Je vais m'efforcer d'être bref, mais vos questions sont si larges, complètes et pertinentes qu'il n'est pas simple d'être laconique.
Je commencerai par la question européenne. Oui, notre objectif est de transformer, dans les cinq années qui viennent, l'union monétaire en union économique. C'est un objectif historique. Jusqu'à présent, nous avons été incapables de progresser dans la voie de cette transformation. Or, j'estime que nous bénéficions d'une fenêtre de tir de quelques mois qui doit nous permettre de lancer les travaux nécessaires pour parvenir à cet objectif. La méthode consiste à travailler main dans la main avec l'Allemagne. Du reste, je le rappelle, nous avons d'ores et déjà créé, avec le ministre des finances allemand, M. Wolfgang Schäuble, un groupe de travail consacré à cette nouvelle étape de l'intégration de la zone euro, groupe de travail que les Allemands avaient toujours refusé jusqu'à présent. Nous avons ainsi un cadre ; cela n'a l'air de rien mais c'est important. Nous associerons ensuite l'Espagne et l'Italie à nos travaux. Nous souhaitons présenter nos premières grandes orientations lors du Conseil européen de décembre prochain, afin que les chefs d'État aient un texte sur lequel travailler.
Quelles sont ces orientations ? La première, c'est l'union bancaire, que nous pouvons achever rapidement.
La deuxième, c'est la convergence fiscale. Nous estimons pouvoir nous accorder avec l'Allemagne, d'ici à 2018, sur une convergence concernant l'impôt sur les sociétés, d'abord sur ses bases, puis sur ses taux. Ensuite, il nous faudra étendre cet accord aux autres membres de la zone euro. Ne nous voilons pas la face : ce ne sera pas simple. De fait, certains de ces États ont fait du dumping fiscal le fondement même de leur modèle économique. Je pense notamment à nos amis Irlandais, qui attirent Google, Amazon ou Facebook en pratiquant un taux d'IS de 13 % alors qu'il est encore de plus de 30 % en France. Le débat est donc forcément complexe, car les intérêts économiques en jeu sont très lourds.
La troisième orientation, c'est un budget de la zone euro doté d'une capacité d'investissement, car c'est aussi en investissant que nous pourrons créer des emplois.
La quatrième, c'est la création d'un fonds monétaire européen. Il est en effet difficile d'accepter que le Fonds monétaire international (FMI) intervienne dans la zone euro, comme il le fait actuellement. Il n'est tout de même pas très glorieux que les États européens soient incapables de s'occuper eux-mêmes de la dette grecque. Un fonds monétaire européen devra pouvoir gérer les éventuelles difficultés de ce type.
Enfin, à terme – car cela n'a de sens que si ces réformes sont accomplies –, un ministre de la zone euro sera chargé de piloter l'ensemble.
En ce qui concerne la SNCF, dont le niveau d'endettement est extraordinairement élevé, nous sommes en train d'étudier les différentes solutions possibles. Dans le nouvel environnement concurrentiel, une reprise totale ou partielle de la dette de SNCF Réseau ne peut pas être envisagée sans une transformation profonde de la SNCF qui lui permette d'obtenir de meilleures performances économiques. Nous allons donc y travailler, et nous vous présenterons de premières orientations le plus rapidement possible.
S'agissant de Google, Amazon et Facebook, c'est vrai, nous n'avons pas obtenu gain de cause. Mais le ministre de l'action et des comptes publics a fait appel du jugement et, croyez-moi, je ne lâcherai pas le morceau. Il est en effet hors de question que les géants du numérique puissent utiliser leurs clients français, allemands ou italiens tout en payant des impôts absolument dérisoires. En fait, notre système fiscal n'est pas adapté, et ils profitent de ses failles. Je suis donc déterminé à obtenir sa révision – et celle du système fiscal européen, sans quoi cette révision serait vaine – afin que ces grandes entreprises, qui sont par ailleurs les bienvenues en Europe, acquittent les impôts qu'elles doivent payer en fonction des profits qu'elles tirent de leur utilisation des consommateurs européens. Une taxation du chiffre d'affaires numérique, par exemple, me semble une orientation intéressante, et j'espère que nous parviendrons à la mettre en oeuvre le plus vite possible dans le cadre du dispositif européen d'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS). À l'échelle de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), nous travaillons sur la notion d'établissement stable numérique, qui peut également être extraordinairement profitable et efficace. Mais je souhaite que nous accélérions ; ces travaux ont duré trop longtemps. Encore une fois, ces entreprises sont les bienvenues, mais elles doivent payer au Trésor public les impôts dont elles sont redevables. Je ne lâcherai pas le morceau. C'est une question de justice et d'efficacité économique ; il en va de la défense de nos intérêts économiques.
Sur l'agriculture, l'ancien ministre de l'agriculture que je suis est intarissable. Je ne me lancerai donc pas sur le sujet, compte tenu de l'heure tardive. Mais je sais qu'il y a beaucoup d'exploitants agricoles parmi vous, et je tiens à leur rendre hommage. Certes, nous avons besoin de filières industrielles fortes, mais nous devons faire, pour les paysans français, beaucoup plus – et j'y prends toute ma part – que ce que nous avons fait jusqu'à présent.
M. Julien Dive m'a interrogé sur la convergence des fiscalités du diesel et de l'essence. Honnêtement, personne ne peut comprendre que le diesel, qui rejette des particules fines, soit moins taxé que l'essence, même si celle-ci rejette d'autres éléments nocifs pour la santé. Cela n'a aucun sens ! Le tout est de parvenir à cette convergence de manière progressive et supportable. C'est pourquoi nous n'alignerons pas la fiscalité du diesel sur celle de l'essence en un an. En outre, nous maintiendrons les exonérations existantes pour les transporteurs et les agriculteurs et nous créerons un chèque énergie au profit des ménages modestes, pour soutenir ceux qui sont le plus touchés par cette mesure et qui ont le moins de moyens financiers. Enfin, j'ai évoqué le fonds de dix milliards d'euros consacré à l'innovation de rupture. Je suis tout à fait disposé à ce que l'État participe au financement d'innovations telles que les travaux en cours sur la pile lithium-ion.
Pour conclure, je reviens sur la fiscalité du diesel. Certes, deux tiers des véhicules neufs actuellement vendus roulent au diesel, mais vous connaissez trop bien le sujet, Monsieur Julien Dive, pour ne pas savoir que ces ventes baissent fortement. J'ajoute que, lorsque vous allez chez le concessionnaire Peugeot de votre circonscription – à Évreux, au hasard –, il est le premier à vous dire que, si vous achetez une 508 en version diesel, vous n'aurez amorti votre véhicule que lorsque vous aurez fait 200 000 kilomètres. À moins que vous ne fassiez plus de 60 000 ou 70 000 kilomètres par an, il vous recommandera donc chaudement de choisir un véhicule à essence.