Intervention de Moetai Brotherson

Séance en hémicycle du mardi 23 janvier 2018 à 9h30
Questions orales sans débat — Atoll de moruroa et conséquences des essais nucléaires

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMoetai Brotherson :

Madame la secrétaire d'État auprès de la ministre des armées, le 2 juillet 1966 explosait Aldébaran, le premier essai nucléaire français en Polynésie ; 192 autres essais étalés sur trente ans suivront à Fangataufa mais, surtout, Moruroa jusqu'en 1996.

Après 42 ans de mensonge d'État sur les fameux « essais propres », le bon sens a finalement conduit en 2010 à la création du Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires. Son budget doit être mis en perspective car, d'une part, il sert aussi à l'indemnisation de victimes du Sahara et, d'autre part, il ne couvre pas les dégâts causés à l'environnement.

Sur 275 000 Polynésiens, 9 705 sont aujourd'hui atteints de l'une des maladies que l'État français admet comme radio-induites. S'y s'ajoutent 9 192 personnes atteintes d'autres pathologies reconnues radio-induites par les autres puissances nucléaires.

Quelques années après Aldébaran, l'État accordait à la Polynésie le statut d'autonomie et la compétence dans le domaine de la santé – un cadeau empoisonné puisqu'il en a résulté la couverture des maladies radio-induites par le système social et de santé de la collectivité et non plus par l'État. Ironie du sort ou cynisme planifié ? Ici, jusqu'à aujourd'hui, ce sont les victimes elles-mêmes qui payent.

Mais revenons au bon sens…

Quelques rappels liminaires s'imposent : 147 essais souterrains ont eu lieu de 1975 à 1996, 62 ont été effectués sous le lagon mais 78 sous la fragile couronne corallienne de l'atoll de Moruroa. Quinze kilos de plutonium et une grande quantité de déchets radioactifs restent enfouis au coeur de Morurua et restent dangereux pour 500 000 ans.

Dès 1979, un bloc de plusieurs millions de mètres cubes se détache de la falaise corallienne. En 1980, 1987 et 1995, plusieurs rapports révèlent des fissures sur des kilomètres et l'existence de risques de fuite de radioactivité. En 2006, le livre publié par le ministère de la défense, La dimension radiologique des essais nucléaires français en Polynésie, atteste qu'au moins 41 essais souterrains sur 147 ont produit des fuites radioactives, soit un essai sur trois. Enfin, en 2011, c'est le délégué à la sûreté nucléaire lui-même qui cite un glissement possible de 670 millions de mètres cubes, provoquant une vague de vingt mètres de haut.

Le bon sens a donc conduit à la mise en place depuis 2015 du projet TELSITE 2 de mise à jour des moyens de surveillance géomécanique de Morurua, opérationnel pour vingt ans. Sismomètres, géophones, balises GPS, base-vie… TELSITE 2 devrait pouvoir prédire avec 90 secondes d'avance l'effondrement de Moruroa !

Peut-être me répondra-t-on aujourd'hui que tout ceci n'est que conjectures et que, comme on le disait à l'époque des essais propres, rien ne permet d'affirmer ou de penser que Moruroa puisse un jour s'effondrer. Fukushima non plus n'était pas censé se produire… Mais alors pourquoi créer un tel dispositif ? Oui, pourquoi investir plus de 100 millions d'euros dans un thermomètre si l'on est sûr que la maladie n'arrivera jamais ? C'est la question qu'on se pose lorsqu'on voit qu'il n'existe pas de plan de l'État pour sauver les habitants de Tureia, atoll le plus proche de Moruroa. C'est la question qu'on se pose après la COP 23 et ses aires marines protégées ou gérées, quand on sait qu'aucun relevé régulier ne présente l'état de la couronne corallienne et de la radioactivité qu'elle contient, qui se libèrera dans l'océan Pacifique au moment de l'effondrement.

Les Polynésiens, les nations du Pacifique sont en droit d'attendre une enquête à ce sujet, qui permettra de révéler l'impact environnemental et sanitaire réel de l'effondrement de Moruroa, mais surtout les mesures d'anticipation, au-delà de la simple prédiction à 90 secondes.

Dans un récent dessin animé plébiscité au box-office, un dieu farceur vole le coeur d'une île du Pacifique, Te Fiti, conduisant ainsi à un désastre dans les îles voisines qui se propage sans limites. En 1977, avec le premier essai nucléaire souterrain, l'État à volé le coeur des deux atolls de Moruroa et Fangataufa. Dans le dessin animé, Maui ramène le coeur de Te Fiti et le désastre est évité. Dans le monde post-One planet summit, l'État français saura-t-il sinon ramener du moins soigner le coeur de Moruroa et Fangataufa avant qu'il ne soit trop tard ? Mäuruuru e Te Aroha Ia rahi.

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