Intervention de Jean-Félix Acquaviva

Séance en hémicycle du vendredi 4 février 2022 à 21h30
Reconnaissance du vote blanc — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Félix Acquaviva, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Les années d'élections présidentielle et législatives, comme cette année 2022, sont toujours des moments importants de la vie politique d'un pays. Aussi est-il heureux que nous ayons aujourd'hui l'occasion de débattre d'un sujet aussi crucial et déterminant que la crise démocratique et les moyens qui sont en notre possession pour y répondre. J'ai la conviction que nous touchons ici au cœur de notre rôle de parlementaires. En effet, nous le savons tous dans cet hémicycle, nos démocraties représentatives traversent de sérieuses turbulences. L'augmentation constante du taux d'abstention en constitue un signal alarmant, qui révèle la désaffection croissante des citoyens à l'égard des élus. Elle doit nous interroger et nous conduire à une réflexion collective sur le fonctionnement de la démocratie en général et du suffrage universel en particulier.

La proposition de loi constitutionnelle soumise à notre examen a été déposée par notre collègue Jean Lassalle, que je salue. Son contenu découle d'une croyance forte, celle qu'une meilleure prise en compte du vote blanc lors de l'élection présidentielle constituerait un premier pas dans le sens d'une réconciliation des Français avec la démocratie.

En droit électoral, le vote blanc a longtemps été rendu invisible. Le Conseil d'État a précisé dès 1806 que les bulletins blancs devaient être retranchés des votes émis et assimilés aux votes nuls. Ce double principe de l'exclusion des votes blancs des suffrages exprimés et de leur assimilation aux votes nuls a perduré jusqu'à une loi du 21 février 2014. Il s'inscrivait dans une tradition historique, celle d'une conception utilitariste du droit de vote. Dans ce cadre, le suffrage a pour unique finalité d'arrêter une désignation en cas d'élection ou une décision en cas de référendum. Dans cette optique, la prise en compte du vote blanc est perçue comme dangereuse.

Une première rupture avec cette tradition historique est apparue, comme je l'indiquais, avec la loi du 21 février 2014 visant à reconnaître le vote blanc aux élections, qui a eu pour objet de le distinguer du vote nul. Désormais, les bulletins blancs sont décomptés séparément et annexés aux procès-verbaux des élections. Cette évolution législative a permis d'atteindre un premier degré de reconnaissance juridique du vote blanc qui est ainsi mesuré, et dont la visibilité est ainsi accrue. Nous savons désormais, par exemple, que, lors du second tour de l'élection présidentielle de 2017, plus de 3 millions d'électeurs ont fait le choix d'un bulletin blanc, soit 6,4 % des inscrits et 8,5 % des votants.

Toutefois, l'avancée permise par la loi de 2014 est avant tout symbolique. Le vote blanc est en effet mieux reconnu mais il reste sans incidence sur le scrutin. La présente proposition de loi constitutionnelle suggère en conséquence d'aller plus loin. En rupture avec la conception strictement utilitariste du droit de vote, elle revient à affirmer que le suffrage universel peut et doit permettre aux citoyens d'exprimer leurs opinions, fussent-elles contestataires.

L'article 1er a ainsi pour objet d'intégrer les votes blancs dans les suffrages exprimés lors de l'élection présidentielle. Il s'agit d'une avancée importante. Cette question est en effet un serpent de mer de notre vie politique. Au sein de notre assemblée, elle a fait l'objet de trente-cinq propositions de loi déposées depuis 1993. Elle figurait également dans le programme de sept des onze candidats à l'élection présidentielle de 2017. Enfin et surtout, elle bénéficie d'une adhésion très forte des Français : en 2017, ils étaient 86 % à se dire favorables à ce que le vote blanc soit comptabilisé dans les suffrages exprimés lors de l'élection présidentielle, quitte à ce que cela conduise à l'invalidation de l'élection au cas où aucun candidat ne parviendrait à obtenir la majorité absolue des suffrages exprimés.

En plus de répondre à la volonté des Français, l'évolution proposée par la présente proposition de loi constitutionnelle permettra de lutter contre l'abstention. Au premier tour de l'élection présidentielle, celle-ci représentait 16,2 % des inscrits en 2007, 20,5 % en 2012 et 22,2 % en 2017. Au second tour, elle s'élevait à 16 % des inscrits en 2007, 19,7 % en 2012 et 25,4 % en 2017. Ces chiffres doivent nous alerter. Reconnaître que le vote blanc a une véritable signification politique et lui donner le pouvoir de changer le cours de l'élection constitue une première étape pour réconcilier les citoyens avec les urnes. En 2017, 78 % des abstentionnistes déclaraient qu'ils auraient voté blanc si cette option avait été officiellement reconnue.

L'intégration des bulletins blancs dans les suffrages exprimés emporte naturellement des conséquences sur le mode de scrutin présidentiel. L'article 2 de la proposition de loi constitutionnelle anticipe la situation dans laquelle aucun candidat n'obtiendrait la majorité absolue des suffrages exprimés au second tour. Il met en place un dispositif permettant d'éviter tout blocage institutionnel.

Le dispositif initial de la proposition de loi prévoyait que le Conseil constitutionnel invaliderait l'élection si aucun candidat n'obtenait la majorité absolue des suffrages exprimés et qu'il était procédé à un second scrutin. Par un amendement que je soutiens, notre collègue Jean Lassalle propose de préciser que, lors de ce second scrutin, le candidat ayant recueilli le plus grand nombre de suffrages au second tour est élu. Le dispositif ainsi amendé permettrait un juste équilibre entre, d'une part, la nécessité démocratique de donner à ceux qui souhaitent manifester leur refus de faire un choix parmi l'offre politique une incidence sur le scrutin, et, d'autre part, l'impératif de stabilité institutionnelle en limitant à deux le nombre maximum de scrutins.

Tel est donc le sens de cette proposition de loi constitutionnelle, circonscrite par son objet mais profondément inspirée par la vision qu'elle porte de notre démocratie et du suffrage universel.

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