Il y a quelques semaines, j'étais venue dire les noms d'enfants et d'adolescents ayant mis fin à leur vie, mettre des visages sur ce ratio effroyable : un élève sur dix – sûrement beaucoup plus, même – est harcelé au cours de sa scolarité. J'étais venue vous parler de Hugo, de Marion, de Dinah, de Thybault, de Marie et de bien d'autres encore – et je parlerai d'eux à nouveau. Derrière ces noms se cachent des histoires singulières mais toujours une enfance, une scolarité, une estime de soi, une vie – des vies – brisées par le harcèlement scolaire. Il se cache surtout une réalité trop longtemps restée taboue.
Dans cet hémicycle, nous nous étions mis à hauteur d'enfants, harcelés et harceleurs, pour comprendre les ressorts complexes de ce fléau et pour y trouver des réponses adaptées et rapidement opérantes. À l'issue des débats, nous nous étions félicités des avancées permises par la proposition de loi défendue par notre collègue Erwan Balanant – que je remercie –, tant en matière de prévention que d'amélioration du traitement judiciaire des faits de harcèlement scolaire.
Nous étions alors loin d'imaginer qu'elle serait largement remise en question par les sénateurs, qui transformeraient un texte ambitieux et vecteur d'espoir en une compilation de demi-mesures. Notre devoir de législateurs, mais aussi de parents, est de continuer à essayer de mieux protéger les enfants. Cela peut nécessiter une évolution du droit, pour que la société dans son ensemble puisse agir fermement devant ces faits.
À ceux qui pensent que ce texte vient uniquement renforcer l'arsenal pénal de la lutte contre le harcèlement scolaire, je réponds qu'il appelle avant tout à renforcer le travail d'accompagnement des enfants harcelés et de sensibilisation des harceleurs et des témoins, dans toutes les écoles de France. Je réponds que ce texte entend inscrire, au sein du projet d'établissement, une attention réaffirmée à la prévention et à la détection des faits constitutifs de harcèlement.
Oui, le harcèlement scolaire est désormais au cœur des préoccupations des élèves, de leurs parents, des enseignants, des acteurs associatifs et des pouvoirs publics, et il est fort heureusement possible de traiter ce sujet en dehors des tribunaux. Nous continuerons bien évidemment d'encourager cet élan civique de responsabilité qui dit non au harcèlement scolaire. Je remercie aussi, et surtout, toutes les associations qui œuvrent au quotidien auprès de nos enfants pour lutter contre ce phénomène.
Mais ces progrès ne doivent pas nous conduire à ignorer les situations dramatiques car chaque acte d'humiliation, de violence morale ou physique, en est un de trop. Je m'adresse donc à ceux qui souhaitent la suppression du délit autonome de harcèlement scolaire : aurions-nous avancé si le harcèlement scolaire restait encore un fait mal défini, mal compris, et que son caractère répréhensible n'était pas spécifiquement et clairement affirmé ? Que dire aux familles quand, après un aveu collectif d'échec, on conseille finalement à l'enfant épuisé de changer d'établissement pour échapper à ses harceleurs qui, eux, ne sont pas mis devant leur responsabilité et restent impunis ? Que disons-nous aux parents qui vivent le changement d'établissement de leur enfant comme un second revers qui lui est infligé ?