La semaine dernière, le Président de la République a annoncé, en lien avec nos partenaires européens et africains, les principes d'un engagement renouvelé au Sahel. Cette décision s'inscrit en cohérence avec l'annonce de la réorganisation de notre dispositif faite par le chef de l'État au mois de juin dernier, tout en prenant acte d'une dégradation des conditions politiques au Mali.
Cette décision a été prise collégialement, dans un cadre partenarial totalement préservé, avec nos alliés aussi bien africains qu'européens. Elle traduit notre volonté et notre détermination à poursuivre notre engagement, selon l'esprit de Takuba, dans la lutte contre les groupes terroristes islamistes au Sahel. Cette nouvelle donne nous conduit à renouveler et à adapter notre dispositif en accélérant les évolutions décidées ces deux dernières années, en particulier lors des sommets de Pau et de N'Djamena. Ces considérations, mesdames et messieurs les députés, me conduisent à soumettre à la représentation nationale, en ma qualité de chef du Gouvernement et au titre de l'article 50-1 de la Constitution, une déclaration portant sur la réarticulation de notre engagement au Sahel, qui sera suivie d'un débat.
Depuis maintenant plus de neuf années, l'action des gouvernements qui se sont succédé a été marquée par la plus grande transparence en matière d'information de cette assemblée. J'en veux pour preuve la constance avec laquelle la commission des affaires étrangères et celle de la défense nationale et des forces armées, sous l'impulsion de leurs présidents, que je salue, ont travaillé sur le sujet, auditionnant régulièrement les ministres et les chefs militaires concernés et produisant des travaux d'une très grande qualité.
Au-delà, le débat que nous allons avoir doit nous permettre de répondre aux interrogations des Français. Il est également l'occasion de nous incliner à nouveau devant le sacrifice de nos cinquante-neuf soldats morts au Sahel, au service de notre pays, depuis le mois de janvier 2013. J'ai en cet instant une pensée toute particulière pour eux, pour leurs familles, pour leurs camarades blessés. Je veux également dire à nos militaires, qui mettent leur engagement et leur courage au service de la sécurité des peuples sahéliens, combien notre fierté est grande et notre soutien total. Plus largement, l'action de la France au Sahel est l'œuvre de beaucoup : diplomates, gendarmes et policiers, agents de l'État, personnels du secteur privé portent et incarnent le rôle de notre pays. Nous ne l'oublions pas ; nous n'oublions pas non plus nos journalistes enlevés et assassinés à Kidal en novembre 2013, ni nos jeunes humanitaires qui ont perdu la vie au Niger, en août 2020, lâchement abattus par des terroristes fanatisés. J'ai également une pensée pour nos ressortissants, dont la sécurité fait l'objet de toute notre attention. Enfin, je veux réaffirmer notre soutien et notre amitié aux populations sahéliennes, en première ligne face aux groupes armés et qui subissent de plein fouet l'insécurité, alors qu'elles vivent souvent dans une pauvreté extrême.
Mesdames et messieurs les députés, notre débat doit être empreint de dignité, de responsabilité, alors que par ailleurs les fausses informations et les manipulations en tout genre nourrissent soupçons et fantasmes sur notre engagement. Notre présence au Sahel est fondée depuis le premier jour sur un objectif clair : lutter, à la demande des pays de la région, contre les groupes terroristes et contribuer à en protéger les populations.
Je veux d'abord rappeler que nous avons, de ce point de vue, obtenu des résultats incontestables. En 2013, le Mali était au bord de l'effondrement et son armée n'était que l'ombre d'elle-même. Le nord du pays était passé sous le contrôle de groupes armés liés à Al-Qaïda, et la décision courageuse du président Hollande de répondre positivement à l'appel pressant des autorités maliennes et de celles de la région a permis d'enrayer une offensive djihadiste qui avait atteint le centre du pays et menaçait Bamako. En quelques semaines, par une action audacieuse et déterminée, la progression des groupes terroristes a été stoppée et les repaires djihadistes du nord du pays ont été démantelés. Si nous avons empêché le Mali de s'effondrer, nous avons également neutralisé les projets d'installation d'un proto-État inspiré par l'idéologie islamiste la plus radicale. La création par des groupes terroristes d'une zone sanctuaire, qui aurait constitué un péril mortel pour la région et pour notre sécurité, a été entravée.
Depuis lors, nos armées ont obtenu d'autres succès très significatifs. En première ligne, elles n'ont laissé aucun répit aux groupes terroristes, qu'ils soient affiliés à Al-Qaïda ou à Daech. Les objectifs qui leur avaient été fixés ont été atteints. Je veux en particulier rappeler l'élimination de plusieurs chefs internationaux de ces mouvements : ceux de la filiale sahélienne d'Al-Qaïda, que nous avons combattue dès 2013 et dont nous avons neutralisé les principaux responsables – dont le numéro un en juin 2020, l'émir d'Al-Qaïda au Maghreb islamique, membre du haut commandement d'Al-Qaïda, mais aussi ceux de Daech : au sommet de Pau, début 2020, les chefs d'État se sont accordés pour concentrer leurs efforts contre la filiale de Daech au Sahel, l'État islamique au Grand Sahara, qui s'installait dans la zone dites des trois frontières, aux confins du Mali, du Niger et du Burkina Faso. Ces efforts ont été couronnés de succès puisque nous avons neutralisé les quatre plus hauts cadres de cette organisation, dont le fondateur, entre mai et septembre 2021. En plus d'affaiblir durablement les organisations terroristes, cela a modifié l'envergure de leurs ambitions, les amenant à renoncer à l'instauration d'un califat territorial.
Je veux solennellement rappeler ici que, par notre action résolue contre le terrorisme, nous participons activement à la protection de nos compatriotes dans la région et empêchons les groupes djihadistes de créer une base territoriale et d'acquérir une liberté d'action leur permettant de se projeter dans des attaques qui pourraient toucher le sol national.
Ces victoires, vous le savez mesdames et messieurs les députés, nous ne les avons pas obtenues seuls. Elles sont d'abord le fruit d'une volonté des États sahéliens de traiter ensemble les défis qui se posaient à eux à travers le G5 Sahel, que nous soutenons. L'implication croissante des Européens a également été au cœur de notre démarche, avec une véritable prise de conscience, chez nos partenaires, que la sécurité de l'Europe se jouait aussi dans cette région du monde. Aujourd'hui, grâce à l'action patiente de la France et de l'Union européenne, au travers d'EUTM Mali – European Union Training Mission in Mali –, l'armée malienne a été reconstituée. C'était une priorité stratégique et nous avons eu un rôle déterminant dans cette reconstruction, en formant plus de 15 000 cadres et soldats. La force Takuba, au sein de laquelle dix pays européens se sont engagés ensemble aux côtés de l'armée malienne, incarne également cette évolution du rôle de l'Europe.
À travers quatre piliers complémentaires, de nombreux acteurs se sont mobilisés dans le souci de produire une réponse globale aux immenses défis de la région. Le terrorisme, mais aussi l'insécurité, ont des sous-jacents bien connus qui s'incarnent dans la pauvreté et la faiblesse, parfois l'absence, de l'État et de ses services aux populations. La réponse de fond au phénomène insurrectionnel et au terrorisme, ce sont des autorités démocratiquement légitimes, c'est la présence de l'État de droit, c'est le développement économique et social. Au fond et plus largement, c'est sans doute l'Alliance Sahel, née en 2017 et consolidée au sommet de Pau en janvier 2020, qui incarne le mieux cet engagement de la communauté internationale, avec plus d'un millier de projets de développement financés.
Oui, mesdames et messieurs les députés, notre action s'est fondée sur le principe, rappelé avec force par le Président de la République jeudi dernier, que l'intervention d'une armée étrangère ne peut se substituer à l'action d'un État souverain ni s'émanciper d'un cadre multilatéral. Or, en sortant du cadre de la transition, les autorités maliennes ont clairement choisi de rompre avec la communauté internationale. La France et ses partenaires africains comme européens, se devaient de tirer toutes les conséquences de ce choix grave du pouvoir malien.
La communauté internationale a aujourd'hui comme interlocuteurs au Mali des autorités de fait, issues d'un double coup d'État et ayant renié un par un leurs engagements. Dans quelques jours, vous le savez, il aurait dû y avoir des élections au Mali, consacrant la fin d'une période de transition qui dure déjà depuis plus de dix-huit mois. Il n'en sera rien, car la logique qui prévaut est celle du maintien au pouvoir de la junte le plus longtemps possible. La Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et l'Union économique et monétaire ouest-africaine ont placé le Mali sous un régime de sanctions très strict. L'Union européenne et la communauté internationale sont pleinement solidaires de cette décision.
Ce régime a par ailleurs fait le choix de s'appuyer sur une organisation privée bien connue de mercenaires russes, Wagner, dont le modèle économique repose sur la prédation des richesses des pays dans lesquels elle opère. Nous l'avons déjà constaté en particulier en Centrafrique : cette milice nourrit la guerre car la guerre la nourrit. Ses exactions contre les populations, ses entraves à la mission des Nations unies, sont multiples et documentées, sacrifiant les conditions d'une paix durable. L'appui européen et international, dans lequel la France s'inscrivait à la demande des autorités maliennes, s'exerçait quant à lui sans aucune contrepartie financière, ni intérêts cachés.
Il n'est aujourd'hui plus possible de nous investir dans un pays dont les autorités ne souhaitent plus coopérer avec les Européens ni avec leurs voisins africains, et entravent leur capacité d'action – à l'image du mauvais procès fait récemment à nos alliés danois, qui souhaitaient s'engager dans la force Takuba. Peut-on imaginer poursuivre nos efforts diplomatiques et financiers, ainsi que notre coopération, alors que nous sommes accusés de mettre en œuvre un agenda caché qui irait à l'encontre des intérêts du peuple malien ?
La prise en compte de cette réalité impose de repenser notre dispositif en le repositionnant en dehors du territoire malien, toujours dans l'objectif de lutter contre les terroristes. Sur le plan militaire, nous serons amenés à fermer les bases de Gossi, Menaka et enfin Gao. La manœuvre s'effectuera en bon ordre et en sécurité, comme l'a précisé le Président de la République, et durera entre quatre et six mois. Nous allons d'ailleurs renforcer notre dispositif logistique à partir de la métropole. Les opérations seront conduites de manière intégrée avec nos partenaires de Takuba car la France assume son rôle de nation cadre et agit en responsabilité. Elles devront aussi être exécutées en bonne intelligence et en coordination avec les forces armées maliennes et la MINUSMA – mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali. Nous nous y employons d'ores et déjà. Nous ne tolérerons aucun ultimatum et ne serons sensibles à aucune pression, quelle que soit leur provenance. La sécurité de nos soldats et celle de nos ressortissants seront nos priorités.
Le Niger a fait part de sa disponibilité pour faciliter cette évolution du dispositif, nous permettant de faire transiter nos flux logistiques jusqu'aux ports du Golfe de Guinée mais aussi d'envisager notre redéploiement dans les autres pays de la région – j'y reviendrai.
Notre appui au peuple malien, que nous respectons profondément, sera préservé au travers des programmes de l'Alliance Sahel, sous réserve bien entendu que ceux-ci ne puissent faire l'objet de détournements visant à financer des mercenaires ou le terrorisme. Nous continuerons d'œuvrer pour que la MINUSMA puisse pleinement remplir son mandat au profit de la protection des populations et en soutien à la mise en œuvre de l'accord de paix d'Alger.
Dans ce contexte, nous allons poursuivre sur des bases renouvelées notre engagement contre les groupes terroristes au Sahel. Car il n'y a pas que l'attitude de la junte au pouvoir au Mali qui conduit la France et ses alliés à adapter leur approche et à réarticuler leur dispositif. Il nous faut tout autant prendre en compte l'état de la menace qui a évolué, précisément sous l'effet de l'action conduite par la communauté internationale. Ne pouvant constituer un sanctuaire, les groupes liés à Al-Qaïda ont fait le choix d'une stratégie de dissémination dans l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest. L'attaque du 9 février dernier, au nord du Bénin, dans laquelle l'un de nos compatriotes a été tué et à laquelle nous avons vigoureusement réagi en neutralisant, dans le sud du Burkina Faso où ils avaient trouvé refuge, une quarantaine de terroristes, en témoigne avec une douloureuse acuité.
Cette reconfiguration de la menace terroriste, au-delà des seules évolutions au Mali, nous conduit donc aussi à adapter notre stratégie et notre organisation. Car en poursuivant notre lutte contre le terrorisme au Sahel et au nord menacé des pays du golfe de Guinée, nous aidons les États de la région à surmonter ces défis.
La première évolution de notre engagement est précisément en lien avec la dissémination de cette menace. Même s'il est mis au défi par la dérive de la junte malienne, le G5 Sahel demeure un cadre pertinent de coordination des actions. Cependant, il y a aujourd'hui la nécessité d'adapter la réponse en l'élargissant aux zones périphériques du Sahel, et la France est prête à continuer à jouer un rôle fédérateur. Nous parlons ici de zones vulnérables, situées aux frontières nord de pays comme le Bénin, la Côte d'Ivoire, le Togo ou le Ghana. Nous nous appuierons sur le cadre existant de l'initiative d'Accra toujours en lien, évidemment, avec la CEDEAO. Nous sommes déjà en pourparlers avec les pays de la région mais je veux ici être clair : la lutte contre le terrorisme ne sera gagnée localement que par les Africains eux-mêmes. Dès lors, nous devons leur apporter un appui adapté en coconstruisant l'avenir avec eux, avec méthode et sans précipitation.
Nous avons donc la volonté, partagée avec nos partenaires, de soutenir encore davantage les États et leurs populations, en partant de leurs besoins pour pouvoir mieux y répondre. En complément de ce qui se fait déjà en matière de coopération et d'aide au développement, nous nous appuierons sur l'Alliance Sahel qui, depuis 2017, permet de nourrir ce soutien aux acteurs locaux déployant des politiques publiques et des programmes en matière de développement. Ainsi, un effort doit être clairement porté sur le volet civil de prévention, partout où il est encore temps, à travers des actions concrètes en soutien de secteurs clés ; je pense notamment à l'éducation, à la justice et au domaine social, qui permettent d'affirmer la présence de l'État et de renforcer les sociétés civiles.
La deuxième évolution, réaffirmée par le Président de la République jeudi dernier à l'issue des concertations nourries conduites avec l'ensemble de nos partenaires, concerne la physionomie de notre présence militaire dans un contexte de très grande sensibilité des opinions publiques et, je l'ai dit, d'évolution de la menace terroriste. Notre approche doit être encore plus intégrée qu'elle ne l'est déjà. Il s'agit de mettre en œuvre un dispositif plus souple, plus agile, plus modulable, reposant sur des implantations dont la taille et la localisation doivent être revues.
Ce redéploiement s'effectuera d'abord au Niger, puis dans les pays voisins, selon les décisions prises ensemble. La France, je vous le rappelle, dispose dans la région de forces prépositionnées en République de Côte d'Ivoire et au Sénégal qui pourront venir en appui des États et de leurs forces de défense et de sécurité – seulement lorsque ce sera nécessaire et à leur demande. Elle conduit également des actions de coopération civile et militaire au profit des États du golfe de Guinée, qui pourront être développées ou réorientées. À l'image de ce que nous avons construit précédemment, nous voulons poursuivre notre engagement avec nos alliés européens, selon le même esprit Takuba qui a fait la réussite de cette force.
Mesdames et messieurs les députés, au moment de conclure mon intervention, je mesure avec vous l'ensemble des sacrifices consentis non seulement pour permettre aux peuples du Sahel de vivre dignement et en sécurité, mais aussi pour assurer notre propre protection. Ces sacrifices n'auront pas été vains, comme en témoignent les résultats tangibles de notre action collective depuis 2013. Je mesure la force de l'engagement de nos armées et de tous ceux qui restent mobilisés dans la région. Je veux réaffirmer devant vous la détermination de la France, partagée avec ses partenaires européens, à poursuivre la lutte contre les groupes terroristes. Cette détermination nécessite constance et ténacité. Elle suppose aussi pragmatisme et capacité d'adaptation.
Le débat d'aujourd'hui s'inscrit dans un contexte international particulièrement tendu. Cette situation est le fruit d'une compétition internationale marquée par les stratégies de confrontation, directe ou indirecte, dans tous les champs physiques comme immatériels – je pense en particulier au domaine crucial de l'information. La parole de la France est forte, parce qu'elle s'ancre dans la liberté, la transparence et la confiance. C'est évidemment pour cela que le débat d'aujourd'hui est essentiel : il répond à une exigence démocratique vis-à-vis des citoyens que vous représentez.
Sur le fond, les orientations présentées visent à ne pas laisser le champ libre à nos adversaires terroristes, à assurer la sécurité de notre pays et, finalement, à renouveler, pour mieux les affirmer, les principes et les valeurs qui guident notre action dans cette région du monde.