Il nous est donc proposé un système où le choix d'une petite minorité bloquante d'électeurs pourrait mettre en péril l'expression de la grande majorité des votants.
Pour compléter l'analyse concernant l'instabilité que cette disposition introduirait dans l'élection du Président de la République, tenons compte des enseignements tirés des scrutins passés. En 2017, ce sont 3,21499 millions de bulletins blancs qui ont été recensés. Si la disposition aujourd'hui proposée avait été en vigueur, le score du président élu au second tour aurait été de 60 %, au lieu de 66 %. Alors que les bulletins blancs n'étaient pas encore décomptés à part, en 2012 les bulletins blancs et nuls ont représenté 2,154956 millions de voix. Le président élu en 2012 n'aurait alors obtenu que 49 % des suffrages au lieu de 52 %. Le Conseil constitutionnel aurait dû procéder à l'invalidation du scrutin malgré les plus de 18 millions de voix réunies en 2012 et les plus de 16 millions de voix portées sur le second candidat.
C'est sans compter, mesdames et messieurs, sur l'effet d'entraînement qu'aurait cette disposition introduite dans les règles de l'élection du Président de la République. Des demandes émergeraient rapidement pour que les nouvelles modalités de prise en compte du vote blanc soient étendues à toutes les autres élections de notre système démocratique. La prise en compte dans une élection au scrutin de liste des bulletins blancs en tant que suffrages exprimés implique des évolutions notables et contestables.
En premier lieu, la prise en compte du vote blanc augmente mécaniquement le nombre de suffrages exprimés. Par conséquent le pourcentage de suffrages recueillis diminue pour chaque liste, quand bien même le nombre de suffrages qu'elles obtiennent en valeur absolue resterait constant – c'est mathématique. L'effet obtenu serait donc contraire à l'effet escompté, puisqu'une telle évolution pénaliserait les formations politiques modestes qui atteindraient plus difficilement les seuils de pourcentage fixés par le code électoral pour la répartition des sièges, l'accès à un éventuel second tour et même la fusion des listes.
Il en va de même pour les seuils qui permettent d'accéder au remboursement des frais de campagne. Compter le vote blanc dans les suffrages exprimés sans modifier les seuils électoraux porterait atteinte à l'exigence constitutionnelle de participation équitable des partis et des groupements politiques à la vie politique et de garantie de l'expression pluraliste des opinions, consacrée par l'article 4 de la Constitution.
Par ailleurs, cette évolution présenterait le risque plus global de multiplier les seconds tours, tout en rendant plus difficile l'obtention de la majorité absolue dès le premier tour. Il faudrait alors évaluer très finement l'impact du vote blanc sur la répartition des sièges, la possibilité ou non d'attribuer au vote blanc des sièges qui demeureraient vacants. Dès lors, pour les scrutins proportionnels, deux hypothèses seraient envisageables : soit la reconnaissance du vote blanc pourrait être sans effet sur la répartition des sièges, ce qui viderait de son sens sa prise en compte, soit les votes blancs seraient attribués à des sièges qui demeureraient donc vacants pendant toute la durée du mandat : on frôlerait alors l'absurde.
Pour les scrutins majoritaires, où la loi impose la majorité absolue de suffrages exprimés pour être élu dès le premier tour, l'intégration des votes blancs rendrait plus difficile l'élection dès le premier tour, comme je l'évoquais précédemment.
Dans le cas spécifique des référendums, dès lors que les bulletins blancs seraient assimilés à des suffrages exprimés, le vote blanc deviendrait-il une troisième option, en plus des bulletins « oui »et « non » ? Dans cette hypothèse, les règles d'adoption des dispositions soumises à référendum devraient être elles aussi très largement modifiées dans la loi, pour envisager en première hypothèse l'adoption de la disposition soumise à référendum, à condition que le oui l'emporte à la majorité absolue. Cela reviendrait à assimiler les votes blancs à des votes « non » et cette option pourrait donner lieu à des manipulations kafkaïennes. J'illustrerai mon propos d'un exemple. Si la question posée est : « Êtes-vous favorable au projet consistant à réduire à cinq ans le mandat présidentiel ? », le vote blanc sera assimilé au non et donc au vote en faveur du maintien du septennat, alors que si la question est : « Êtes-vous favorable au maintien du septennat ? », le vote blanc est assimilé à un vote favorable au quinquennat.
La deuxième hypothèse concernant les référendums serait de modifier la règle d'adoption des dispositions soumises à référendum, de manière que l'adoption de la disposition soumise à référendum le soit à la condition que le oui l'emporte à la majorité relative. Cette option poserait alors la question des conséquences à tirer d'une majorité relative de votes blancs par rapport au vote oui et au vote non.
Vous le constatez, mesdames et messieurs les députés, la prise en compte du vote blanc nous obligerait à modifier substantiellement le droit électoral et les effets de telles modifications sont considérables. L'examen dans cette assemblée du texte qui devait devenir la loi du 21 février 2014 visant à reconnaître le vote blanc avait déjà permis de pointer les obstacles insurmontables qui naîtraient de la prise en compte des bulletins blancs dans les suffrages exprimés, qu'il s'agisse d'élections au scrutin uninominal majoritaire ou au scrutin de liste proportionnelle, ou de référendums.
Toutefois, et cela a bien été noté lors des débats de 2014, abstentions et votes blancs ne peuvent pas être mis sur le même plan, car en déposant un bulletin dans l'urne, même un bulletin blanc, le citoyen participe à l'élection. Le vote blanc doit donc alors être considéré différemment. C'est ce qui a conduit le Parlement à faire en sorte que les votes blancs soient décomptés et distingués des votes nuls.
La loi de 2014 est allée plus loin en élargissant la définition du vote blanc : alors qu'il était auparavant limité au cas de l'enveloppe contenant une feuille de papier blanc vierge, reconnue comme telle au moment du dépouillement, c'est-à-dire exempte de tout signe et de toute annotation, le vote blanc est, à compter de ladite loi, étendu à l'enveloppe réglementaire trouvée vide, ce qui donne à l'électeur la possibilité de décider de son vote blanc dans le secret de l'isoloir, même sans avoir pensé au préalable à apporter sa feuille de papier blanc vierge.
Comme l'explique le rapport d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention, que je souhaite à nouveau saluer pour la qualité de ses propositions et des analyses effectuées : « Le vote blanc est un non-choix : il ne permet la désignation d'aucun candidat, ce qui est pourtant la fonction de l'élection. »