Après presque un an et demi de débats intenses et nourris, cette proposition de loi revient devant notre assemblée pour une nouvelle lecture, à la suite de son rejet sans examen au Sénat et de l'échec de la commission mixte paritaire.
Débattre de l'avortement au sein de cet hémicycle n'est pas anodin ; cela impose une certaine forme de hauteur de vue mais aussi, et surtout, de la responsabilité : responsabilité à l'égard de ce droit acquis de haute lutte, il y a près de cinquante ans ; responsabilité à l'égard des milliers de femmes – près de deux cent mille – qui y ont recours chaque année dans notre pays.
Si ce droit est désormais bien ancré en France, malgré quelques soubresauts conservateurs, nous constatons qu'il est fragilisé dans de nombreux pays, au sein même de l'Union européenne, ou encore dans certains États américains.
C'est pourquoi il nous faut saisir chaque occasion pour affirmer, protéger, voire renforcer ce droit. C'est d'ailleurs ce qui nous est proposé dans le texte. La mesure phare consiste à allonger de deux semaines le délai légal d'accès à l'IVG, le faisant passer de douze à quatorze semaines. Cet allongement vise à répondre à une problématique bien identifiée : chaque année, entre 3 000 et 5 000 femmes sont contraintes de se rendre à l'étranger pour avoir recours à un avortement, car elles ont dépassé le délai ; on ne peut pas l'accepter.
Si cet allongement pouvait susciter quelques interrogations au début du cheminement législatif du texte, il apparaît qu'aucune objection éthique ou scientifique ne peut s'y opposer. Cette affirmation ne sort pas de nulle part, mais émane du CCNE qui, je le crois, doit faire référence dans ce débat. Félicitons-nous d'ailleurs de disposer d'organes indépendants de cette nature qui permettent d'éclairer la décision politique, quand d'autres pays se réfèrent à toute autre chose que la science sur ces questions.
Toutefois, l'allongement des délais d'accès à l'IVG ne peut être l'alpha et l'oméga de notre politique de santé sexuelle et reproductive. Celle-ci doit être soutenue par deux piliers indispensables : l'accès à l'information partout et pour toutes, et l'accès aux professionnels de santé. Ces deux piliers sont aujourd'hui fragilisés pour des raisons reposant essentiellement sur les inégalités territoriales de santé : accéder à une information claire et lisible sur la législation ou obtenir un rendez-vous rapidement auprès des structures ad hoc peut se révéler extrêmement difficile pour certaines de nos compatriotes.
Il est donc impératif de consolider la diffusion de l'information et son accessibilité, mais aussi tout le pan de notre politique de prévention relative aux grossesses non désirées, et ce dès le plus jeune âge.
En outre, le second pilier – à savoir la possibilité d'accéder à des professionnels de santé appropriés – souffre des conséquences de la désertification médicale. Il s'agit là d'un enjeu qui a fait l'objet de nombreux débats dans cet hémicycle, et nombreuses sont les solutions qui ont été proposées. Notre groupe s'était saisi de cette question dès la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 en faisant adopter une expérimentation permettant aux sages-femmes de pratiquer des IVG instrumentales. La présente proposition de loi consolide et entérine cette initiative qui nous apparaît opportune à plus d'un titre : elle conforte les avancées majeures obtenues ces derniers mois par la profession, et renforce l'offre de soins sur les territoires.
La proposition de loi aborde donc l'ensemble de ces questions, tentant d'y apporter des réponses, au plus près de la réalité du terrain.
Bien sûr, les dispositions contenues dans le texte ne sont pas consensuelles – nous l'avons constaté au cours de ces dix-huit mois de débat. Ces oppositions politiques et sociétales doivent être entendues dans la mesure où elles demeurent respectueuses et argumentées. Néanmoins, le législateur doit, in fine, décider. Il doit le faire en pesant chaque mot et chaque argument, plus que sur n'importe quel autre sujet ; il s'agit là d'un impératif démocratique.
La discussion qui s'engage sera contrastée, il est évident que nous ne parviendrons pas à un consensus sur l'ensemble des bancs. Au sein même des groupes, les positions divergeront. C'est le cas au sein du groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés, qui laissera à chacun de ses membres, selon sa conscience, une liberté totale de vote.