Nous nous retrouvons ce matin pour l'examen en nouvelle lecture de la proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire. Ce texte nous était revenu du Sénat dans une rédaction sensiblement différente de celle que nous avions adoptée le 1er décembre dernier. Sur deux points qui me semblent fondamentaux, nous avons, en commission, rétabli le texte issu de la première lecture.
À l'article 1er , tout d'abord, le Sénat avait souhaité restreindre le champ d'application du droit à une scolarité sans harcèlement aux seuls rapports entre pairs. Pourtant, l'objet de l'article du code de l'éducation n'est pas de réprimer des comportements, il est de conférer un droit à l'ensemble des élèves et des étudiants de ce pays : celui de ne pas subir de faits de harcèlement au cours de leur formation. C'est pourquoi la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture ne vise aucune catégorie particulière en matière d'auteurs ; elle ne saurait par conséquent s'analyser comme une manifestation de défiance à l'égard de qui que ce soit et surtout pas des enseignants, qui exercent, dans l'immense majorité des cas, leur métier avec passion et bienveillance. C'est pourquoi la commission, réunie lundi dernier, a souhaité rétablir le texte issu de notre assemblée.
Par ailleurs, à l'article 4, le Sénat a substitué au délit de harcèlement scolaire que nous avions créé une circonstance aggravante du délit de harcèlement moral, tout en restreignant, là aussi, la qualification aux seuls rapports entre pairs. Ces modifications comportent plusieurs inconvénients au regard des objectifs poursuivis et de la cohérence de notre droit pénal.
En premier lieu, l'intelligibilité et la clarté de la loi ne s'en trouvent pas améliorées, tant s'en faut. Or, en droit pénal, que celles-ci soient optimales est un impératif constitutionnel et un gage d'efficacité, a fortiori lorsqu'il s'agit de s'adresser à des mineurs. Comment défendre ses droits quand on ne les comprend pas ? Comment percevoir l'interdit quand il est peu lisible ? Nul n'est censé ignorer la loi, certes, mais le dispositif adopté par le Sénat rend ce présupposé impossible à remplir pour des enfants de 10 ou 12 ans. À l'évidence, une circonstance aggravante qui s'ajoute à une infraction déjà très complexe dans sa rédaction ne saurait permettre au droit pénal de remplir sa fonction expressive.
Il me semble que le délit autonome de harcèlement scolaire, tel que nous l'avons défini en première lecture, est plus clair, plus pédagogique, plus expressif en somme, qu'une circonstance aggravante du délit de harcèlement moral dit général, dont le champ d'application excède très largement le milieu scolaire et universitaire. Je crois que nous sommes tous convaincus que l'action pédagogique est le plus sûr moyen de lutter contre le harcèlement scolaire. C'est pourquoi le code pénal, qui est le recueil des interdits fondamentaux d'une société, constitue bien l'un des supports indispensables du message que nous devons transmettre.
Par ailleurs, l'application de cette circonstance aggravante aux seuls élèves renforce les distorsions de répression que j'ai soulignées dans mes différents rapports sur le sujet. En effet, les mêmes actes seront moins réprimés s'ils sont commis par un adulte de l'établissement, ayant donc a priori autorité sur la victime, que par un élève. Une telle différence dans le quantum des peines applicables me paraîtrait difficilement acceptable.
En outre, chose qui peut paraître anecdotique mais qui a son importance, la circonstance aggravante ne permettra pas d'établir des statistiques précises sur le harcèlement scolaire : or nous en avons besoin pour bien quantifier ce phénomène. Il faut savoir qu'aujourd'hui, lorsque vous déposez une plainte pour ce motif dans un commissariat ou dans une gendarmerie, aucune catégorie spécifique n'est prévue, ce qui rend les données peu fiables.
Nous avons également rétabli, dans la rédaction issue de nos travaux, l'article 3 relatif à la formation des personnels, l'article 3 ter donnant une nouvelle mission au réseau des œuvres universitaires, l'article 6 relatif au stage de sensibilisation, ainsi que l'article 7, qui traite des responsabilités des plateformes.
Plusieurs apports du Sénat nous ont toutefois semblé bienvenus et ont donc été conservés dans le texte adopté par la commission. C'est notamment le cas de l'article 3 bis D, relatif au rôle des visites médicales dans l'identification des enfants victimes de harcèlement scolaire, ou encore de l'article 2 bis relatif aux établissements français de l'étranger.
Nous avons également maintenu la demande de rapport de l'article 3 bis E, relative à la prise en charge des frais de consultation et de soins engagés par les victimes de harcèlement scolaire, formulée ici en première lecture par de nombreux collègues. Je n'étais pas favorable à cet ajout, puisqu'il s'agissait de demander une fois de plus un rapport, mais je me dois de respecter sur ce point la volonté sénatoriale partagée par plusieurs collègues sur nos bancs.
Je souhaiterais aussi saluer le travail de Mme Victory et de la majorité s'agissant de l'article 3 quater relatif aux assistants d'éducation (AED), introduit par le Sénat sur la base du texte adopté par l'Assemblée nationale le 20 janvier dernier. Ces personnes pourront désormais accéder à un contrat à durée indéterminée leur permettant de poursuivre leurs missions au-delà de la durée maximale d'exercice de six années actuellement en vigueur. J'ai pu mesurer, au cours de mes travaux sur le harcèlement scolaire, combien ces professionnels étaient des acteurs essentiels de la lutte contre ce fléau. Du fait de leur bonne connaissance des élèves, de leur expérience du milieu scolaire et de leur grande polyvalence, les assistants d'éducation sont particulièrement à même de détecter les situations de harcèlement à un stade précoce.
Je déplore cependant que les dispositions du texte de Mme Victory relatives aux accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) n'aient pas été intégrées à la présente proposition de loi au cours de la navette parlementaire. Professionnels indispensables à la réalisation de l'école inclusive que nous appelons de nos vœux, les AESH sont bien placés pour identifier les situations de harcèlement dont souffrent de nombreux élèves en situation de handicap.
En somme, mes chers collègues, le texte soumis à votre examen repose sur un travail collectif de longue haleine, qui a permis d'atteindre un équilibre satisfaisant entre les trois piliers que constituent la prévention, l'accompagnement et la protection.
La prévention est la base de la lutte contre le harcèlement scolaire. Sans prévention, nous ne parviendrons pas à juguler ce phénomène. Sans prévention, nous ne parviendrons pas à faire émerger une école de la bienveillance et de la confiance. C'est tout l'enjeu des articles 1er et 3 de cette proposition de loi.
Cette lutte passe aussi par l'accompagnement. Nous allons donner des droits nouveaux aux élèves, au premier rang desquels le droit à suivre, dans le cadre d'une école de la confiance et de la bienveillance, une scolarité sans harcèlement. Cela suppose de les accompagner. C'est le sens de l'article 3 qui donne de nouveaux moyens à diverses catégories de professionnels, notamment pour traiter le plus rapidement possible les cas de harcèlement scolaire.
Pour ériger le dernier pilier de cette proposition de loi, la protection, nous procédons de la même manière que dans les années 2000 où a été construite la législation permettant de lutter contre le harcèlement moral au travail. Nous créons un droit dans le code de l'éducation et nous posons un interdit dans le code pénal.
Ces trois piliers que sont la prévention, l'accompagnement et la protection ne nous permettront pas de résoudre tous les problèmes – nous sommes bien conscients du fait que des politiques publiques fortes sont nécessaires –, toutefois, avec ce texte, nous comblons des lacunes juridiques, ce qui était indispensable.
Nous arrivons au terme d'un processus de longue haleine, que l'on pourrait qualifier d'exemplaire de ce que le travail parlementaire collectif permet, en mêlant rapport au Gouvernement, proposition de loi et riche débat parlementaire. Un large consensus en faveur de ces dispositions s'était manifesté lors de la première lecture. Je souhaite qu'il en aille de même aujourd'hui.