Cela fait plus de cent trente ans que l'hydroélectricité accompagne la France dans son développement économique. Elle a amplement contribué à son essor industriel, profondément modelé la physionomie de ses paysages et participé à l'essor de ses territoires. Avec la houille blanche, nous avons écrit une page de notre histoire énergétique. Cette histoire, je veux le croire, ne s'écrit pas qu'au passé. Elle a également un avenir : la présente proposition de loi en atteste.
D'emblée, au nom du groupe Libertés et territoires, je veux dire que nous souscrivons pleinement à ses objectifs. Ils répondent aux impératifs de souveraineté, d'aménagement des territoires et de transition énergétique, auxquels nous sommes attachés. En prolongeant de dix-huit ans la concession du Rhône, la proposition de loi soutient un modèle économique qui a fait ses preuves. Depuis 1934, année où la Compagnie nationale du Rhône s'est vu confier la gestion du fleuve, celle-ci remplit avec brio ses trois missions, qui sont finalement indissociables : la production d'hydroélectricité, la navigation fluviale et l'irrigation agricole.
Les retombées sont positives dans les régions concernées : la Compagnie s'attache à protéger et à valoriser les territoires, lesquels sont d'ailleurs étroitement associés à la gouvernance du groupe, puisque le capital est détenu pour un tiers par l'État et pour un sixième par les collectivités territoriales. Mais, au-delà des territoires directement concernés, nous bénéficions tous d'un modèle de production énergétique vertueux. La CNR est dotée de quarante-sept ouvrages hydroélectriques, dont vingt centrales, ce qui lui permet d'assurer 25 % de la production hydroélectrique nationale. Elle est aussi très impliquée dans la production d'énergie photovoltaïque, d'énergie éolienne et d'hydrogène. À l'heure où nous avons fait de la lutte contre le réchauffement climatique une priorité, ce n'est pas négligeable.
Il y avait urgence à prolonger cette concession, dont la date d'échéance – 2023 – se rapprochait dangereusement, d'autant que l'avenir nous réserve d'importants défis. Le Rhône pourrait perdre jusqu'à 40 % d'eau d'ici à 2050, ce qui rendra nécessaires des investissements significatifs. Il était donc indispensable de donner à la CNR de la visibilité et des moyens, pour qu'elle puisse mener à bien ses missions.
Il y avait urgence, également, à trouver une solution compatible avec le droit communautaire, faute de quoi cette concession, à l'instar des quarante arrivées à échéance, aurait dû recourir au régime transitoire dit des délais glissants. Celui-ci permet, il est vrai, la prorogation des concessions aux conditions antérieures, mais il impose aussi le versement d'une redevance et nous expose à une insécurité juridique. Pour nous, défenseurs de l'énergie hydroélectrique et de son potentiel, ce n'est pas une solution satisfaisante.
C'est pourquoi nous sommes nombreux à attendre du Gouvernement qu'il propose une solution globale et pérenne au contentieux qui nous oppose à la Commission européenne. Cela fait plus de quinze ans que les institutions européennes tentent de nous imposer l'ouverture à la concurrence des concessions hydroélectriques arrivées à échéance. Disons-le d'emblée, le projet Hercule n'était pas la bonne voie à explorer : nous ne pouvions nous satisfaire d'un démantèlement de notre outil national. Aussi son abandon, même temporaire, est-il un soulagement pour ceux qui, comme moi, croient au service public de l'électricité.
Concernant l'hydroélectricité, je reste convaincue que la seule solution valable sera celle du maintien d'une gestion publique des concessions. Non seulement parce que ce patrimoine national, financé de longue date par les Français, nous permet d'assurer la production d'une énergie décarbonée, mais également parce que la production d'électricité n'est pas sa seule vocation. Les barrages jouent aussi un rôle central en matière de disponibilité et de gestion de la ressource en eau, à des fins de protection de la biodiversité, d'agriculture, de tourisme ou de refroidissement des centrales nucléaires.
Sans oublier que le découpage du parc hydraulique entre plusieurs acteurs, potentiellement privés, pourrait augmenter les coûts de production. Nos concitoyens souffrent depuis plus d'un semestre d'une hausse des prix de l'énergie résultant de la hausse des cours sur le marché mondial. Gardons à l'esprit les effets potentiellement délétères d'une libéralisation excessive !
Le groupe Libertés et territoires votera pour la proposition de loi, qui met la Compagnie nationale du Rhône à l'abri du contentieux européen. Pourtant, nous ne perdons pas de vue que la vraie bataille, en matière d'hydroélectricité, ne se joue pas uniquement dans la vallée du Rhône, mais aussi à Bruxelles. Car, ne l'oublions pas, c'est là-bas que se décide le futur de nos barrages. Espérons que celui-ci sera placé sous le régime protecteur de la quasi-régie.