Nous voici à nouveau réunis pour examiner en nouvelle lecture une proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire.
Elles s'appelaient Marion, Chanel ou Dinah : les prénoms de ces jeunes, tragiquement victimes de harcèlement, ont été cités plusieurs fois sur ces bancs. Mais comme trop souvent ici, les noms, les situations auxquelles on se réfère et les chiffres pourtant éloquents perdent de leur chair.
J'ai le sentiment qu'on légifère non pour se donner les moyens de faire cesser le harcèlement scolaire, mais pour se donner bonne conscience, en se satisfaisant d'opérations de communication quand les drames qu'il occasionne font irruption dans le champ médiatique.
C'est bien de drames qu'il s'agit et, de la brimade quotidienne aux sévices physiques, du racket à la diffusion d'image sur les réseaux, le harcèlement, protéiforme dans ses expressions, est un véritable fléau.
Si le phénomène est difficile à appréhender, force est de constater qu'il est massif : d'après la direction de l'évaluation des politiques publiques (DEPP), ce sont près de 700 000 de nos élèves qui chaque année sont victimes de harcèlement en milieu scolaire ; selon l'UNICEF, le phénomène concernerait 22 % des élèves. Les données manquent et des enquêtes devraient être réalisées tous les ans ; il faudrait même en faire, au sein du programme 230 Vie de l'élève du budget de l'enseignement scolaire, un indicateur de son premier objectif de performance – je regrette que M. Blanquer ne soit pas présent.
Mais hélas, trois fois hélas, cette proposition évoquée dans le rapport du Sénat n'est pas reprise, pas plus que la quasi-totalité des modifications qu'il avait apportées au texte, le faisant évoluer positivement.
Le Sénat avait ainsi restreint la qualification même du harcèlement aux seuls pairs, excluant adultes et personnels encadrants du dispositif : le harcèlement d'un adulte sur un enfant ressortit en effet à autre chose qu'à du harcèlement scolaire.
En plus de cette mesure de sagesse, nos collègues sénateurs ont également supprimé le nouveau délit de harcèlement, qui constituait une véritable surenchère sécuritaire et démagogique.
Sécuritaire d'abord, car en confondant sanction pénale et sanction éducative, on délaisse prévention, sensibilisation et identification des faits de harcèlement. D'ailleurs, comme le soulignait l'excellent rapport de notre collègue sénatrice Colette Mélot, notre arsenal juridique est suffisant, mais encore faut-il que les textes soient connus et appliqués, ce qui nécessite des moyens humains et financiers.
Démagogique ensuite, car malgré la dureté des peines qu'on voudrait imposer, dont l'effet dissuasif reste à prouver, les harceleurs sont pour l'essentiel de jeunes mineurs échappant à la justice ordinaire des adultes. Cela dit, je ne nie pas qu'il faille sévir contre les harceleurs. Nous ne sommes pas naïfs et nous savons que nos enfants ont besoin de repères stables et de sanctions variées, comme le fait remarquer le sociologue Benjamin Moignard.
Mais même l'association HUGO ! – l'une des rares à soutenir ce nouveau délit – confirme qu'il ne s'agit pas de « tirer à boulets rouges sur les harceleurs, qui ont souvent un vécu de mal-être ou de violences intrafamiliales ».