Intervention de Guillaume Chiche

Séance en hémicycle du jeudi 10 février 2022 à 9h00
Combattre le harcèlement scolaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuillaume Chiche :

La proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire a tout d'abord une visée pédagogique importante, tant le fléau du harcèlement scolaire touche de très nombreux enfants et adolescents. Le harcèlement scolaire constitue une agression répétée, délibérée, souvent effectuée en groupe : il n'est pas qu'un conflit entre deux individus : c'est souvent le fait d'un groupe contre un individu.

Chaque année, entre 800 000 et 1 million de jeunes en sont victimes, soit plus de 5 % des élèves. En 2021, une vingtaine d'enfants et d'adolescents sont décédés en raison du harcèlement qu'ils subissaient. En amont de ces drames, ce sont les parcours scolaires et la vie sociale des enfants concernés qui sont brisés avec des conséquences psychologiques indéniables. Il est bien là question du bien-être de nos enfants à l'école.

Le harcèlement scolaire est pris en considération depuis une dizaine d'années. Ce fléau n'est pas nouveau mais il est désormais aggravé par l'usage des réseaux sociaux qui offrent de nouveaux moyens pour harceler en groupe et dans un pseudo-anonymat. Je salue à cet égard le travail de terrain des associations qui œuvrent chaque jour dans les écoles pour réaliser de la prévention, ainsi que l'action des directions académiques qui se sont saisies du sujet à bras-le-corps et développent de manière continue le programme PHARE dans chaque milieu scolaire.

Les dispositions que vous proposez, monsieur le rapporteur, pourraient s'inscrire en complément du programme Sentinelles et référents instauré en 2010 et du programme PHARE que je viens d'évoquer. J'emploie toutefois le conditionnel car, si les enjeux principaux de votre texte sont la prévention des faits, la prise en charge des victimes et la création d'un délit de harcèlement scolaire, force est de constater que les moyens pour y parvenir ne sont pas pleinement déployés : 900 médecins scolaires pour 12 millions d'élèves. Voilà la réalité du constat !

Le manque de moyens, de médecins et d'infirmiers scolaires, d'assistants sociaux a d'ailleurs été évoqué par la Cour des comptes dans son rapport d'avril 2020, qui pointe « une performance très en deçà des objectifs de dépistages obligatoires, [moments clés du parcours de santé de l'élève], due à une organisation défaillante ». Elle ajoute qu'une « réorganisation complète du dispositif, assortie d'une révision des méthodes de travail, s'avère indispensable ». Un tiers des postes de médecins seraient vacants dans l'éducation nationale ; 18 % seulement des visites prévues aux 6 ans de l'enfant ont été réalisées en 2018 contre 26 % en 2013.

Vous proposez à l'article 3 la prise en charge par la médecine scolaire des enfants harcelés. C'est un très bon signal. Mais comment cette prise en charge serait-elle possible sans moyens ? Le Gouvernement a un temps songé à transférer la médecine scolaire aux départements dans le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale que nous venons d'adopter. Cette disposition n'a toutefois pas été retenue.

Dans de nombreux établissements de ma circonscription, l'infirmier n'est présent que deux jours par semaine. Combien de témoignages de victimes de harcèlement ou de parents de victimes font part du fait que les premiers signes physiques ressentis dans les cas de harcèlement sont les maux de ventre ? Or que fait un élève qui a mal au ventre et qui ne veut pas se rendre en classe ou rester dans la cour de récréation ? Il se rend à l'infirmerie. Mais c'est bien là que le bât blesse : il n'y a personne pour l'accueillir, pour identifier les premiers signaux et tirer la sonnette d'alarme.

Les enseignants peuvent être alertés par des résultats scolaires en baisse ; toutefois, seulement 20 % d'entre eux indiquent avoir reçu une formation contre le harcèlement scolaire. C'est pourquoi il est nécessaire de proposer aux personnels de l'éducation nationale des outils afin de prévenir, de détecter et de prendre en charge les victimes de harcèlement. L'article 3 va, à ce titre, dans le bon sens. Je regrette cependant qu'il ne prévoit pas d'accorder également aux parents la possibilité de suivre une formation sur le harcèlement scolaire. Ces derniers se retrouvent souvent seuls et démunis face à la détresse de leur enfant. Ils ignorent s'ils peuvent le changer d'établissement en cours d'année, lui proposer l'instruction à domicile en attendant que la situation s'apaise et ne savent pas vers quel interlocuteur se tourner. Les familles doivent être réellement accompagnées et soutenues.

Enfin, au-delà de la création d'un nouveau délit pour les auteurs de faits de harcèlement, délit qui se contente de réprimer et non de prévenir les souffrances, il me semble que nous aurions dû débattre et renforcer le dispositif juridique contre le cyberharcèlement. Je sais que vous y êtes sensible, monsieur le rapporteur. Ce sujet est essentiel pour la protection de la vie privée de nos enfants, dans la mesure où un jeune sur cinq de 18 à 24 ans déclare avoir été harcelé sur les réseaux sociaux.

La présente proposition de loi devrait imposer la levée de l'anonymat aux plateformes qui devraient être contraintes de faire cesser le harcèlement. Or l'article 7 se contente d'inscrire la lutte contre le harcèlement scolaire parmi les objectifs assignés aux plateformes et aux fournisseurs d'accès.

Bien qu'elle comporte à mes yeux de nombreuses lacunes, je voterai la proposition de loi. Nous ne pouvons rejeter les dispositions supplémentaires qu'elle comporte alors qu'il y va de la santé mentale et physique de nos enfants.

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