Intervention de Brigitte Bourguignon

Séance en hémicycle du jeudi 10 février 2022 à 9h00
Renforcement du droit à l'avortement — Présentation

Brigitte Bourguignon, ministre déléguée chargée de l'autonomie :

Nous poursuivons aujourd'hui les débats sur ce sujet sensible et éminemment important qu'est le renforcement du droit à l'avortement. Les attaques et remises en cause de ce droit n'ont pas cessé dans le monde ces derniers mois, notamment aux États-Unis, mais aussi au sein même de plusieurs pays de l'Union européenne.

Nous fallait-il encore des exemples pour nous rappeler que le droit à l'avortement est loin d'être garanti pour toutes les femmes et que, chèrement acquis il y a tout juste quarante-sept ans, il doit toujours être affirmé, protégé, renforcé ? En outre, la crise sanitaire que nous traversons depuis maintenant deux ans nous impose une plus grande vigilance encore pour que les droits sexuels et reproductifs soient garantis, et pour que le droit inaliénable à l'avortement soit pleinement effectif.

L'examen en nouvelle lecture de la proposition de loi visant à renforcer le droit à l'avortement est l'occasion pour le Gouvernement de réaffirmer son engagement plein et entier à défendre sans relâche le droit des femmes à avorter en toute sécurité, dans le respect de leur choix, éclairé par un accès à des informations fiables et objectives, et au plus près de leur lieu de vie. Le ministère des solidarités et de la santé a ainsi mis en avant la nécessité de renforcer sans cesse l'accès à l'offre d'IVG – interruption volontaire de grossesse – en tout point du territoire, afin de ne laisser aucune femme sans possibilité d'exercer son droit. En la matière, je souhaite vous dire où en sont les engagements pris devant la représentation nationale.

Les délais pour réaliser une IVG médicamenteuse en ville seront prolongés jusqu'à sept semaines de grossesse, et le parcours pourra être réalisé, en fonction du choix et de l'état de santé des femmes, par téléconsultation. Le ministre des solidarités et de la santé, Olivier Véran, s'était engagé à faire entrer ces mesures dérogatoires, prises dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, dans le droit commun : le processus est sur le point d'aboutir. La Haute Autorité de santé (HAS), saisie au mois de septembre 2020, a actualisé ses recommandations en avril dernier sur le parcours d'IVG médicamenteuse, en confirmant la prolongation des délais et le recours à la téléconsultation. Le décret d'application, qui vient d'être examiné par le Conseil d'État, devrait donc pouvoir être publié très rapidement.

Les IVG instrumentales en centre de santé sont désormais possibles, le décret en précisant les conditions ayant été publié en avril dernier. Le cadre de l'expérimentation pour la réalisation des IVG instrumentales par les sages-femmes en établissement de santé a fait l'objet d'une concertation et a été finalisé avec les professionnels médecins et sages-femmes. Le décret d'application, publié le 31 décembre 2021, précise notamment la formation et l'expérience requises de la part des sages-femmes ainsi que l'organisation spécifique exigée des établissements de santé expérimentateurs. Il est accompagné d'un arrêté qui organise l'appel national à candidatures auprès des établissements de santé volontaires. Cette démarche, qui doit conduire à la sélection d'une cinquantaine d'équipes, constitue une étape importante pour poser les bases d'une pratique qui facilitera sans nul doute l'organisation des équipes hospitalières pour répondre aux demandes d'IVG, et apportera aux femmes un nouvel interlocuteur possible dans leur parcours.

Dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2021, le tiers payant intégral obligatoire sur les dépenses prises en charge par l'assurance maladie obligatoire est dorénavant prévu pour toutes les femmes, cela correspond à 100 % des frais liés à l'IVG, dans le cadre de forfaits de prise en charge. À ce tiers payant, s'ajoute la garantie du respect du secret de la prise en charge de ces frais pour toutes les femmes.

Vous avez également défendu à plusieurs reprises, mesdames et messieurs les députés, la nécessité de faire progresser l'information et l'éducation à la vie intime, affective et, globalement, celle de promouvoir plus fortement la santé sexuelle. Je souhaite saluer à cet égard les travaux et l'engagement de votre délégation aux droits des femmes et à l'égalité entre les hommes et les femmes, sous la présidence de Mme Marie-Pierre Rixain. Le Gouvernement partage en effet pleinement ces objectifs. Ainsi, la feuille de route 2021-2024 de déclinaison de la stratégie nationale de santé sexuelle, qui a fait l'objet d'une coconstruction avec l'ensemble des parties prenantes, a été publiée le 1er décembre dernier.

Elle comporte des actions concrètes pour renforcer la promotion, l'information et l'éducation à la santé sexuelle, notamment par la conception et la diffusion d'outils de promotion de la santé sexuelle, accessibles aux publics en situation de handicap ou allophones, et par le renforcement des connaissances en santé sexuelle des jeunes dans le cadre du service national universel (SNU). Elle réaffirme la nécessité d'une offre en santé sexuelle « accessible », « lisible et en proximité des lieux de vie », et comprend une action dédiée au renforcement de l'accès à l'IVG, car nous devons toujours conforter l'exercice effectif de ce droit en tout point du territoire.

Les premières mesures concrètes ont été adoptées dans le cadre de la LFSS pour 2022. Je pense à l'extension de la « consultation longue santé sexuelle » à tous les jeunes jusqu'à 25 ans, pour que la santé sexuelle ne continue pas d'être vue comme une affaire de femmes. Je pense également à l'accès gratuit à la contraception pour les femmes jusqu'à 25 ans, afin de tenir compte des vulnérabilités économiques et sociales des jeunes adultes.

Enfin, je souhaite rappeler la place essentielle des sages-femmes dans nos politiques de prévention et de santé à l'égard des femmes mais aussi des hommes. Qu'il me soit permis à cet effet de souligner les avancées de la loi du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, dite loi Rist, qui prévoit que les sages-femmes peuvent désormais prescrire à leurs patientes et à leurs partenaires le dépistage d'infections sexuellement transmissibles et les traitements de ces infections. Vous le savez, nous avons également signé, en novembre dernier, un protocole d'accord avec la profession, fruit d'un long travail de concertation. Je le répète, le Gouvernement est fier de jouer un rôle essentiel aujourd'hui dans cette reconnaissance tant attendue par les quelque 20 000 personnes que compte cette profession, pour renforcer comme jamais l'attractivité de ce métier et sa place dans nos politiques publiques, tout particulièrement en matière de santé sexuelle et reproductive.

En décembre 2020, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE), que le Gouvernement avait souhaité saisir sur la question de l'allongement du délai légal, qui met en jeu le droit des femmes, leur santé, aussi bien que le rôle des professionnels et l'accès à l'IVG, a rendu son avis. Il rappelle l'importance des mesures de protection des femmes et de prévention des grossesses non désirées, mais également la nécessité de renforcer l'éducation affective à la santé sexuelle et reproductive. Le CCNE précise que, si la réalisation des IVG comporte des risques qui augmentent avec l'âge gestationnel, ils sont néanmoins faibles et diffèrent peu entre douze et quatorze semaines de grossesse. Enfin, le CCNE, en axant sa réflexion sur les principes d'autonomie, de bienfaisance, d'équité et de non-malfaisance à l'égard des femmes, a considéré qu'il n'y avait pas d'objection éthique à allonger le délai d'accès à l'IVG de deux semaines.

Cependant, pour faire progresser concrètement le droit des femmes à disposer de leur corps, il faut résolument poursuivre l'amélioration de leur parcours, pour que les IVG dites tardives soient mieux prises en charge, et sans délai. C'est un droit des femmes, et c'est notre devoir et notre responsabilité à tous de permettre à chacune son plein exercice, selon son choix, sa situation et son lieu de vie. Ces éléments ont été clairement identifiés par le CCNE parmi les obstacles qui conduisent, dans les faits, les femmes à dépasser le terme légal actuel.

Le texte dont nous débattons appelle donc un débat qui touche à l'exercice d'un droit fondamental, et il est essentiel qu'il se poursuive devant la représentation nationale avec le respect, la sérénité et l'humilité qu'il appelle. Je l'ai dit, le Gouvernement défend farouchement le droit des femmes, ce droit humain tout simplement, garanti par notre Constitution. Notre devoir est de le renforcer et d'améliorer sans cesse son effectivité. Cet engagement, le Président de la République l'a réaffirmé avec force devant le Parlement européen, le 19 janvier dernier, en appelant de ses vœux la reconnaissance du droit à l'avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Quant à la question posée par ce texte, elle relève pleinement de la représentation nationale. Le Gouvernement s'en remettra ainsi à votre délibération, tout en créant les conditions pour que vos travaux puissent définitivement aboutir avant la fin de la législature.

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