en effet, la loi française consacre la liberté d'expression comme l'un des piliers de la démocratie. Elle n'est pas absolue : le corpus juridique qui l'encadre depuis la loi du 29 juillet 1881 a progressivement été étoffé par l'adjonction de règles concernant le respect de la personne, la protection des mineurs et la répression de l'injure, de la diffamation ou de l'atteinte à la vie privée. Conformément à notre tradition libérale et aux prescriptions de la loi de 1881, les abus de la liberté d'expression ne peuvent être sanctionnés que par le juge judiciaire, gardien des libertés, sans intervention du pouvoir exécutif.
D'autre part, avec la loi Sapin 2 du 9 décembre 2016, la France a fait partie des dix premiers États membres de l'Union européenne à s'être dotés d'un texte protégeant les lanceurs d'alerte – il en résulte ce statut juridique du lanceur d'alerte que vous évoquiez, entouré de conditions protectrices pour les différentes parties prenantes. La proposition de résolution mentionne en outre la dimension européenne de notre action sur ce point : la France a ainsi joué un rôle moteur en vue de faire aboutir les négociations concernant la directive adoptée le 7 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l'Union européenne. Nous avons défendu une approche équilibrée, permettant de préserver un instrument unique au champ d'application large, à même de protéger le plus largement possible les lanceurs d'alerte contre le risque de représailles tout en garantissant un dispositif juridique proportionné aux différents niveaux de gravité. La directive prévoit la possibilité d'un signalement externe, soit directement, soit à l'issue d'un signalement interne resté vain, ainsi qu'une protection, sous certaines réserves, en cas de divulgation au public.
Vous le savez, mesdames et messieurs les députés, Sylvain Waserman – que je remercie – a déposé le 21 juillet 2021 une proposition de loi visant à transposer cette directive et qui, en réalité, va plus loin que les dispositions européennes. Elle remédie à plusieurs limites de la loi Sapin 2, notamment en renforçant l'accessibilité aux dispositifs d'alerte par la suppression de l'obligation de lancer l'alerte en interne avant de les faire connaître à des interlocuteurs externes à l'organisation concernée. Elle étend également la protection des lanceurs d'alerte à ceux qui facilitent leur tâche et qui peuvent être des personnes morales à but non lucratif. Le Gouvernement ayant engagé la procédure accélérée le 25 octobre 2021, le texte a été adopté, après modifications, à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 17 novembre : je me réjouis que les députés et sénateurs qui se sont réunis en commission mixte paritaire le 1er février dernier soient parvenus à un compromis, si bien que le nouveau cadre de protection des lanceurs d'alerte entrera en vigueur dans les tout prochains mois.
Sur ce thème, la France est un bon élève : à ce stade, aucun État membre de l'Union européenne n'a respecté le délai de transposition de deux ans fixé pour la directive. Ainsi que l'évoquait M. Mbaye, nous pourrions poursuivre nos efforts en vue d'inciter nos partenaires européens à la transposer également, améliorant la protection des lanceurs d'alerte en Europe. Je tiens toutefois à rappeler que le cadre juridique de cette protection reste tout à fait distinct de celui de l'asile politique : des lanceurs d'alerte peuvent certes, s'ils remplissent les conditions requises, bénéficier de la protection des demandeurs d'asile ou de la protection subsidiaire, mais ce sont là, je le répète, deux sujets et deux statuts différents.
Enfin, la proposition de résolution fait référence aux travaux du Conseil de l'Europe, où ont été négociés plusieurs instruments visant à instaurer des normes en matière de signalement et en matière de protection des lanceurs d'alerte. La Convention civile sur la corruption et la Convention pénale sur la corruption, adoptées en 1999, incitent notamment les États parties, dont la France, à prendre des mesures de protection des personnes qui divulguent des informations dans l'intérêt général. En 2014, le comité des ministres du Conseil de l'Europe a adopté une recommandation traitant spécifiquement de la protection des lanceurs d'alerte.
Faut-il, comme vous le souhaitez et comme le recommande l'APCE, un instrument général et juridiquement contraignant relatif aux lanceurs d'alerte ? Le comité des ministres a clairement exprimé sa position à cet égard le 29 avril 2020 : « La négociation d'un instrument contraignant, telle une convention, représenterait un processus long et au résultat incertain compte tenu de la complexité du sujet et de la diversité des solutions adoptées par les États membres pour protéger les lanceurs d'alerte. » Il estime plus opportun à ce stade d'encourager les États à appliquer pleinement les recommandations existantes, au besoin avec l'assistance technique des comités et organes compétents du Conseil de l'Europe.
Pour l'ensemble des raisons que je viens d'évoquer, vous comprendrez…